Teddy, cependant avait lâché son revolver, jugeant indigne de le conserver en présence d’un adversaire qu’il savait désarmé.
Mais il venait de voir le geste de Wilson Drag :
— Non, dit-il, ne touchez pas à cela.
La voix de Teddy était changée… désormais il suppliait.
Wilson Drag obéit, mais bien involontairement.
Au moment où il s’était emparé du crâne, les mâchoires qui s’étaient écartées pour laisser passage à ses doigts qui en forçaient, l’entrebâillement, venaient, actionnées par un ressort intérieur, de se refermer sur la main de l’officier.
Celui-ci poussa un cri de douleur. Le crâne, s’échappa, roula à terre…
Cependant Wilson Drag s’avançait de quelques pas, comme étourdi, puis, soudain il s’affaissait sur le sol, lourdement, sans un mot, sans une plainte, cependant que ses yeux se révulsaient, que ses membres s’agitaient d’un tremblement nerveux, et que son visage bleuissait.
Winifred à demi-morte de terreur et d’émotion s’était précipitée auprès de son amant, s’efforçant de le ranimer.
Elle allait couvrir de baisers ses lèvres qui peu à peu devenaient violettes, elle allait essayer de réconforter par des caresses ce corps qui ne bougeait plus.
Teddy l’en écarta :
— N’approchez pas, fit-il, les yeux fous, n’approchez pas, Winifred…, cet homme est empoisonné.
C’en était trop pour la malheureuse, elle s’évanouit.
**
Quand elle reprit conscience, Teddy l’entraîna hors de la maison.
— Winifred, dit-il, ce brave homme qui conduit son char à bœufs consent à transporter le lieutenant jusqu’à l’hôpital. Il y sera dans une heure. Accompagnez-le, il est encore temps de le sauver.
Winifred prit place à côté du lieutenant qui ne donnait plus signe de vie, elle appuyait sa tête sur ses genoux :
— Ne l’embrassez pas, cria Teddy, extraordinaire de calme et de sang-froid, cela ne servirait à rien et vous pourriez être contaminée.
***
Une nouvelle surprise attendait Teddy quand il revint au chevet de Laetitia : la mystérieuse tête de mort avec laquelle Wilson Drag venait de s’empoisonner avait disparu.
20 – RETOUR D’UN IMPOSTEUR
Un enthousiasme prudent animait la population de Durban quand la chaloupe porteuse du médecin qui était aller soigner les pestiférés du British Queenregagna le port.
Certes le docteur qui revenait de l’épave, l’audacieux qui venait de frôler la mort, méritait l’accueil chaleureux que la population lui réservait… Mais il n’apparaissait pas qu’il fût nécessaire de l’exposer, pour le fêter, à recevoir de lui les germes de la terrible maladie qu’il rapportait vraisemblablement dans les plis de ses blouses.
Les autorités s’abstinrent, « pour le bien de tous ». Le médecin charitable n’aurait été accueilli par personne, au débarqué, si le vieux Hardrock n’avait sauvé la situation. Hardrock était directeur de l’Hôpital civil. À soixante ans, il croyait moins que jamais à la médecine, et, comme il le répétait à ses élèves : Je sauve les malades, toujours pour de très mauvaises raisons scientifiques.
Averti par un infirmier de son hôpital qu’il avait envoyé sur le port guetter le retour de la chaloupe, le Docteur Hardrock appela ses internes :
— Messieurs, Messieurs, voici que le docteur revient, c’est à nous qu’il appartient d’aller le recevoir, c’est nous qui devons le fêter… J’espère que, tous, vous tiendrez à honneur d’assister à la réception que je me propose de lui faire dans les salons mêmes de notre cher hôpital ?
Or, pendant ce temps, Juve voyait l’embarcation qui l’emportait se rapprocher du port, non sans une certaine émotion.
Le policier songeait :
— Que va-t-il se passer à mon débarquement ? Ce matin quand j’ai vu le docteur arriver et quand j’ai reconnu que ce docteur était Fantômas, j’ai parfaitement deviné qu’ayant envie de savoir si j’étais en vie ou non, Fantômas avait joué une comédie quelconque pour venir à bord du British Queen… Cela, c’était facile. Et il était facile aussi pour moi de le remplacer et de repartir dans cette chaloupe. Tant que je porte ces grandes blouses et ce masque, il est bien évident que nul ne peut soupçonner ma supercherie, s’apercevoir que l’homme qui revient du British Queenn’est pas l’homme qui y est parti… Mais, enfin, j’imagine qu’il va bien falloir tout à l’heure, une fois à terre, que je dépouille mon travesti ? Hum, il va falloir jouer serré…
Un heurt violent tira Juve de sa rêverie.
Il était si absorbé qu’il ne s’était même pas aperçu que l’on rentrait dans le port. Il fut tout surpris en levant la tête de voir la chaloupe accoster à l’un des escaliers conduisant à un quai, où un vieil homme, décoré, vêtu de noir, la mine affable et le geste accueillant, paraissait l’attendre :
— Docteur, criait ce vieillard, docteur, c’est un médecin qui, le premier, a voulu vous serrer la main au retour de votre expédition. Vous ne me connaissez pas ? je me présente ! Je suis le professeur Hardrock, directeur de l’Hôpital Civil de Durban. Ces messieurs qui m’entourent, sont mes internes et nous sommes là pour vous apporter, avec les témoignages très sincères de notre sympathie, l’hommage de notre admiration.
Juve s’inclina, touché, mais inquiet toujours.
— Quand ils m’auront vu, constaté que je ne suis pas l’autre, se disait-il, ils perdront toute admiration pour moi. Diable de masque. Si je pouvais le garder.
Mais Hardrock insistait :
— Mon cher collègue, vous devez accepter notre invitation. Vous trouverez chez nous tous les désinfectants. Vous pourrez vous débarrasser de vos blouses et de votre masque, puis boire une coupe de champagne et vous restaurer à notre modeste table.
Juve se décida soudain :
— Docteur, j’accepte de grand cœur. D’ailleurs, je vous avoue qu’en effet, j’ai hâte de quitter ces vêtements.
— Cela se conçoit !
Le docteur Hardrock était brave.
Tandis que ses internes, son état-major, se tenait de plus en plus à prudente distance de Juve, lui, le saisissait familièrement par le bras, l’amenait vers sa voiture.
— Dans trois minutes, dit-il, nous serons à l’hôpital…
Et, repris par ses soucis professionnels, le docteur Hardrock se hâtait d’ajouter :
— D’ailleurs vous ne vous embêterez pas, mon cher confrère… après déjeuner, vous verrez, je vous ferai visiter la maison ; j’ai deux ou trois cas tout à fait intéressants… Un cancéreux, tenez…
— Pourvu, pensait le policier, de plus en plus inquiet des suites de son aventure, pourvu qu’on ne me pose pas des colles de médecine. C’est que je suis absolument ignare, moi, en pareille matière ! C’est que j’ignore complètement comment on traite les cancers et toutes les autres maladies ! D’ailleurs…
Avec une courbe savante, la voiture où Juve avait pris place en compagnie du docteur Hardrock pénétrait dans la cour de l’hôpital, se rangeait devant le perron :
— Je vous conduis ? proposa le professeur, je vous conduis tout de suite dans une salle où vous pourrez vous désinfecter ? Que voulez-vous ? Avez-vous une théorie spéciale sur la peste ?
— Hum, hum, toussa Juve, pour se donner le temps de réfléchir… J’ai peur que mes idées ne vous surprennent mon cher collègue…
— Pourquoi donc ? pourquoi donc ?
Juve dans son esprit venait d’arrêter un plan de conduite absolument incohérent, et qui devait, pensait-il, lui permettre de se tirer de sa dangereuse situation…
— C’est, répondit-il enfin, c’est que j’ai étudié très sérieusement la peste pendant longtemps et que je suis arrivé à des conclusions tout à fait nouvelles…
— Vraiment ?
— Oui, c’est comme cela. Ainsi, docteur, qu’emploieriez-vous, vous, pour désinfecter ?