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— Il faudra tirer Wilson Drag d’affaire.

— Oui, ce pauvre garçon expie chèrement son incorrection.

— Quelle incorrection ? interrogea Fandor.

Teddy rougit, un peu embarrassé :

— Ne vous ai-je pas dit qu’il avait fait sa maîtresse de Winifred Elders ?

— Oh ! s’écria Fandor, si ce n’est que cela…

Fandor n’insista pas, il comprenait que Teddy avait des principes avec lesquels il convenait de ne pas transiger. Fandor avait d’ailleurs une autre question à poser à son bizarre petit camarade.

— Répondez-moi, dit-il franchement, vous pouviez ne rien dire tout à l’heure et c’est très dur ce que vous avez fait : accuser le lieutenant d’un crime dont il est innocent, pourquoi ?

— Je vous l’ai dit, Fandor, pour éviter qu’il ne se batte avec vous. Pour vous sauver.

— Pour me sauver, répétait tout bas Fandor, perplexe.

Puis, fixant à nouveau le jeune homme :

— Pourquoi vouliez-vous tant me sauver ?

Teddy parut horriblement gêné par cette question. Fandor répéta sa question.

Elle eut pour résultat de faire fuir Teddy qui, avant de se séparer de Fandor, lui lançait cette phrase énigmatique :

— Vous le saurez lorsque nous aurons retrouvé la fameuse tête de mort.

Puis il disparut.

11 – UNE BONNE FARCE

Étrange cavalier.

Après un temps de galopade folle, où il avait fait preuve d’une extraordinaire habileté pour diriger sa bête, la relever quand elle butait aux pierres du chemin, la calmer quand elle s’effarait d’un aspect plus sinistre du paysage, il venait, reprenant rudement les rênes, de se mettre au pas.

Le cheval qu’il montait, impétueux, ardent, acceptait mal cette allure tranquille, mais son maître devait être un cavalier hors ligne, car indifférent à ses révoltes frémissantes, il le maintenait sans apparence d’effort, le forçait à se plier à son caprice.

Les lieux par lesquels passait ce cavalier eussent encore ajouté à l’épouvante que pouvait causer sa seule apparition : Ravins, collines, rivières desséchées avec, par endroit, des blocs de rochers, écroulés de la montagne, obstruant le chemin ; ailleurs, un torrent qui coupait la route, se ruant aux bords escarpés de son lit dévalant avec fracas, pour se perdre, plus loin, dans une vallée.

Mais le cavalier connaissait, probablement pour l’avoir maintes fois suivie, la route qu’il avait empruntée cette nuit. C’est avec une main ferme qu’il dirigeait sa monture, il ne paraissait avoir aucune difficulté à s’orienter et, ne prenait souci de rien, sauf des trois bêtes qu’il sifflait par moments, et par moments encore, encourageait de la voix :

— Taïaut ! petits ! là ! c’est beau ! et n’aboyez pas !

Les chiens, superbes bêtes, comprenaient avec une intelligence quasi-humaine les recommandations de leur maître. À sa voix, de brefs frissons leur couraient le long de l’échine. Leur tête féroce se levait vers lui, dans leurs yeux un regard d’affection brillait et puis ils sautaient vers lui comme pour quêter une caresse, une flatterie de la main, et cela en poussant un court grognement rauque qui, sans doute, affolait le cheval, car la bête alors pointait, ruait et force était au cavalier de la calmer, de la pousser en avant en usant de toute sa vigueur.

— Drôle d’endroit ! drôle de course disait à haute voix le cavalier, qui maintenant souriait presque. Je me demande si je n’ai point tort de faire ce que je vais faire et si je n’emploie pas des moyens trop romanesques. J’aurais pu déposer ma trouvaille chez lui. Mais serait-ce prudent ? Il hospitalise sans cesse n’importe qui. Si par hasard il n’était pas seul cette nuit je risquerais de lui faire cette restitution pour qu’un autre en profite. Tant pis, je vais l’intriguer un peu. Le jeu en vaut d’ailleurs la peine.

Le cavalier soudain interrompait son monologue brutalement, il venait d’arrêter sa monture, net, au tournant d’un ravin.

— Tiens ! fit-il presque à voix haute, je suis arrivé ? c’est curieux comme la nuit les distances paraissent plus courtes que le jour. J’étais si absorbé par mes réflexions qu’en vérité je ne me doutais nullement que j’étais déjà au carrefour. Allons ! Décidons-nous…

D’un mouvement souple, d’un saut léger qui eût prouvé à qui ne s’en serait pas encore aperçu qu’il était jeune, très jeune, le mystérieux cavalier qui ce soir-là chevauchait sur les plateaux déserts des collines qui avoisinent la ville de Durban, descendit de cheval.

Il réfléchit quelques instants.

Puis, de l’une des fontes de la selle il tira une longe, la passa à la gourmette du mors, puis il attacha l’extrémité de la corde à la branche basse d’un arbre.

— Là, mon ami, déclara-t-il, et tâchez de ne point hennir.

Son cheval attaché, le cavalier maintenant s’occupa des chiens. Il les siffla, les rassembla : en un tour de main il passa au collier des trois superbes animaux une autre corde, qu’il attacha aussi à un arbre voisin.

— Et maintenant nous allons rire, s’écria le cavalier de la nuit.

Ses chiens attachés, il revint vers son cheval et ouvrit soigneusement un paquet pris au trousquin de sa selle. Ce paquet défait, il alla le faire flairer aux chiens…

— Voyez cela, mes petits amis, leur dit-il, à voix basse et comme persuadé que les bêtes devaient comprendre ses paroles, c’est de la viande, de la bonne viande, et comme il y a toute une journée que vous n’avez mangé, j’imagine qu’elle vous fera plaisir.

Le cavalier tenait, en effet, un quartier saignant de viande rouge. S’éloignant alors des chiens qui tiraient sur la corde, le cavalier se dirigea alors vers une maison noyée dans l’ombre, une ferme, une cahute plutôt. Le cavalier s’en approcha, prenant garde de ne faire aucun bruit.

Il ne manifesta d’ailleurs aucune hésitation et, d’une main sûre, il décrocha la cheville de bois qui retenait les volets.

— C’est sa chambre, murmura-t-il, et il passa la tête par la fenêtre :

À droite, contre le mur, une table. Plus loin, une chaise sur laquelle des vêtements étaient posés. Enfin, au fond de la chambre un lit, un grabat plutôt.

Un homme sommeillait lourdement.

— Quel réveil il va avoir, pensait le cavalier.

Et, disant cela, le jeune homme avait jeté à l’intérieur de la pièce, le quartier de viande qu’il tenait toujours. Le dormeur ne s’était pas réveillé.

Ce devait être ce qu’avait espéré le cavalier car il se frotta les mains, satisfait, cependant qu’une sorte de rire muet lui éclairait le visage :

— Mon vieux Jupiter, dit-il à mi-voix, dans cinq minutes vous allez avoir grand peur, mais dans une demi-heure, j’imagine qu’un autre sentiment va s’emparer de vous.

***

Étrange type que le bon nègre Jupiter, ami de la famille Hans Elders. La nature qui l’avait doué d’une force herculéenne, l’avait, en même temps, doté de cette sorte de bonhomie enfantine, de cette naïveté du Bon Noir des légendes.

Jupiter, enfant du hasard, qui n’avait jamais connu très exactement ses parents, s’était élevé un peu tout seul. De bonne heure il avait été, au cours d’une razzia, emmené loin du village cafre où il avait vu le jour.

Jupiter, dans la bonne, comme dans la mauvaise fortune, était resté le même. Son égalité d’humeur était parfaite et il était toujours enjoué malgré tout.

Il avait, à vrai dire, des colères terribles, des paroxysmes de chagrin et de désespoir, mais l’espace d’un quart d’heure. Jupiter tenait à bien manger, à mieux boire, à dormir tranquille, il n’aimait pas exagérément travailler, et n’eût été l’amour ardent qu’il professait pour ce qu’il appelait son noble métier de boxeur, il aurait passé sa vie dans un farniente tranquille, dans une oisiveté monotone et plaisante.