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Une foule qu’on ne pouvait pas distinguer encore, hurlant et criant, se précipita en courant vers la clairière.

La lueur des torches éclairait des visages convulsés par la colère. On brandissait des matraques, on jetait des pierres et on criait encore et toujours :

— À l’assassin ! à l’assassin !

La foule poursuivait un gibier qui se trouvait entre les duellistes et elle.

Et cette victime, c’était :

— C’est Jupiter, le noir.

La colonne des poursuivants venait de déboucher dans la clairière.

L’air ahuri, le nègre s’arrêta un instant devant les deux personnages qui se présentaient inopinément devant lui, puis, soudain, reconnaissant le lieutenant, il poussa un cri sauvage et se rua sur lui :

— Voleur, hurla-t-il.

D’un coup de poing, d’un seul, il l’envoya rouler à terre, enjamba son corps et continua sa course précipitée, tandis que le lieutenant restait derrière lui, sur le sol, inerte.

La scène avait été si rapide que Fandor n’avait pas eu le temps d’intervenir.

Dès que le noir eut disparu, il voulut relever Wilson Drag et lui porter secours. Mais la foule hurlante venait de déboucher dans la clairière :

— À mort le noir… à mort l’assassin.

On entoura Fandor, et en voyant le cadavre étendu on devina que c’était là une nouvelle victime de Jupiter :

— Où est-il passé ? Par où est-il parti ? Venez avec nous… Nous allons le lyncher…

Fandor répond comme il peut à toutes ces questions. On le bouscule, on l’entraîne sans qu’il puisse opposer la moindre résistance.

***

Cependant un sifflement étrange, lent, doux, continuait de se faire entendre.

De l’arbre creux, émerge le buste de Teddy.

Le jeune homme est extraordinairement pâle, mais un éclair de joie brille dans ses yeux.

Tous les serpents qu’il a charmés sont encore enroulés autour de lui. Leur tête se penche vers sa bouche comme pour boire les sons harmonieux et leurs crochets venimeux touchent presque les lèvres du jeune homme. Mais Teddy ne semble pas s’en apercevoir, toute son attention est retenue par le crâne qu’il tient à la main et qui, dans la nuit, brille d’une lueur phosphorescente.

Avec des gestes très lents, comme il y était entré, il parvient à se glisser hors du tronc, atteint le sol et se dirige vers le milieu de la clairière.

Teddy marche de plus en plus doucement.

Il s’arrête enfin, figé dans une pose de statue.

Les sifflements alors se transforment en un murmure presque imperceptible.

Peu à peu les serpents se déroulent du corps de Teddy.

Il se tait enfin. Tous les reptiles regagnent le sol et on n’entend plus que de temps en temps le bruissement de leurs anneaux sur l’herbe sèche. Ils rejoignent leur repaire.

Le jeune homme se décide alors à parler :

— Fandor, crie-t-il, Fandor, c’est fini, j’ai réussi, j’ai la tête de mort… Fandor… Mon Dieu… Mais il n’est pas là. Qu’a-t-il bien pu lui arriver ?

Teddy, en effet, se croyait seul dans la clairière. Il n’avait pas vu dans l’ombre le corps inanimé de Wilson Drag.

16 – MORT DE JUPITER

— Place au théâtre, s’il vous plaît. Allons, monsieur Jim, place au théâtre.

— Ce n’est pas une raison pour me bousculer…

— Dame, monsieur Jim, si vous croyez que c’est facile de remuer des décors de six mètres dans votre arrière-coulisse.

— Allez toujours.

— On y va, on y va.

M. Jim, puisque tel était le nom du personnage, se recula contre la muraille pour laisser passer le groupe des machinistes qui se précipitaient vers la scène. Aussi bien ce n’était pas le moment de bavarder, puisqu’on effectuait le changement à vue.

M. Jim, gros homme apoplectique, au visage imberbe et aux yeux clignotants, n’avait pas, d’une bourrade dans le dos, salué le passage du dernier machiniste, – il était bien avec tout le monde, monsieur Jim, familier avec tous ses subordonnés, – qu’il était à nouveau interpellé :

— Eh bien, mon cher régisseur ?

M. Jim, cette fois, se courba en une révérence qui prouvait qu’il avait interprété jadis, au temps où il était acteur, le répertoire classique.

— Diva, murmura-t-il, vous êtes ce soir encore plus capiteuse que d’habitude.

— Vous êtes galant. Jim. On ne peut jamais vous aborder sans vous trouver prêt à faire des compliments. Je suis comme tous les jours.

— Non, non, Diva, ou plutôt oui, car chaque jour vous trouvez moyen d’être plus belle que la veille.

— C’est une déclaration ?

— Oh ! je ne me permettrais pas.

L’artiste qui s’entretenait avec M. Jim, le régisseur, se faufilait le long des portants, alla coller l’œil à un trou du manteau d’arlequin…

— Belle salle.

— Très belle salle. Nous avons une presse du tonnerre, à l’occasion de votre arrivée et ça m’a l’air d’avoir porté. C’est la première fois que vous venez au Natal ?

— Oui, monsieur Jim.

— Eh bien ! vous y reviendrez, vous verrez, quand on a goûté à l’excellent public de Durban, on ne peut plus y renoncer. Vous allez voir cette avalanche de fleurs tout à l’heure dans votre loge.

« Allez ! allez ! faisait M. Jim, qui, à l’entrée des portants donnant sur le plateau, examinait une par une les danseuses qui s’apprêtaient à paraître devant le public.

Il rajustait un bouton, pinçait les plis d’une robe de gaze, disposait un nœud, vérifiait les rubans des sandales…

— Allez, allez, vous êtes jolies à ravir, toutes plus les unes que les autres, cela va être un triomphe.

L’une des petites ballerines s’informait :

— Dites, monsieur Jim, le public est bon, ce soir ?

— Très bon, mes enfants, très bon, chaud en diable. Il ne demande qu’à claquer des mains. Tous les fonctionnaires sont là et beaucoup des gens du veld.

Étrange public que le public qui se pressait dans la salle du théâtre de Durban. À l’orchestre, dont les rangs étaient bondés, on se fût cru, n’eussent été certains détails de l’habillement des spectateurs, dans une salle de théâtre européenne. Les privilégiés, en effet, qui s’asseyaient aux fauteuils d’orchestre, appartenaient tous, ou à peu près, au monde officiel de Durban. C’étaient des fonctionnaires, dont la plupart étaient accompagnés de leurs femmes, qui étaient venus se réjouir du spectacle offert et bien trop rare à leur gré. Ceux-là portaient l’habit ou le smoking, tenaient à la main des gants blancs… Et seul détail qui précisait que l’on avait à faire à des coloniaux, ils tenaient, au lieu du claque ou du chapeau haut de forme, le casque de liège, sur les genoux. Les places dont le prix était moins élevé étaient en effet à peu près exclusivement occupées par ce que M. Jim appelait, un peu dédaigneusement, les gens du veld.

Il y avait là de gros fermiers, des gardiens de troupeaux, de rudes cavaliers, des chercheurs d’or, venus au spectacle dans leur accoutrement ordinaire : grand chapeau de feutre, veste courte, cartouchière en bandoulière.

C’était d’ailleurs, ainsi que l’avait dit M. Jim, un excellent public. Les fonctionnaires qui crevaient d’ennui ne demandaient qu’à s’amuser, quant aux gens du veld, tels des enfants, émerveillés de tout, ils trouvaient tout superbe, délicieux, amusant au possible.

En sourdine, la musique attaqua un air, l’orchestre joua une ritournelle, le ballet développa ses méandres compliqués et gracieux. Dans la salle l’enthousiasme atteignit son comble :

— Oh ! délicieux !

— Exquis !

— Une vision de rêves !

M. Jim, qui aimait son métier, qui l’aimait de passion, n’avait pas besoin, lui, de regarder la scène pour savoir ce qui s’y passait.

C’était le moment où les ballerines, deux par deux, se rangeaient, cour et jardin, en des poses soigneusement étudiées, pour laisser l’entrée sensationnelle de la Diva s’accomplir sous le feu des projecteurs.