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Si Fandor avait pu découvrir Fantômas, et s’il avait eu des nouvelles de Juve, il aurait été fort heureux. Hélas, Fandor aurait-il jamais le loisir de se reposer, la tranquillité d’esprit pour faire un retour sur soi-même, et de songer à l’avenir en considérant son passé ?

Les aventures les plus extraordinaires étaient son pain quotidien. Lorsqu’il n’était pas le héros de drames ou de cataclysmes, c’était autour de lui que naissaient les mystères, que se développaient des intrigues auxquelles il était forcé de participer, bon gré, mal gré.

La dernière aventure dont il avait été le témoin et le héros, celle du National Club, était encore fort mal élucidée dans l’esprit de Fandor.

Le journaliste se demandait toujours quel pouvait bien être le vrai coupable.

Certes, il avait foi dans les déclarations de son ami Teddy. Mais la grosse question pour lui, c’était de savoir quelle était la part respective de culpabilité de Hans Elders et du lieutenant Wilson Drag. Quel but ils avaient visé chacun de leur côté. Et la fameuse et sinistre tête de mort ?

Fandor, en venant à la réception, avait quelque peu redouté des questions indiscrètes ou gênantes, car assurément l’algarade de l’avant-veille au National Club, pouvait être connue.

Elle l’était, en effet, mais heureusement pour Fandor l’actualité qu’il constituait personnellement était reléguée au second plan, par une nouvelle plus troublante, plus récente aussi : la peste à bord du British Queen.

***

Fandor et Winifred, peu à peu s’étaient éloignés du reste des invités, dans le jardin.

Et voici qu’ils se trouvaient seuls, en plein bois, au milieu du grand silence africain.

Fandor considérait la jolie brune avec émotion. Entreprenant, audacieux, le jeune homme, qui, non seulement se laissait aller à un penchant naturel, mais qui éprouvait en outre un vif désir de savoir jusqu’à quel point la jeune fille était fidèle au souvenir du lieutenant, se rapprocha d’elle.

Dans un élan passionné, il prit sa main dans les siennes.

— Monsieur, dit Winifred, d’une voix étouffée, que faites-vous, je vous prie ?

Winifred, toutefois ne retirait pas sa main. Mais soudain, la jeune fille poussa un cri et Fandor s’arrêta net.

Winifred, au surplus s’arracha brusquement à son étreinte et disparut en courant, laissant Fandor, en tête à tête avec un tiers qui venait de surgir du plus épais de la forêt.

Teddy.

Teddy à cheval et qui, de la pointe de sa cravache frappait sa botte molle.

Fandor qui avait redouté l’irruption de quelque personnage auquel il aurait fallu fournir des explications, poussa un soupir de soulagement.

— Parbleu, fit-il, Teddy, mon ami, vous êtes joliment malin, j’ai la prétention d’avoir l’oreille exercée, mais je ne vous ai pas entendu venir.

— Vous étiez fort occupé, répliqua Teddy d’un petit ton sec, cependant qu’il fixait sur Fandor ses grands yeux noirs, brillant d’un éclat singulier.

— Le fait est, reconnut Fandor que je ne m’ennuyais pas du tout. Cette mademoiselle Elders est une charmante jeune fille, un peu coquette, peut-être, mais elle vous a une grâce, un entrain, un charme.

— Je vous en prie, interrompit Teddy, il est inutile de m’énumérer ses qualités, je suppose que vous les connaissez déjà. D’ailleurs, ce n’est pas pour vous entretenir de Winifred que je suis ici. Je venais vous prévenir…

— Quoi de nouveau ?

— Jupiter a retrouvé son argent, ainsi que je vous l’avais annoncé. Vous voyez Fandor que je ne suis pas un menteur. L’argent que je possédais l’autre soir n’était donc pas celui du noir.

Les yeux du jeune cavalier s’étaient remplis de larmes.

— Au fond, déclara Fandor, je ne vous ai jamais soupçonné Teddy. Tant mieux, si le noir a retrouvé son argent, il ne nous reste plus maintenant…

— Il l’a retrouvé par mes soins, par ma volonté, loin d’ici, au bord de la mer, sur la côte. Avez-vous revu Jupiter depuis ?

— Ma foi non, fit Fandor… Ah ça, mais il faudrait tout de même savoir, Teddy… Le colonel Morriss parlait tout à l’heure d’un homme que l’on croyait échappé du British Queenet que l’on garde à vue sur les récifs de la falaise. Un noir, paraît-il, ne serait-il pas. Est-ce le pauvre Jupiter ?

Teddy semblait frappé par la coïncidence.

— Vous devez avoir raison, Fandor, déclara-t-il, mon Dieu ce ne serait pas de chance.

— Où allez-vous, interrogea Fandor… vous partez déjà ?

Teddy s’éloignait en effet.

— Je vois aux nouvelles, je vais voir Jupiter, il faut que je tire ça au clair.

— Sapristi, s’écria Fandor, ne vous sauvez donc pas comme ça. J’irais bien avec vous.

Teddy, déjà loin, s’arrêta pour crier au journaliste :

— Vous serez beaucoup mieux ici, mon cher. Vous irez faire la cour à Winifred. Amusez-vous bien, amusez-vous bien.

Et Teddy, enfonçant rageusement les éperons dans les flancs de la bête, disparut dans les fourrés.

Fandor demeura songeur un instant.

Il se décida ensuite à retourner à Diamond House, où évidemment l’avait précédé la charmante Winifred…

— Oh ! oh ! pensait Fandor lorsqu’il eut regagné le jeu de tennis devant lequel on prenait le thé, oh ! oh ! décidément, mon petit ami Teddy a quelque chose qui le turlupine. Mais quel est l’organe attaqué ? Est-ce le cerveau ou est-ce le cœur ?

13 – « IL » EST MORT ?

Hans Elders se leva, quitta son bureau sur lequel il avait étalé papiers, documents, livres de comptes, alla prendre sur la cheminée une petite sonnette au timbre argentin, qu’il secoua violemment.

Un domestique accourut :

Hans Elders, la voix brève et la mine ennuyée, l’interrogea :

— Beaucoup de personnes attendent, Tom ?

— Quatre voyageurs, monsieur.

— Bien ! tu vas les faire entrer, l’un après l’autre, et seulement quand je sonnerai. Gérard est là ?

— Oui, monsieur, Gérard est là.

— Fais-le venir tout de suite.

Tandis que le domestique s’éloignait, Hans Elders fit des préparatifs.

Il tira l’un des tiroirs de son bureau. Un tiroir entièrement doublé d’acier. Devant lui, sur le buvard de son sous-main, il étala un carré de velours noir, puis, il vérifia avec un scrupule extrême l’armement d’un long revolver qu’il posa à sa droite, sur sa table même, bien à portée de sa main et qu’il dissimula aux regards, en jetant négligemment dessus un journal déplié. Cela fait, Hans Elders s’approcha de la fenêtre, rabattit les volets, ferma la croisée, tira les grands rideaux. La pièce était à peine éclairée par une lampe électrique, dont l’abat-jour, long et bas, laissait tout juste filtrer un rayon de lumière sur le bureau de Hans Elders.

Quelques instants plus tard, la porte s’ouvrit, le premier visiteur faisait son apparition. C’était un homme bizarre, dont l’aspect frappait au premier regard, d’une taille au-dessus de la moyenne. Le front élevé, large, dégarni, donnait une impression de volonté farouche, que soulignait encore le double trait des sourcils, très fournis, très noirs, plantés bas et se joignant presque, ce qui parait toute la physionomie d’un air de ténacité remarquable.

Le visiteur était vêtu à la façon des paysans boers, moitié chasseur, moitié guerrier.

Il portait la courte veste à collet montant, le pantalon de velours, large et bouffant, de hautes bottes à l’écuyère tachées de boue. Sur la tête, un de ces larges chapeaux de feutre cabossé, qui sans doute avait vu bien des orages, bien des tempêtes…

Au travers du corps enfin, deux bandoulières, qui n’étaient autres que des ceintures formant cartouchières, s’entrechoquaient en cliquetant. Un manche de poignard, des coutelas, sortaient à moitié de sa poche. Sous la veste, on devinait le renflement d’un long Colt, comme en portent toujours ceux qui sont appelés à parcourir le veld et le plus souvent à y défendre leur vie.