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Fandor tressaillit en entendant le claquement sec des revolvers qu’on armait :

— Cela va de mieux en mieux, pensa-t-il… va falloir s’arranger pour déguerpir avant d’être aperçu de ces gaillards-là. La justice au Natal me fait l’effet d’être terriblement expéditive, et mieux vaut éviter une rencontre que d’avoir à s’expliquer avec les revolvers de ces messieurs les agents.

Le journaliste scrutait des yeux la pièce dans laquelle il se trouvait. Celle-ci paraissait n’avoir qu’une seule issue et Fandor ne pouvait songer à en profiter, car c’était vers cette porte que se dirigeait le petit groupe d’agents piloté dans l’usine par le redoutable Hans Elders.

Fandor instinctivement recula à l’autre bout de l’atelier. Il aperçut une poignée. Le journaliste poussa un soupir de soulagement.

— Tant mieux, s’écria-t-il, voilà une issue.

Il appuya sur cette poignée, mais, soudain, il entendit un violent crépitement. C’était simplement, non pas un bouton de porte, mais un commutateur électrique qui venait d’allumer les lampes à arc.

Celles-ci, malgré le grand jour, scintillaient éblouissantes, et assurément leur allumage ne passait pas inaperçu, car de l’extérieur, Fandor entendit des exclamations étonnées émanant des lèvres de ceux qui le poursuivaient.

Il aurait voulu signaler sa présence, la crier sur les toits, qu’il n’aurait pas procédé autrement.

— Sacré nom de Dieu, jura Fandor, me voilà frais… dans quelques secondes, ces sauvages vont être sur mon dos et c’est bien le diable s’ils ne me démolissent pas au premier geste.

Instinctivement Fandor éteignait les lampes, mais au mouvement qu’il faisait pour y parvenir la manche de son veston déclenchait un autre commutateur, et soudain un ronflement formidable assourdit l’usine.

C’étaient les machines électriques qui se mettaient en branle.

— Cette fois, conclut Fandor, je suis foutu.

La porte de l’atelier s’ouvrit.

—  Hands up !

Haut les mains. Fandor connaissait l’ordre.

Les mains hautes, c’est-à-dire l’impossibilité de résister, de prendre une arme, d’effectuer le moindre geste sans être immédiatement considéré en état de rébellion et frappé par une balle meurtrière.

Fandor leva donc les mains, résigné, attendant son sort lorsque soudain ses doigts dressés au-dessus de sa tête étaient frôlés par quelque chose, qu’instinctivement Fandor regardait. C’était une grosse courroie de transmission déclenchée quelques instants auparavant par la maladresse du journaliste.

Embrayée sur une poulie, la large courroie montait jusqu’au sommet de l’atelier, passait à travers la toiture, pour aller se perdre on ne savait où.

En l’espace d’une seconde, le journaliste comprit le parti qu’il pouvait en tirer.

Avant que les policiers qui allaient se précipiter sur lui aient eu le temps de comprendre son intention, Fandor, qui de ses deux mains nerveuses et robustes s’était agrippé au cuir de la courroie de transmission, était enlevé par celle-ci comme un fétu de paille.

La courroie l’entraînait vers la toiture de l’atelier, Fandor bénéficia d’une ouverture ménagée dans le vitrage pour le passage de la transmission.

Il passait ainsi cependant que du bas de l’atelier, on tirait à coups de revolver sur cet audacieux évadé.

— Ouf.

Mais l’élan qui lui avait été imprimé au moment de son départ se multipliait, et tandis que la courroie continuant à courir sur la poulie redescendait à l’intérieur de l’atelier, Fandor était précipité dans le vide. Le malheureux eut une seconde la sensation qu’il allait s’écraser sur le sol.

Fandor ne tomba pas sur un sol de terre ou sur de la pierre, mais il s’effondra au milieu d’un marécage de boue grasse et légère qu’agitait une grosse meule de pierre.

Fandor suivait le chemin des terres que l’on remuait sans cesse pour leur faire rendre des diamants. La grosse meule de pierre l’entraînait avec une violence irrésistible, Fandor tombait sur les palettes de bois d’une énorme roue à aube, comme une roue de navire sur laquelle il effectuait un parcours acrobatique, involontaire et en arc de cercle.

Le journaliste moulu, aveuglé, à demi étouffé, ayant de l’eau, du sable et de la boue dans les yeux, les oreilles, la bouche et les narines, était incapable de faire le moindre effort pour réagir, pour lutter contre la tourmente qui l’emportait. Une fois de plus cependant Fandor jugeait avec un imperturbable sang-froid la situation dans laquelle il se trouvait :

Il avait vu quelque part des herses énormes, des roues dentées aux engrenages se mêlant les uns aux autres. Il avait remarqué d’effroyables plateaux broyeurs hérissés de pointes. Il se disait que peut-être, d’ici quelques instants, d’une seconde à l’autre, le hasard de la machinerie inconsciente allait le livrer à l’un de ces monstres de fer, et qu’après cet effroyable contact, son corps sortirait des mâchoires horribles, réduit à l’état de bouillie.

Mais soudain, Fandor qui peu à peu perdait la notion des choses et se sentait défaillir, fut brusquement plongé dans une eau d’une fraîcheur extrême et emporté par un courant de flots tumultueux. Le journaliste suffoqua.

Faisant pourtant d’inimaginables efforts, il réussit à deux ou trois reprises à revenir à la surface de ce tourbillon d’eau glacée. Mais le courant soudain plus rapide encore l’entraîna.

Les eaux tonitruaient, résonnant dans un tube sombre et sonore, Fandor fut emporté.

Dans l’espace d’une seconde, il avait vu le gouffre ou chavirait son corps impuissant à résister.

— Le siphon se dit-il, je suis pris dans le siphon des eaux qui alimentent les machines à vapeur.

Puis ce fut la nuit.

22 – À LA DÉRIVE

Cependant sur le British Queen, la peste continuait ses ravages.

La lutte contre l’épidémie devenait chaque jour plus difficile. Les nombreux cadavres qui pourrissaient sur le navire rendaient l’air absolument irrespirable, les boîtes de conserves qui avaient fait jusqu’alors l’unique nourriture étaient épuisées et il allait falloir manger des aliments suspects.

C’est précisément ce qui faisait l’objet de la conversation des quatre passagers réunis dans la salle à manger.

C’était un Belge appelé Le Clain qui parlait. Ancien étudiant en médecine, il avait quitté l’art de soigner les malades pour embrasser la carrière d’explorateur, plus en rapport avec ses goûts aventureux.

Il se rendait en Australie pour dresser la carte des régions inexplorées. Ses premières études l’avaient qualifié pour prendre la direction des mesures sanitaires, après la mort des médecins à bord. Il était secondé dans son œuvre de dévouement par le naturaliste Towtea, le jeune et déjà célèbre auteur de travaux nombreux sur les capillaires, par le professeur français, Raymond, et enfin par la toujours gracieuse et active Miss Dorothea.

— La lutte est impossible, disait Le Clain. Ce matin j’ai constaté quinze cas nouveaux. Nous n’avons plus les locaux suffisants pour isoler les derniers malades, et ils vont être obligés de rester parmi nous, cela revient à dire que nous sommes tous condamnés et que nous n’avons plus qu’à attendre notre tour. Si nous avions du sérum, peut-être pourrions-nous essayer de résister encore. Mais nous n’en avons pas et notre dernier espoir d’en avoir s’est évanoui avec le départ du médecin de Durban.

— Mais est-ce qu’il n’y a vraiment plus moyen de communiquer avec la terre ? demanda Towtea en se tournant vers miss Dorothea.

— C’est complètement impossible, répondit la jeune télégraphiste. Par suite de la mort de presque tous les hommes d’équipage, les machines du bord se sont arrêtées et personne parmi nous n’est capable de les mettre en mouvement. Il n’y a plus de courant. Mes appareils sont morts.

— Il faut donc nous résigner ?

— Peut-être avons-nous encore un peu d’espoir, répondit Raymond.

Le professeur était resté muet pendant toute cette conversation. Il réfléchissait.