Le professeur n’hésitait pas :
— Je ne connais qu’un antiseptique puissant : le sublimé. Je me laverais au sublimé, je m’aspergerais au sublimé. Je me raserais avec du savon au sublimé.
— Parfaitement, dit Juve, heureux du renseignement qu’il venait d’obtenir, je vais en effet commencer à me désinfecter de cette façon… Mais, mon cher confrère, savez-vous ce que je ferai lorsque je me serai passé au sublimé ?
— Non, ma foi ?…
— Eh bien, je m’inonderai d’eau de Cologne.
— D’eau de Cologne ? répéta le professeur, qu’est-ce que cela veut dire ? Quelles vertus attribuez-vous donc à l’eau de Cologne ?… Çà, j’avoue qu’en effet, vous me surprenez.
— Mon cher confrère, je vous expliquerai cela un de ces jours… L’eau de Cologne pour les cas de peste, c’est souverain.
Le professeur Hardrock n’osa contredire.
Peut-être ce médecin qui venait de se risquer à visiter le British Queenétait-il un spécialiste de la peste, peut-être avait-il découvert un spécifique nouveau ?
En tout cas, il importait de lui donner satisfaction.
Laissant donc Juve retirer son masque, se dépouiller de ses vêtements – le professeur Hardrock lui offrit du linge et des habits intacts. L’excellent praticien quitta le laboratoire où il avait fait entrer le policier-docteur, pour aller donner les ordres nécessaires et faire préparer à Juve, afin qu’il fût satisfait, un bain soigneusement additionné d’eau de Cologne…
Juve demeuré seul se hâta :
— Après tout, pensait-il, il m’a dit que le meilleur désinfectant c’était du sublimé… Usons du sublimé. L’eau de Cologne que je m’appliquerai ensuite ne me fera pas de mal, j’imagine.
***
Une heure plus tard, Juve sortait frais et dispos de sa baignoire.
Mais soudain, l’hôpital était vide. On ne s’occupait plus de Juve.
— Ah, auraient-ils éventé la mèche ? se demandait le policier. Brr…
— Docteur ? mon cher confrère ?…
En se retournant le policier aperçut le directeur de l’hôpital, le professeur Hardrock lui-même…
L’excellent homme était maintenant revêtu de sa blouse d’hôpital, son chef s’ornait d’une petite calotte noire à glands, signe distinctif qui marquait son autorité sur les internes coiffés eux d’une calotte noire, sans gland.
— Mon cher hôte ? répondit Juve souriant, pendant qu’il se disait en lui-même :
— Une ! deux ! trois ! va-t-il crier à l’imposteur ?…
Mais le professeur Hardrock ne marquait aucune surprise.
— Docteur, disait-il, excusez-moi de ne plus m’être occupé de vous, depuis quelques instants… Figurez-vous que l’on vient d’apporter à l’hôpital un blessé, un blessé extraordinaire et réclamant tous nos soins. Venez donc nous aider. Je suis persuadé que vos excellents conseils…
— Boum ! songea Juve, je n’en sortirai pas. Je vais encore dire des bourdes, tout à l’heure, devant ce pauvre diable. J’aurais dû feindre de ne savoir parler que chinois.
Pourtant comme il fallait répondre, Juve répondait :
— Un blessé, docteur ? C’est que je ne suis pas chirurgien.
— Oh ! c’est un cas qui relève plus de la médecine que de la chirurgie, mon cher confrère. Il s’agit d’un jeune officier que l’on vient d’apporter, empoisonné, délirant à moitié et entièrement violet…
Juve se sentit peu rassuré :
— Bigre de bigre, songeait-il toujours ; c’est que les empoisonnements, ça se traite par les contrepoisons. Or, je n’y connais rien.
Et le policier s’informa :
— Mais par quoi cet officier a-t-il été empoisonné ?
— Allez savoir. Il délire et sa compagne raconte des choses incompréhensibles. Elle affirme qu’il a été mordu, vous m’entendez, par un crâne.
— Par un crâne ?
— Oui, par une tête de mort, et que c’est à la suite de cette morsure qu’il serait devenu violet. C’est une histoire incroyable.
Sans mot dire cette fois Juve hocha la tête. C’est qu’à son oreille de policier, immédiatement, les faits avaient pris une importance exceptionnelle. Un homme mordu, mordu par un crâne et qui en devenait violet. Qu’est-ce que cela signifiait ?
Et malgré lui, encore que ce fût évidemment improbable, au plus haut degré, Juve songeait :
— Fantômas était ici, libre, il y a bien peu de temps. À coup sûr, ce sont des événements mystérieux, des secrets tragiques qui l’ont attiré dans cette région… Voici qu’à peine débarqué, j’entends parler d’un accident, d’un crime, peut-être mystérieux et tragique. N’y aurait-il pas une corrélation à établir ?
Juve pourtant pénétra à la suite du professeur Hardrock dans l’une des grandes salles basses de l’hôpital où, sur un lit, on venait d’étendre le malheureux Wilson Drag qui délirait et auprès duquel les internes s’affairaient…
Juve, une seconde, examina le visage de ceux qui l’entouraient…
Était-ce l’un des jeunes docteurs qui allait dévoiler son imposture ?
Mais non.
Par bonheur, les internes étaient tous trop occupés pour faire attention à quoi que ce fût.
Le professeur Hardrock s’était précipité vers le lit du blessé et il appelait Juve :
— Pour moi, disait-il, pour moi, nous sommes en présence d’un toxique inconnu, inédit, si j’ose m’exprimer ainsi. Les symptômes sont extraordinaires. J’ai bien envie d’administrer un vomitif. Qu’en pensez-vous ?
Juve n’en pensait rien, et ne voulait prendre aucune responsabilité.
Il toussa encore et demanda :
— N’y a-t-il aucun témoin qui puisse nous renseigner ?
— Si. Vous avez raison. Tâchez de tirer quelques éclaircissements de la jeune femme qui accompagnait ce malade. Allez la trouver…
***
Juve, quelques instants après, dans le jardin, questionnait la malheureuse Winie, qui, affolée, perdant la tête lui répondait d’abord à tort et à travers mais finissait par lui apprendre des détails intéressants…
Et Juve écoutant l’incohérente histoire que lui racontait Winie, l’histoire de Wilson Drag innocent, pris pour un voleur, de Wilson Drag persécuté par un jeune homme du nom de Teddy, de Wilson Drag mordu par un crâne qui se trouvait encore chez ce Teddy, de Wilson Drag victime semblait-il, de machinations incompréhensibles, Juve entendant tout cela ne pouvait s’empêcher par moments de murmurer tout bas pour lui-même :
— Fantômas, c’est Fantômas qui doit diriger toutes ces intrigues. Ah je crois que je suis, encore une fois, sur la piste de bien effarants mystères.
Juve allait continuer son interrogatoire. Il en était empêché par l’arrivée d’un interne envoyé par le professeur Hardrock.
— Le blessé va mieux, annonçait le jeune médecin, il demande à vous voir, madame ?…
Juve se levait, offrait son bras à Winie :
— Allons.
Et telle était la curiosité de Juve que, maintenant, il ne songeait plus du tout au risque d’être démasqué.
21 – PRISONNIER DES MACHINES
La tête de mort avait disparu.
Depuis longtemps déjà, un homme au visage dissimulé dans le collet relevé d’un grand manteau drapé à l’espagnole, suivait Winifred et Wilson Drag.
Étouffant le bruit de ses pas, il était parvenu derrière eux jusqu’à la ferme de la vieille Laetitia.
Au moment le plus favorable, alors que Teddy conduisait Winie auprès de Wilson Drag étendu sur le char à bœufs, l’inconnu s’était introduit dans la pièce du rez-de-chaussée, et sans même jeter un coup d’œil sur la morte immobile dans son grand lit tout blanc, il s’était précipité sur la tête de mort, roulée à terre après avoir blessé le lieutenant Wilson Drag.
L’inconnu s’était alors emparé de cet étrange butin, et le dissimulant sous son manteau, il avait disparu.
C’est alors que Teddy était revenu dans la pièce et n’avait plus retrouvé le précieux objet aux allures sinistres, auquel il tenait tant.
Cet homme n’était autre que Hans Elders, le chercheur de diamants.