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Jupiter pourtant avait éprouvé un violent chagrin, lorsqu’un voleur inconnu l’avait dépouillé de la riche bourse de son dernier match. Mais, une heure après le vol, il n’y songeait même plus.

On lui avait dérobé sa bourse, c’était vrai, mais il lui restait en somme une parure de chemise, ainsi que le bracelet d’or, et Jupiter qui ne connaissait pas exactement la valeur de l’argent, n’était pas éloigné de considérer qu’il était préférable qu’on lui eût volé les cent mille francs plutôt que son bijou qui valait une fortune.

Jupiter n’avait donc perdu ni le boire ni le manger. Moins encore, il n’avait pas perdu ses qualités de dormeur extraordinaire.

Et dans son lit, dans la cahute qu’il occupait, une cahute qu’il avait élevée lui-même, on ne savait trop pourquoi dans ce ravin isolé, il dormait béat, en homme qui n’a aucun souci et qui rêve à un festin gigantesque.

Et dans ce rêve d’un bonheur fou, Jupiter à l’imagination gargantuesque, goûtait des plaisirs impossibles et irréels…

Soudain, comme il était en train d’attaquer un pâté énorme où quelque cuisinier avait, dans une pâte croustillante et dorée, enfermé un mouton entier, il sursauta… des cris rauques avaient retenti, il avait senti sur son corps quelque chose de lourd et de remuant s’abattre par trois fois.

Il ouvrit alors les yeux, il distingua dans la pénombre trois êtres noirs qui sautaient, dont l’un bondissait sur sa table, dont l’autre trépignait sur son lit, dont le dernier, dans une course circulaire sur le plancher, renversait les chaises, dispersait les vêtements, le tout en poussant des grognements épouvantables.

Et c’est alors que Jupiter sauta hors de son lit.

Il cria au secours.

Comme si sa voix avait excité les mystérieux visiteurs, ceux-ci s’étaient précipités vers lui en poussant des cris atroces.

Jupiter, bousculé, chancela, renversa le lit. Et ce fut le signal d’une scène horrible.

Le point d’appui qu’il cherchait lui avait fait défaut, Jupiter s’étala de tout son long sur le plancher en poussant des cris :

— Li être des diables…

Il criait et les chiens s’énervaient, se disputaient, sautaient, bondissaient. Jupiter s’étant dépêtré tant bien que mal de sa paillasse et des couvertures qui l’avaient à moitié enseveli dans leur écroulement, se trouva soudain nez à nez avec ses agresseurs :

— Li être pas des diables, fit-il, en soufflant un peu, li être des chiens.

C’étaient en effet les trois grands chiens du mystérieux cavalier – qui avaient bondi à l’intérieur de la case et réveillé le bon Jupiter. Par bonheur ces chiens n’étaient pas féroces. Jupiter qui venait d’enfiler un pantalon, constata qu’ils avaient l’air de se disputer quelque chose. Et soudain sa face s’éclaira : un farceur lui avait joué un mauvais tour. Mais qui pouvait être ce farceur ? Jupiter acheva de s’habiller, puis courut à la porte de sa case.

— Hello, cria-t-il, qui être là ? qui s’avoir moqué de Jupiter ?…

Une voix avait répondu :

— Par ici, Jupiter, par le sentier creux.

— Toi, être un farceur, mais moi attraperai toi et moi te tirer les oreilles ensuite.

Et il était beaucoup plus près de rire que de se fâcher. Jupiter d’ailleurs, à un rayon de lune, apercevait le sol du sentier. Il avait plu peu avant et des traces fraîches y apparaissaient. Des traces de fers de cheval…

Jupiter en conçut une violente colère…

— Toi être à cheval et moi à pied.

Mais il n’en continua pas moins à courir. Jupiter, quelques instants après courait même à perdre haleine, coudes au corps, tête basse, comme pris d’une terreur subite. Le noir, en effet, n’était pas rassuré. L’aventure se compliquait. Voilà qu’un nouveau coup de sifflet avait retenti dans la nuit, un coup de sifflet, auquel des aboiements avaient répondu. Jupiter qui tout d’abord n’avait imaginé qu’une très anodine plaisanterie, avait été fort effrayé de voir arriver, galopant vers lui et suivant le sentier creux, les trois chiens qu’il avait laissés dans sa case, en train de massacrer son mobilier.

Or, Jupiter, sans qu’il eût besoin de réfléchir longtemps, avait immédiatement compris la situation. Il était entre les chiens et leur maître. Il était dans un sentier encaissé où il avait juste la place de passer par endroits. Si les chiens voulaient le devancer, ils allaient infailliblement le renverser, le piétiner, le mordre peut-être.

Pour éviter semblable aventure, il détalait de toute la vitesse dont il était capable. Le noir par bonheur, avait une certaine avance sur ses poursuivants. Il atteignit bientôt la sortie du sentier, il déboucha sur la plateforme constituant le promontoire entouré par la mer…

— Ouf, fit-il.

Mais sentant les chiens sur ses talons, il n’en continua pas moins d’avancer.

Or, comme le noir avait parcouru une centaine de mètres, voilà qu’une découverte ahurissante le laissait immobile, muet de stupéfaction, cloué sur le sol, eût-on dit… De l’endroit où il était arrivé, Jupiter pouvait apercevoir la totalité ou presque du petit cap…

Jupiter était persuadé que là enfin il allait rejoindre celui qui lui avait joué la sotte plaisanterie dont il était victime, mais un coup d’œil lui avait permis de se rendre compte qu’aucun être humain ne se trouvait sur le promontoire. En revanche, quelque chose s’y voyait qu’à coup sûr le noir ne s’attendait pas à trouver.

— Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Et c’est à pas précautionneux que Jupiter s’approcha d’une lanterne. Oui, d’une lanterne toute allumée, posée sur le sol et qu’il venait de découvrir. Jupiter n’était plus qu’à quelques mètres de la mystérieuse lumière, quand soudain il s’arrêta, se retourna :

— Et les chiens, fit-il, où li être ?

Les chiens débouchaient du sentier. Jupiter pensa fuir plus loin, mais à ce moment un nouveau coup de sifflet retentit et après avoir marqué un temps d’hésitation, les braves bêtes, d’un seul mouvement, abandonnaient la poursuite du noir, pour bondir à travers les rochers et disparaître dans la nuit.

— Moi, pas comprendre. Pas comprendre du tout, murmura Jupiter qui, haletant encore, essoufflé par sa course rapide, sentait ses jambes vaciller sous lui…

Et, débarrassé des chiens, il recommença de s’avancer vers la lanterne. Le brave noir fit quelques pas, puis, soudain lança un véritable gloussement de joie…

Jupiter venait d’apercevoir, posé sur le sol, près d’elle, dans la lueur jaune de ses rayons un portefeuille, un portefeuille rouge. Que contenait-il ? Jupiter avidement ramassa la pochette, l’ouvrit et roula des yeux joyeux et effarés. De ce portefeuille il venait de tirer toute une liasse de billets de banque.

De longues minutes durant, Jupiter demeura immobile, ahuri, cherchant à rassembler ses idées. Les chiens… le cavalier… les sifflets… la lanterne… les billets de banque… tout cela lui tourbillonnait dans l’esprit. Et puis il comprit…

Et pris d’une envie impérieuse de manifester son contentement devant ce coup du sort qui lui permettait de rentrer ainsi, à une heure où il ne s’y attendait certes pas, en possession de la petite fortune dont il avait été dépouillé, Jupiter dansa une gigue effrénée.

***

— On ne passe pas.

— Moi, pas pouvoir passer ?

— Non, je vous dis qu’on ne passe pas.

— Mais pourquoi ? Moi être Jupiter, le noir…

— Oui, oui, ça va bien. Vous êtes l’homme qui s’est sauvé du bateau.

— Moi, m’être sauvé du bateau ?

— Allons, allons, fais pas l’imbécile. Si tu avances d’un pas, mes hommes tirent sur toi, c’est compris ?… vous autres en joue…

Il était décidément écrit, sur les tables que le malheureux Jupiter n’aurait pas une minute de paix.

Comme il avait enfin serré dans sa poche le portefeuille si mystérieusement retrouvé, voilà qu’au débouché du promontoire il se heurtait à une troupe de soldats qui, commandée par un jeune officier, lui interdisait absolument de quitter la presqu’île.