Выбрать главу

Décidé à commencer son enquête, ses recherches de Fandor, par un tour dans la pègre, Juve s’y préparait en se rendant chez un brocanteur qu’il découvrait dans une rue avoisinant le port et où il avait facilement échangé ses habits contre des vêtements moins susceptibles d’attirer l’attention à Durban.

Puis, une fois costumé, se rendant méconnaissable par un camouflage hâtif qu’il réussissait parfaitement, bien que n’ayant à sa disposition que des moyens de fortune, Juve se promenait dans la ville, sans but bien précis, tout simplement pour prendre connaissance des principales dispositions topographiques de Durban, se rendre compte de l’allure qu’avaient les gens et cela, ainsi qu’il se l’était dit lui-même, pour ne point faire de fausses notes, ne point gâcher le rôle qu’il s’apprêtait à interpréter, dès le soir même, dans les bars fréquentés par la population composite et bizarre de Durban.

C’était au hasard de ces promenades, que Juve, de son œil perçant, apercevait avec une surprise satisfaite une de ses anciennes connaissances, Ribonneau, Ribonnard, qu’il avait maintes fois pisté jadis à la Chapelle, du temps qu’il s’occupait de la Bande des Chiffres.

Que faisait-il en pareil lieu ?

Comment un ancien apache parisien avait-il pu venir échouer à Durban ?

Comment cet individu qui, plus ou moins consciemment, mais à coup sûr, certainement, avait aidé aux entreprises de Fantômas, était-il là et qu’y faisait-il au juste ?

Juve se le demanda un instant.

Juve n’hésitait pas dès lors à jouer à Ribonnard la comédie de l’ancien copain.

Et Ribonnard, desservi pour une fois par sa philosophie constante qui ne lui permettait point de trouver quoi que ce soit d’invraisemblable, se laissait prendre au jeu de Juve, s’y prenait si bien, qu’en peu d’instants il était devenu le meilleur ami, l’intime presque, de cet excellent Gueule-d’Empeigne, qu’il n’avait jamais connu sous ce nom, mais qu’il était ravi de retrouver.

Causer dans la rue, debout sur le trottoir n’était pourtant pas l’affaire de Juve. Mais Ribonnard venait de prononcer un nom qui tout de suite avait fort intéressé Juve. Il connaissait Hans Elders, il fallait en profiter.

Juve offrit une tournée de stout au premier débit rencontré. À la première tournée en succéda une autre. Au bout de deux heures, Juve et Ribonnard causaient encore.

— Eh bien, concluait Juve, qui, petit à petit, avait fini par comprendre, bien que son nouvel ami eût usé de nombreuses réticences, le genre de profession qu’il exerçait, eh bien, tu ne t’embêtes pas. T’as eu de la veine de rencontrer Hans Elders.

Et comme l’autre approuvait de la tête, sans mot dire, déjà un peu gris, Juve ajoutait, à l’improviste, jetant dans la conversation un nom qu’il brûlait de risquer depuis qu’il avait rencontré Ribonnard, mais dont il redoutait l’effet :

— T’as pas entendu parler d’un autre copain à moi qui s’est pas mal débrouillé par ici, paraît-il, c’est un certain Fandor ?

Mais Ribonnard secoua la tête :

— Peuh, fit-il, j’en ai entendu parler sans en entendre parler, ça c’est des affaires louches et c’est un type que je ne définis pas encore très bien, ni moi, ni personne des copains.

Ah, pour le coup, le cœur de Juve, battait à se rompre dans sa poitrine.

Fandor était connu. Qu’allait-il apprendre de lui ? Et il questionna :

— Pourquoi ça ?

Ribonnard, d’un geste vague, voulait indiquer qu’il n’en savait trop rien, puis il précisait :

— Pour des tas de raisons. C’est un drôle d’individu. Tu comprends, mon vieux Gueule-d’Empeigne, nous autres, n’est-ce pas, on fait un peu attention à tout, or, ce Fandor, comme tu dis, il n’a pas manqué de se faire remarquer. D’abord, comment c’est qu’il est arrivé ici ? personne ne le sait… En tout cas, à son premier coup, il s’est fait poisser. Ah ! le bougre ! tu ne t’imagines pas ce qu’il avait tenté, mon colon ? Fallait qu’il n’ait pas les foies… Il avait foutu le feu aux Docks et çà a grillé, je te promets.

Juve ne sourcilla même pas. Fandor avait mis le feu aux Docks ? C’était invraisemblable, faux à coup sûr, mais ce n’était pas le moment de protester.

Et Juve interrogea :

— Probable qu’il pensait y rafler quelque chose dans c’t’incendie ?

— Probable, mon vieux, mais ça a mal marché pour lui et un nommé Teddy l’a pincé une première fois. On l’a remis aux soldats, puis, il s’est défilé, les soldats l’ont repincé, d’ailleurs, après… et là… ah ! dame, là, il a été très fort.

— Tiens, pourquoi ?

— Il a fait le fou, mon vieux. Il avait dégotté, je ne sais pas où, une tête de mort, il l’agitait, bref, il a si bien fait le mariole qu’on l’a collé au Lunatic Hospital.

— Depuis ce moment-là, il est au Lunatic ?

Ribonnard eut un gros rire :

— Ah, depuis ce moment-là, mon vieux, je ne peux pas te dire. Je ne sais pas ce qu’il trafique ton copain. Toujours est-il que, l’autre jour, tiens, chez mon patron, chez Hans Elders, j’ai bien cru que je le reconnaissais au nombre des invités. Tu comprends, moi, je l’avais vu une fois quand les soldats l’emmenaient après l’incendie des Docks… Donc, je te dis, j’crois bien que je l’ai vu parmi les invités de Hans Elders, un peu changé, un peu camoufle, et à tu et à toi avec Teddy et « embrasse-moi-si-tu-veux » avec la fille du patron.

Mais comme Juve allait reprendre la parole, Ribonnard tapa du poing sur la table :

— Et puis çà va bien, déclara-t-il, ce numéro-là nous verrons bien un jour ou l’autre ce qu’il deviendra ? Fumes-tu ?

Juve demeura interloqué. Il grillait précisément une cigarette. Que voulait dire Ribonnard ? À tout hasard Juve répondit :

— Oui, oui, bien sûr.

À quoi, Ribonnard riposta :

— Alors cavale mon poteau, j’te vas mener dans la turne que je fréquente, c’est encore la plus bath de Durban…

***

Deux heures plus tard, Juve n’était plus très certain d’être parfaitement maître de lui et cela n’était pas sans l’ennuyer.

Il n’y avait pourtant pas de sa faute et le policier n’avait à se reprocher aucune imprudence.

Après avoir répondu à Ribonnard qu’il « fumait », il avait accompagné l’apache, ne sachant trop où celui-ci le menait. Ribonnard, causant de choses et d’autres, de choses qui n’intéressaient pas Juve d’ailleurs, mais Juve avait peur d’attirer son attention en le questionnant, conduisit le policier à travers les rues tortueuses et désertes, jusqu’à une sorte de petite maison basse, située dans l’un des faubourgs de la ville, au centre d’un grand jardin, à l’aspect abandonné.

— V’là ma fumerie, avait annoncé Ribonnard.

Et, dès lors, Juve avait compris…

Au Natal, comme dans toutes les colonies qui sont la possession des Anglais, l’opium règne en maître. Le poison redouté, aux effets tragiques, qui cause d’épouvantables ravages, le poison auprès duquel l’alcool est un breuvage anodin, est apprécié de tous.

Ribonnard était devenu fumeur d’opium. C’était à une fumerie d’opium qu’il venait de conduire Juve.