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— Dans un quart d’heure, docteur, nous serons là, criait le patron de l’embarcation…

Puis la chaloupe s’éloigna à toute vapeur.

Le British Queensemblait une épave abandonnée au gré des flots. Le long du bastingage, près des roufs, crispés en des poses de torture et de douleur, des cadavres bleuâtres. Une odeur de putréfaction.

— Hélas, songeait Fantômas, combien vivent encore de ceux que les lois impitoyables, mais justes ont empêché de débarquer ?

Car, dans son extraordinaire aveuglement, le bandit oubliait presque qu’il était la cause de toute cette horreur dont il s’effrayait.

Fantômas fit lentement le tour du bateau pestiféré…

Rien. Personne.

— Mon Dieu, songea le bandit, va-t-il donc falloir que j’explore tout le bâtiment ? Ce matin, ils ont fait des signaux. Donc, il reste des gens en vie. Donc, je dois pouvoir les retrouver. Et puis, où est Juve ? C’est Juve que je veux.

Les minutes passaient. Fantômas, se souvenant soudain qu’il ne pouvait espérer rester plus d’un quart d’heure dans l’infernal bâtiment, sous peine d’être contraint à y demeurer, se sentit frémir.

Il appela :

— Juve. Juve.

Mais l’écho seul répondit.

Frissonnant, il empoigna alors l’une des mains-courantes qui bordaient l’escalier conduisant aux cabines de première classe.

— Si Juve vit, il doit être là. S’il est mort, c’est là qu’il a dû mourir.

Fantômas, par l’étroit escalier, pénétra dans le steamer… Il s’étonnait de plus en plus de n’apercevoir nul être vivant… Pourquoi les pestiférés qui, cependant, avaient appelé au secours, ne se montraient-ils pas ?

Où étaient-ils donc ?

Pourquoi se cachaient-ils ?

Ils savaient bien, cependant, que celui qui venait d’arriver était un médecin.

Ils auraient dû se précipiter au-devant de lui pour réclamer ses soins, se partager le sérum antipesteux…

Fantômas, lentement, précautionneusement, avançait…

Il était maintenant dans l’un des étroits couloirs qui séparaient les cabines.

Il lui semblait, à chaque aspiration, que la mort entrait en lui. Il lui semblait surtout que partout il allait rencontrer un piège qui l’immobiliserait, qui l’empêcherait de regagner le pont, l’air libre, de réembarquer sur la chaloupe. Et, pour la première fois de sa vie, Fantômas avait peur.

De temps à autre, pourtant, d’une main tremblante, il entrebâillait la porte d’une cabine. Mais partout, dans tous les salons, des cadavres.

Et saisi de stupeur, il avançait criant toujours :

— Juve, Juve.

Mais, soudain, il s’immobilisa…

Devant lui, marchant à sa rencontre, deux hommes s’avançaient…

L’un d’eux, entièrement vêtu de noir, était méconnaissable.

Il portait des vêtements flottants ; sa tête, dissimulée sous des bandeaux noirs, ne pouvait être vue.

Près de lui, au contraire, se trouvait un homme que Fantômas reconnaissait…

Oui ! c’était Juve ! Juve lui-même ! Juve ou son fantôme… Car Juve avait une face livide, tourmentée, effrayante à voir…

Fantômas, après s’être arrêté, instinctivement, constatait que ceux qui venaient au-devant de lui s’étaient eux-mêmes arrêtés. Sans doute étaient-ils aussi surpris de le voir, qu’il avait été effaré de leur apparition ?…

Le bandit, pourtant, bientôt, se précipita…

Dans la terreur folle qui, petit à petit, avait envahi son cerveau, il éprouvait le besoin de rencontrer des êtres vivants, de parler, d’entendre des voix humaines…

— Juve ! Juve ! hurla-t-il encore…

Mais comme il s’élançait en avant, vers les deux hommes, voilà que ses mains qu’il tendait vers eux se heurtaient à une cloison qui lui barrait le passage et qu’à la même minute, brutalement, par derrière, il se sentait saisir aux épaules.

Un genou s’appuyait sur son dos…

Deux mains nerveuses s’accrochaient à ses bras.

Un croc en jambes lui faisait perdre l’équilibre…

Fantômas tomba !

Fantômas, en une seconde, sentit qu’on emprisonnait ses chevilles dans un câble, qu’une cordelette s’enroulait autour de ses poignets…

— Au secours, cria-t-il, ne sachant même plus s’il n’était point victime d’une effroyable hallucination…

Il dut vite comprendre, au contraire, que tout ce qui lui arrivait était réel, bien réel.

C’était la voix railleuse de Juve, en effet, qui lui répondait :

— À votre tour, Fantômas, d’être le prisonnier de la peste. Parbleu, vous aviez eu une invention démoniaque en lâchant vos rats, en m’enfermant ici, mais c’est à vous d’en être victime, à présent.

« C’est mon tour de triompher ! Mon cher docteur, vous resterez ici. C’est moi, moi seul, qui repartirai tout à l’heure dans la chaloupe, moi qui, vêtu de la blouse comme vous, masqué comme vous, car je vais troquer mes vêtements contre les vôtres, passerai le plus aisément du monde pour vous.

Fantômas ne répondit rien.

Telle était l’énergie de cet homme que maintenant qu’il se trouvait en face d’un danger connu, d’un ennemi connu, il s’était ressaisi, il était rentré en possession de son sang-froid habituel…

Et, se taisant, Fantômas réfléchissait…

Peu lui importaient les paroles de Juve.

Si Juve raillait, après tout, le policier était fondé à se venger…

Et Fantômas, qui connaissait Juve, qui le savait incapable d’une vilenie, d’une action lâche, n’était pas trop inquiet sur les conséquences que pouvait avoir sa capture par lui.

Non, ce qui l’intriguait, ce qui le laissait haletant, c’était ce mystère :

« Il avait eu la seconde d’avant l’impression que Juve en compagnie d’un étranger tout vêtu de noir, s’avançait vers lui, alors qu’en réalité Juve le suivait et que Juve était seul… »

Quelle était l’explication de cette erreur ?

Pourquoi aussi avait-il cru buter dans une cloison ?

Fantômas, soudain, éclata de rire.

— Parbleu, cria-t-il, la glace… c’est la glace ?

Juve, surpris de cette gaieté intempestive qui, mieux que n’importe quoi, pouvait marquer l’énervement où était Fantômas, ne put s’empêcher d’approuver…

— Oui ! fit-il, commentant les paroles de Fantômas, j’ai compris votre erreur, moi. Vous ne vous êtes pas aperçu qu’une glace occupait le fond de ce couloir où vous arriviez ? Vous avez cru que je venais au-devant de vous, alors qu’en réalité, je marchais derrière vous ?

— Mais l’homme noir ? interrogea Fantômas…

— L’homme noir ? c’est vous.

Fantômas baissa les yeux, se regarda… Juve avait raison.

Lorsque Fantômas avait quitté Durban, la blouse blanche qu’il portait était toute imprégnée de produits antiseptiques. À ces produits, s’était collée la suie s’échappant de la cheminée de la chaloupe à vapeur…

Et petit à petit, le vêtement blanc de Fantômas était devenu noir, parfaitement noir.

L’explication du mystère donné, Juve, d’ailleurs, se hâtait :

Il avait pris Fantômas par les épaules, il le tirait en arrière :

— Vous me comprenez, n’est-il pas vrai ? demanda-t-il, cependant qu’ayant attiré le bandit dans une cabine vide, il le dépouillait de sa blouse, il prenait son masque.

— Vous voyez mon plan, Fantômas ? Vous avez eu jadis l’idée infernale, je le répète, de faire naître la peste à ce bord pour que j’y sois retenu par la surveillance rigoureuse des bâtiments de la Santé… Parfaitement. Vous allez être pris à votre propre piège. Oh, j’ajoute que votre sort, à vous, sera infiniment moins terrible que ne l’a été le mien. Comme je ne veux pas votre mort, parce que je ne suis pas un assassin, moi, Juve, je me suis arrangé ce matin, après avoir fait moi-même les signaux, que j’avais minutieusement appris et préparés dans les livres de bord, découverts dans la cabine du capitaine, mort, il y a déjà huit jours, j’ai fait en sorte de faire descendre tous les malheureux, atteints par la maladie dans le faux pont. Ils n’y sont pas plus mal qu’ailleurs. Ils ont la libre disposition de tout le bateau à l’exception des salons de première et du pont… Vous, Fantômas, vous serez donc libre d’aller et venir sur le pont et dans ces cabines… Vous ne verrez les pestiférés que si bon vous semble ; vous ne courrez pas, en somme, grand risque de contagion, puisque, grâce à ma ruse, grâce aux écoutilles qui sont fermées, ils ne peuvent venir jusqu’à vous… Ah ! je vous signale pourtant que vous rencontrerez un pauvre enfant, un jeune mousse d’une douzaine d’années qui, lui aussi, n’est pas encore atteint par la terrible maladie. Lui et moi, voilà les deux seuls êtres, Fantômas, avant votre venue, qui avaient pu échapper au terrible fléau. Cet enfant vous aidera, sans doute, à vous déligoter… Des liens de corde, d’ailleurs, ne sauraient vous gêner longtemps. Il vous dira que j’ai pris soin de faire un amas de conserves, en boîtes plombées. Il vous montrera où il est… Si vous tenez à la vie, ne touchez pas à d’autres provisions. Ce sont les seuls aliments que vous puissiez trouver intacts de façon à peu près certaine…