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Ivan n’eut aucune peine à trouver la maison. Et, déjà, il gravissait le perron lorsque, soudain, s’élança un individu, un gandin vêtu d’un pardessus qui le dépassa et monta quatre à quatre l’escalier jusqu’au troisième étage. Ivan Andreievitch crut reconnaître le civil de la loge, bien qu’il eût été dans l’impossibilité de distinguer, au théâtre, le visage de cet élégant personnage. Son cœur se serra. Le gandin atteignait déjà le deuxième palier. Ivan Andreievitch entendit enfin s’ouvrir la porte du deuxième; l’homme n’avait pas sonné, on devait l’attendre. Le gandin disparut dans l’appartement. Ivan Andreievitch arriva à ce troisième palier avant qu’on eût fermé la porte. Il pensa tout d’abord rester sur le seuil, méditer sur ce qu’il devait entreprendre, bien réfléchir et se résoudre à quelque action décisive. Mais, à ce moment même, il entendit le roulement d’une voiture près du perron! La grande porte s’ouvrit avec fracas et il y eut des pas lourds. La personne toussait, respirait avec peine. Ivan Andreievitch n’hésita plus; il poussa la porte et se trouva dans l’appartement avec l’air très solennel d’un époux offensé. Une servante, très émue, se précipita à sa rencontre, puis ce fut un domestique qui se montra. Mais arrêter Ivan Andreievitch s’avéra parfaitement impossible… Il volait comme une bombe d’une chambre à une autre. Ayant traversé deux pièces obscures, il entra brusquement dans la chambre à coucher et s’arrêta devant une très belle jeune femme qui le fixa terrifiée. Elle semblait ne plus comprendre ce qui se passait autour d’elle. Déjà on percevait des pas lourds dans le vestibule contigu. Quelqu’un se dirigeait droit vers la chambre à coucher.

– Seigneur! c’est mon mari! s’écria la dame en levant les bras. Elle pâlit, devint plus blanche que son peignoir.

Ivan Andreievitch comprit qu’il avait fait fausse route. Il s’était conduit comme un enfant, comme un imbécile! Il aurait dû réfléchir davantage dans l’escalier. Mais il n’y avait plus qu’à subir. La porte s’ouvrait et le mari, un gros homme, à en juger d’après son pas lourd, entrait… Je ne sais ce qu’Ivan Andreievitch pensa de lui-même à cette minute. J’ignore ce qui l’empêcha d’aller droit vers le mari, d’avouer son erreur, de s’excuser et de fuir. Ce n’eût pas été, certes, avec honneur ni gloire, mais il serait parti tout au moins de façon noble et franche. Loin de là! Ivan Andreievitch, de nouveau se conduisit en gamin, comme s’il se prenait pour un Don Juan ou un Lovelace! Il se cacha tout d’abord derrière le rideau du lit, puis lorsqu’il se sentit étreint par l’angoisse, il se laissa tomber à terre et, comme un serin, rampa sous le lit. La terreur agit sur lui avec plus de force que la raison et Ivan Andreievitch, lui-même époux trompé ou tout au moins se considérant comme tel, ne put supporter cette rencontre avec un autre mari. Il se trouva sous le lit, ne comprenant absolument pas comment la chose s’était faite. Mais le plus étonnant est que la dame ne fit aucune opposition. Elle n’eut pas un cri en voyant ce personnage étrange, d’un certain âge, déjà, chercher refuge dans sa chambre à coucher. En fait, elle était si étonnée qu’elle n’en retrouvait plus l’usage de la parole.

Le mari entra, poussant des interjections et reniflant, dit bonsoir à sa femme d’une voix languissante et s’affaissa dans un fauteuil comme s’il venait de porter un sac de bois. Puis il toussa longuement, sourdement. Ivan Andreievitch qui, de tigre enragé s’était transformé en agneau, timide et calme comme une petite souris devant un chat, osait à peine respirer, dans son effroi. Il aurait pu savoir, pourtant, de par sa propre expérience, que tous les maris offensés ne mordent pas. Mais il n’y pensa point, soit par défaut d’imagination, soit pour toute autre carence. Avec douceur et prudence, à tâtons, il essaya de s’installer le plus commodément possible sous le lit. Et quelle ne fut pas sa stupeur lorsqu’il toucha un objet qui, à sa grande surprise, s’agita et le saisit à son tour par le bras. Un autre homme était caché sous le lit!…

– Qui êtes-vous? murmura Ivan Andreievitch.

– Vous n’allez pas vous imaginer que je vais vous rapprendre! fit tout bas l’étrange inconnu. Couchez-vous, taisez-vous puisque vous vous êtes fichu dedans.

– Pourtant…

– Silence!

Et l’homme qui était de trop – un seul aurait suffi sous le lit – serra le bras d’Ivan Andreievitch si fortement que ce dernier faillit crier de douleur.

– Mon cher Monsieur…

– Chut!

– Ne serrez pas si fort ou je crie!

– Je vous en défie! Essayez!

Ivan Andreievitch rougit de honte. L’inconnu était irrité, sévère. Peut-être était-ce un homme qui, plus d’une fois, avait subi les coups du destin et qui, très souvent, avait connu des situations aussi gênantes? Mais Ivan Andreievitch n’était encore qu’un novice et il étouffait. Le sang lui battait aux tempes. Il n’y avait cependant rien à faire, il fallait rester étendu, visage contre terre. Ivan Andreievitch dut se soumettre. Il se tut.

– Ma petite chérie, commença l’époux, mon trésor, j’ai été chez Pavel Ivanovitch, nous nous sommes mis à jouer à la préférence et… khi-khi. (Il eut une quinte de toux). Or donc… khi, khi. Et mon dos… khi. Que le diable… khi, khi, khi.

Le vieillard eut un violent accès de toux plus prolongé.

– Mon dos, balbutia-t-il enfin, les larmes aux yeux, mon dos me fait mal… Ces sacrées hémorroïdes. Ni debout, ni assis, pas moyen de s’asseoir… khi, khi.

Et cette crise de toux semblait vouloir durer plus longtemps que le vieillard lui-même. Lorsqu’elle paraissait céder, le vieux marmottait des paroles parfaitement inintelligibles.

– Mon cher Monsieur, au nom du ciel écartez-vous, chuchota le malheureux Ivan Andreievitch.

– Où voudriez-vous que j’aille? La place manque.

– Avouez qu’il m’est impossible de rester ainsi! C’est la première fois de ma vie que je me trouve dans une situation aussi dure.

– Et moi avec un voisin aussi désagréable.

– Cependant, jeune homme…

– Silence!

–  Me taire! En tout cas vous agissez très impoliment, jeune homme… Si je ne me trompe vous êtes tout jeune, je suis votre aîné.

– Taisez-vous!

– Cher Monsieur, vous vous oubliez, vous ne savez à qui vous parlez.

– À un monsieur qui se cache sous un lit.

– Oui, mais c’est une surprise, une erreur qui m’ont conduit ici… alors que c’est l’immoralité qui vous…