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Instinctivement Fandor avait bondi hors de sa prison. Que se passait-il ?

Où était-il ? que venait-il de lui arriver ? qu’allait-il lui advenir encore ?…

Le journaliste était convaincu que, plus que jamais, il était victime de Fantômas.

À peine avait-il quitté l’abri momentané que lui offrait son étrange cellule, que Fandor devait éviter d’être écrasé par la chute des caisses consumées par le feu.

Le journaliste poussait un cri terrible, et voyant une issue au milieu de cet amas de marchandises, s’y précipitait.

C’est à ce moment qu’avait retenti le coup de feu.

Fandor surgissait hors du dock, dans la cour dallée, au moment précis où un cheval lancé à toute allure s’arrêtait net, piquait du nez, faisait panache complet.

Le cavalier, vidant les étriers, fort heureusement n’était pas pris sous la bête, mais projeté en avant, il allait choir avec un bruit sourd à deux mètres à peine de l’eau du canal.

Il s’en fallait d’un rien qu’il ne tombât à l’eau.

Cependant que le cavalier tombait aux pieds de Fandor. Tout à côté, le cheval, perdant son sang en abondance par les naseaux et sa blessure à la tempe, s’agitait en ultimes convulsions.

Mais Fandor, dédaignant ce spectacle, alors considérait hébété une sorte de coffret qui, dans la violence du choc s’était à moitié ouvert, et dont le contenu se révélait à ses yeux.

Ce contenu miroitait à la lueur blafarde de l’électricité des grands projecteurs. Fandor, instinctivement s’étant baissé pour regarder, poussa un cri d’horreur. Une tête de mort, un crâne blanc comme de l’ivoire venait de s’échapper du coffret.

Fandor, sur cette découverte macabre et assurément mystérieuse, jeta machinalement sa veste qu’il avait ôtée pour éteindre le feu qui commençait à la consumer. Mais le journaliste ne s’attarda pas à réfléchir sur cet incident.

Un gémissement l’appela à quelques pas de là, auprès du malheureux cavalier qui gisait inanimé, terriblement pâle.

Fandor se pencha sur lui, il le considéra :

— Un gosse… un gamin, pensa-t-il… le malheureux, il a failli se tuer.

Et, en brave garçon qu’il était, Fandor sans se préoccuper de sa propre situation, sans songer aux malheurs qui l’accablaient depuis si longtemps, s’employa avec ardeur à ranimer le jeune homme.

Le journaliste était allé tremper son mouchoir dans l’eau toute proche, il humecta les lèvres du cavalier évanoui, lui frictionna les tempes.

L’adolescent ne tarda pas à ouvrir les yeux.

Tout d’abord, il regarda le personnage qui se trouvait devant lui, et s’il n’eut pas un mouvement de stupéfaction, c’est qu’assurément il était bien maître de ses sentiments, car Fandor, avec sa chevelure hirsute, ses vêtements en guenille, sa barbe longue d’un mois, devait assurément avoir une allure des plus extraordinaires.

L’adolescent, comme s’il avait eu honte de sa faiblesse, repoussa Fandor qui lui offrait son bras, et il se releva brusquement, tituba une seconde sur ses genoux tremblants, mais sa démarche s’affermit vite.

Sans s’occuper du journaliste, le cavalier allait à son cheval.

Il le considéra quelques secondes. La malheureuse bête était morte, il n’y avait plus rien à faire.

Le cavalier crispa les poings, puis, se tournant vers Fandor, revint la main tendue :

— C’est vous, dit-il, qui m’avez sauvé, merci.

Ce jeune homme s’exprimait en anglais, avec un petit accent toutefois.

Fandor comprit fort bien néanmoins ce que lui disait son interlocuteur. Mais l’incendie continuait à faire rage.

— Si l’on ne vient pas, fit-il, si l’on n’arrête pas ce désastre, tout Londres va brûler… Je suis sûr que c’est encore un coup de Fantômas. Le monstre l’a voulu.

Fandor s’interrompit. Le cavalier l’avait tiré par la manche et interrogé avec inquiétude :

— Pardon, qu’est-ce que vous venez de dire ?

— Londres brûle… Londres brûle… Regardez plutôt, l’incendie gagne de toutes parts… C’est Fantômas, je vous dis… Parbleu. Il m’a enfermé dans une caisse, au milieu de ces docks, pour être plus sûr de ma mort.

— Pardon, fit encore le jeune homme, de plus en plus intrigué, mais, aussi, de plus en plus calme, au fur et à mesure que Fandor s’exaltait, pardon, mais voulez-vous me dire, qui vous êtes ?

Hors de lui, le journaliste éclata :

— Qui je suis ?… Sa victime, parbleu ! sa victime qu’il avait condamnée mais qui, malgré tout, lui échappe… Ah ! Ah ! Ah !… nous allons voir… à nous deux Fantômas… Fandor est vivant, gare à toi, Fantômas.

Épuisé par cet effort, le journaliste, la gorge sèche, s’arrêta. Il titubait comme un homme ivre, montrant le poing aux flammes, l’œil injecté, la lèvre écumante. Puis, comme halluciné, il courut vers la fournaise.

Le jeune homme qu’il venait de ranimer quelques instants auparavant, le retint des deux mains.

Visiblement, il avait pitié. Il avait forcé le jeune journaliste à s’arrêter. Il le regardait les yeux dans les yeux.

Doucement, avec une sollicitude inquiète, le jeune cavalier interrogea, prononçant avec lenteur, comme s’il craignait de n’être pas compris :

— Vous parlez tout le temps de Londres, monsieur, ignorez-vous donc où vous êtes ?

— Oui… non… répondait Fandor, l’air égaré… les docks… les bateaux… la rivière… tout cela, c’est bien Londres.

— Durban, dit le cavalier…

Fandor ne comprenait pas, il répéta :

— Durban… quoi ?… Durban ?

— Oui, Durban, insista le jeune homme, Durban… au Natal… en Afrique du Sud…

Fandor observa avec stupeur l’adolescent qui se trouvait devant lui, puis, brusquement, il recula, poussant un ricanement strident.

Le journaliste n’alla pas loin.

De lourdes mains s’étaient abattues sur ses épaules, de tous côtés on le tiraillait et Fandor, au comble de la surprise, se trouva désormais au milieu d’une troupe d’hommes, tous vêtus de toile brune, armés de carabines, coiffés de chapeaux mous.

Tous l’interrogeaient à la fois, le menaçaient du geste, de la parole.

Comment se trouvait-il là ? D’où venait-il ? Comment prétendait-il justifier sa présence dans les docks interdits au public ? N’avait-il pas allumé l’incendie ?

Toutes ces questions étaient posées à Fandor dans un anglais correct, sans doute, mais aux intonations un peu gutturales, qui rappelaient l’accent du jeune cavalier.

Fandor, épuisé, sur les genoux et la tête vide, considérait ces hommes armés avec des yeux abasourdis, ne trouvant rien à répondre.

Que se passait-il ? vivait-il ? était-il éveillé ?

Le chef venait de dire à ses hommes :

— Il ne veut pas répondre… Je lui donne trente secondes… après quoi, vous connaissez la loi : au mur, et feu de peloton.

Fandor pendant ce temps, balbutiait des phrases où revenait comme un refrain le nom de Fantômas. Puis, soudain, il parut sortir d’un rêve pour demander :

— Où suis-je ? Londres ?… les docks ?

Mais les hommes en uniforme ne désarmaient pas. Ils n’attendaient qu’un signe pour exécuter ce suspect, ce responsable, sans doute, de l’incendie dont les flammes éclairaient cette scène de guerre civile, cet épisode qui restait incompréhensible de son principal intéressé. Fandor ne comprenait pas, parmi les clameurs de la ville en train de s’éveiller, des bruits de trompes, du roulement des chariots et du galop des chevaux, les pompiers sans doute ? Et maintenant, c’étaient les longs soupirs étouffés que poussent les matières incandescentes lorsque l’eau des pompes vient les disputer à la morsure du feu.

Les hommes attendaient toujours l’ordre de leur chef. Le chef – c’était un officier à en juger par les deux galons blancs qui entouraient les poignets de son dolman de toile brune – venait d’apercevoir le jeune cavalier que Fandor avait tiré de son évanouissement.

— Teddy…, petit Teddy, s’était-il écrié, que faites-vous là ?

L’adolescent, dans un élan spontané, était allé vers le militaire, lui avait cordialement serré les mains :