Laetitia n’en dit pas plus.
À peine avait-elle articulé ces mots, que Fantômas, soudain s’était levé, s’était précipité vers elle. Maintenant il la tenait aux épaules, il l’étreignait, la secouait :
— Tu mens, tu ne sais pas si elle est morte ou vivante ? Ah ! Laetitia, prends garde. Ne dis pas de pareilles choses. Tu ne sais pas ce qu’il en coûte à vouloir me tromper.
Mais il semblait que l’attaque brutale de Fantômas ait eu pour premier résultat de rappeler Laetitia à une parfaite maîtrise d’elle-même :
La vieille femme, maintenant, était à nouveau prête à la lutte.
Comme elle avait résisté à Hans Elders, elle tenterait de résister à Fantômas.
— Je ne mens pas, je ne sais pas où est ta fille. Écoute, maître, roi du crime, je n’oserai pas te mentir à toi. Et si tu me demandes quelque chose, un renseignement, une indication, cette indication, ce renseignement, il n’y a qu’un homme au monde qui puisse te le donner.
— Qui ?
— Hans Elders.
— Pourquoi ?
— Parce que ton lieutenant est seul à avoir pu te trahir. Seul à avoir pu s’emparer de ton enfant. Non, ne dis pas non. Fantômas, je te jure que c’est vrai, et je te jure aussi que si j’ai perdu ta fille, si ta fille n’est plus avec moi, si je ne puis pas te rendre ce dépôt, il n’y a pas de ma faute. C’est Hans Elders qui a voulu être le maître de ton enfant afin de pouvoir t’imposer sa loi, qui a dû voler cet enfant.
— Mais quand l’aurait-il volé ?
— Il y a très longtemps. Je ne sais plus combien d’années.
Fantômas, rageusement, se promenait maintenant dans la grande pièce.
— Laetitia, reprit-il, tu ne mens pas ? tu me jures que tu ne sais pas ce qu’Hélène est devenue ?
— Je te le jure.
— Que tu ne vois pas qui, en dehors de Hans Elders, pourrait me renseigner ?
— Je te le jure encore.
— Ma fille, ce n’est pas Winifred ?
— Winifred ?
— Oui, Hélène n’est pas devenue Winifred ?…
— Non ! mon Dieu non.
— Et ton fils ? cet enfant que tu élèves ? Teddy ne se doute pas non plus de ce qu’est devenue Hélène ?
— J’ai recueilli Teddy après le départ d’Hélène.
Pendant quelques instants Fantômas continuait sa promenade de fauve pris à un piège.
Il marchait d’un pas saccadé, nerveux, torturé. Il tenait à la main une cravache, dont à la volée il brisait la hampe sur les meubles.
On le sentait pris d’un désir de destruction, d’un besoin de massacre, d’une rage d’anéantissement.
Et soudain Fantômas, brusquement, s’arrêta :
Il était maintenant en face de Laetitia, près d’elle, à la frôler…
De nouveau il la prit par les épaules, il la secoua :
— Laetitia, Laetitia, comment crois-tu que je vais te punir ? comment crois-tu que je vais me venger pour ton épouvantable légèreté ? Comment crois-tu que Fantômas va te faire payer la douleur que tu lui imposes ?
— Je suis innocente.
— Non, tu n’es pas innocente et rien ne peut excuser ta faute, dont les conséquences risquent d’être irréparables. Comment ! je t’avais confié ma fille, mon enfant, ma petite Hélène, avant de partir à la conquête du monde. Et tu m’annonces froidement aujourd’hui que cette enfant a disparu, que tu ne peux pas me la rendre. Laetitia, tu m’annonces cela alors qu’après dix années de lutte, dix années de dangers, dix années d’horreur, je suis devenu, moi, le pauvre bougre d’alors, le Roi du meurtre, le Maître de la Mort, le Crime Insaisissable. Et tu t’imagines que je te crois ? Et tu t’imagines qu’il va te suffire de me répondre : « Fantômas, je ne sais pas où est votre fille », pour que je renonce à l’espoir de la retrouver ? Ah ! vieille femme, on voit que tu ignores qui est Fantômas, et ce dont Fantômas est capable.
Laetitia ne répondit rien, elle était plus morte que vive…
— Écoute, reprit Fantômas, d’une voix encore plus grave, en pesant sur les mots d’une façon encore plus impérieuse, tu vas me dire où est Hélène ?
— Mais je ne le sais pas.
— Ou tu vas mourir au milieu d’abominables tortures…
— Tue-moi, Fantômas, torture-moi si tu veux. J’ignore où est ta fille.
***
Quel était donc le secret que détenaient à la fois Laetitia, Hans Elders et Fantômas ?
Jadis, le monstre insaisissable avait été un honnête homme. Il avait vécu au Transvaal puis, lors de la guerre, s’était engagé dans l’armée anglaise, trahissant les Boers.
Cependant il tenait à ces derniers par des liens indestructibles. D’une femme de Pretoria, il avait eu un enfant, une fille qu’il adorait.
Traqué par ceux qu’il trompait, Fantômas, alors uniquement connu sous le nom de Gurn, avait confié son enfant à la vieille Laetitia, enfermant dans un coffret un crâne qui servait de cachette à ses papiers de famille. Puis il s’était enfui, pensant revenir bientôt.
Les circonstances devaient décider autrement :
Gurn, devenu ensuite Fantômas, n’était connu que d’un homme à Durban. C’était Hans Elders, un bandit de son espèce qui, ayant suivi de loin les aventures de celui dont il avait été le complice, savait que le Gurn, père de l’enfant confié à Laetitia, était devenu le redoutable Fantômas.
Certes Fantômas, sans nouvelles de l’Afrique pendant dix ans, n’aurait pas dû s’étonner de la déclaration de Laetitia, d’autant que la vieille femme avait, entre temps, appris de Hans Elders, que Fantômas et Gurn ne faisaient qu’un. Il aurait dû comprendre qu’il était fort possible que Laetitia ne lui mentait point, lorsqu’elle lui affirmait qu’elle ignorait ce qu’était devenue sa fille. C’est si peu de chose qu’un enfant.
Et dans les plaines immenses de l’Afrique du Sud, dans ces contrées infestées d’assassins, dans ces contrées insalubres, dans ces contrées où, tous les jours, des hommes tombent sous la dent des fauves ou la sagaie d’un Cafre, frappé par la balle d’un ennemi, tué par la fièvre maligne… Il est si fréquent qu’un petit enfant disparaisse, qu’il ne convient pas d’en être surpris le moins du monde.
Mais Fantômas, l’homme à qui tout avait réussi jusqu’alors, qui, des pires périls, avait su sortir indemne, qui, au milieu de dangers, s’était sauvé par des ruses fantastiques, ne pouvait admettre qu’une telle épreuve s’abattît sur lui.
La rage s’était emparée de lui. Laetitia disait-elle vrai, ou alors, résistant à Fantômas, refusait-elle d’indiquer au bandit ce qu’était devenue la fille de Gurn, l’honnête homme autrefois ?
— Veux-tu répondre ?
— Je ne sais rien.
— Veux-tu me dire quel est l’enfant qui porte le signe qui me permettra de reconnaître ma fille ?
— Il n’y en a pas.
— Veux-tu me dire ce que tu as vu de la disparition d’Hélène ?
— Je n’ai rien vu. Un jour elle était là, dans la ferme, et le soir, elle n’y était plus à mon retour.
— Tu n’as rien vu.
Et il eut cette phrase étrange :
— Tes yeux ne te servent donc à rien, Laetitia ?
— Fantômas, ce n’est pas de ma faute.
— Eh bien, en ce cas, puisque tu ne sais pas te servir de tes yeux, je vais t’en priver.
D’un bond, Laetitia s’échappa à l’étreinte du bandit qui, jusqu’à cette minute, l’avait maintenue de force devant lui, sous son regard.
— Que dis-tu ?
— Que je vais me venger.
Fantômas, sans même se presser, et comme certain d’avance que Laetitia ne pouvait lui opposer la moindre résistance, s’avança vers la vieille femme. Il l’empoigna par le bras et, d’une seule poussée, brutalement, farouchement, il la jeta à terre :
Laetitia tomba à genoux devant lui, qui hurlait :
— Pitié, grâce. Je te dis, maître, que je ne sais pas.
Mais lui, tout à sa colère, tout à sa vengeance, ne semblait pas avoir conscience même des paroles de la vieille femme.
— Une dernière fois je t’offre la vie. Dis-moi où est ma fille ?