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— Des preuves, criait-on, des preuves.

Teddy haussant sa petite taille sur la pointe de ses pieds, montra quelqu’un qui s’approchait du groupe :

— Demandez, fit-il, à M. Hans Elders, si ce que j’avance est exact ? Le vol a été commis chez lui… Jupiter a porté plainte contre inconnu, sur la demande de M. Hans Elders qui a, je crois, accordé quarante-huit heures au lieutenant Wilson Drag pour réparer… Il n’a pas réparé.

À l’émotion de la foule succédait une stupeur muette. De l’air d’un homme qu’accable un aveu, Hans Elders venait de reconnaître :

— Notre ami Teddy, dit la vérité, messieurs, j’ai chassé de chez moi le lieutenant Wilson Drag, alors qu’il venait de commettre ce vol…

— Non, hurla brusquement le malheureux officier, non, monsieur Hans Elders, je vous le jure sur la tête de ma mère, comme je vous l’ai déjà juré, je suis innocent… je suis innocent…

— Taisez-vous, cria une voix brutale.

L’officier se retourna.

— Ah, mon Colonel, vous qui me connaissez ?

Derrière le lieutenant venait en effet de se dresser le colonel Moriss, commandant en chef l’escadron des lanciers de la Reine auxquels appartenait Wilson Drag.

Le colonel, très ému, tordait sa moustache blanche et ne répondit pas à l’imploration de son subordonné :

— Monsieur, fit-il, j’ignorais le crime dont vous êtes accusé. Mais le scandale est désormais public et pour l’honneur de l’uniforme il faut que la lumière éclate pleine et entière. Nous vous réhabiliterons si vous êtes innocent, mais vous serez châtié si vous êtes coupable… Capitaine Bulcher, je mets désormais le lieutenant Wilson Drag sous votre surveillance, vous en êtes responsable.

Le capitaine Bulcher, un colosse au teint basané, qui était officier de l’armée indigène, prit par le bras le lieutenant et l’entraîna hors des salles de jeu.

Dans celles-ci, en dépit des efforts des croupiers, le baccara était déserté.

De tous côté on interrogeait Hans Elders et Teddy, et Fandor.

Hélas, des explications fournies par les deux premiers, il ne pouvait subsister de doute pour personne.

L’officier Wilson Drag était bien coupable, on l’avait pour ainsi dire pris en flagrant délit et c’était même son futur beau-père, – puisque le lieutenant devait épouser Winifred – qui avait été obligé de le chasser.

Cependant que Hans Elders donnait d’abondantes explications sur le scandale, Teddy, que cette singulière exécution dont il avait été le principal auteur, devait remuer, se renfermait de plus en plus dans un mutisme maussade. Profitant d’un moment où il cessait de retenir l’attention, il s’esquiva du cercle.

Fandor s’élança à sa poursuite et le rattrapa au vestiaire.

Ne voulant point lui montrer, par ses premières paroles, le fond de sa pensée, ni lui laisser deviner ses appréhensions, il l’interpella sur un ton jovial :

— Eh là, mon ami Teddy ?

— Que me voulez-vous, monsieur Fandor ?

— Dieu, quel air tragique. Vous avez l’air bien pressé de partir ? Voulez-vous que nous allions fumer une cigarette ensemble ?

— Dans un salon écarté, si vous le voulez bien.

Les deux jeunes gens se retrouvèrent, en tête à tête, dans la salle de lecture, vide : il était deux heures du matin.

Le journaliste bouillant d’impatience interrogea :

— Cette fois m’expliquerez-vous ?

— Quoi ? fit Teddy en ouvrant de grands yeux étonnés, limpides et si innocents, que Fandor en demeura surpris.

— Mais… votre attitude… votre façon d’être.

— Je vous ai tiré d’affaire, murmura simplement Teddy, en vous évitant un duel avec le lieutenant Wilson Drag qui, certainement, vous aurait étendu raide mort, avant que vous n’ayez levé le doigt.

— Grand merci, répliqua Fandor, je dois reconnaître que vous vous trouvez toujours là lorsqu’il s’agit de me tirer d’affaire. Mais, véritablement, vous êtes trop aimable, et cette sympathie exagérée commence à me peser. D’ailleurs si vous avez accusé le lieutenant Wilson Drag de ce vol, c’est que vous le savez coupable ?…

Teddy eut un petit rire nerveux et regarda Fandor bien en face.

— Je sais que Wilson Drag est innocent du vol qu’on lui reproche.

— Mais, bon Dieu, petite crapule, hurla Fandor, dites donc la vérité pour une fois et ne faites pas perpétuellement des mystères.

L’adolescent ne répondit pas, mais un tremblement nerveux le secoua tout entier.

Fandor, sans s’apercevoir de l’état de Teddy, poursuivait, lancé :

— D’abord j’aime autant tout vous dire, je suis net et franc, moi, catégorique et sincère, moi, eh bien, Teddy, si vous êtes sûr de l’innocence de Wilson Drag, moi je suis certain de votre culpabilité, car, hier au soir, je vous ai vu voler dans le cabinet de Hans Elders. Voler l’argent dissimulé dans les cartouches. Cet argent que vous vous êtes approprié, cet argent qui me brûle les doigts, car si quelqu’un a triché tout à l’heure, ce n’est pas moi, mais vous. Vous qui avez perdu pour me faire gagner l’argent de votre vol d’hier.

Et joignant le geste à la parole, Fandor jeta au visage de Teddy, horriblement pâle, les billets de banque que le journaliste avait si facilement gagnés quelques instants auparavant.

Teddy réagissant toutefois avait complètement repris son sang-froid.

Sans la moindre vergogne, il ramassa un à un les billets que Fandor avait jetés autour de lui.

— Monsieur Fandor, fit-il d’une voix douce et persuasive, cet argent vous l’avez bien mérité, il vous appartient, gardez-le…

Fandor protesta du geste, Teddy n’insista pas :

— Soit, ajouta-t-il, je le conserve, il est à votre disposition et vous me le réclamerez bientôt, car il est juste que vous en ayez la propriété. Monsieur Fandor, cet argent n’a rien de commun avec celui que vous m’avez vu prendre hier au soir dans les cartouches de Hans Elders. Drôle de coffre-fort, n’est-il pas vrai, monsieur Fandor, soit dit en passant, pour serrer de l’argent ? J’ajoute que ce vol, puisque tel est le mot qui semble vous plaire, je l’ai commis. Je ne le nie pas, je ne le regrette point, je m’en vante. Ce serait à refaire que je recommencerais…

Au fur et à mesure que Teddy parlait, Fandor sentait sa raison chavirer : Ce gamin avait une telle pondération, une telle façon de présenter les choses, avec des sous-entendus si étranges et si concluants, qu’il semblait devoir avoir raison et cependant…

— Teddy, vous en savez long certainement sur le vol du nègre, eh bien, au nom de notre amitié naissante, dites-moi la vérité.

Teddy rougit de plaisir, tendit sa petite main à Fandor, celui-ci la serra sans arrière-pensée.

Soudain rasséréné par l’attitude plus confiante de son ami, Teddy s’installa à califourchon sur une chaise, et les deux bras croisés sur le dossier, souriant d’un air narquois, il commença :

— Mon ami Fandor, vous êtes un sot, et si vous n’aviez pas Teddy à côté de vous, pour vous tirer d’affaire, vous seriez embarqué dans les plus désespérantes aventures. Mais Teddy tient à vous, car vous lui êtes sympathique. Oh ! cela oui, très sympathique, je vous l’assure.

Teddy s’arrêta une seconde, puis reprenant avec précipitation :

— Avec vous, à nous deux, nous allons tirer ces ténébreuses affaires au clair. Écoutez : Hans Elders est le voleur, c’est un brigand, un monstre, un bandit sinistre. Il a volé l’argent de Jupiter. Il a fait croire à ce pauvre nègre que c’était le lieutenant Wilson Drag qui l’avait dérobé. Hans Elders a joué ce vilain tour à l’officier parce qu’il savait que Wilson Drag était l’amant de sa fille Winifred, l’amant de Winifred, entendez-vous, Fandor, et qu’il ne veut à aucun prix, de ce lieutenant sans fortune pour gendre.

— Mais, interrompit Fandor, tout cela ne m’explique pas…

— … L’affaire des cartouches n’est-ce pas ? Rien n’est plus simple, mon cher ami… Hans Elders a simulé un vol et il a précieusement rangé l’argent dérobé au brave nègre Jupiter. Le hasard d’un fusil qu’il a fallu charger m’a fait découvrir la cachette de Hans Elders, et le contenu des cartouches roses. Je les ai prises pour rendre à Jupiter sa petite fortune. Et voilà. Jupiter depuis ce soir est en possession de son argent. Voyons, Fandor, ai-je eu tort et en bonne équité est-ce commettre un vol que voler un voleur pour désintéresser le volé ?