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Wilson Drag se croisa les bras sur sa poitrine, le visage redevenu impassible, il était désormais résigné, résolu :

— Hans Elders, déclara-t-il, je vous ai déjà dit deux fois que je n’étais pas le voleur, que je suis innocent ; c’est une fois de trop, je ne me répéterai plus, faites de moi ce qu’il vous plaira.

— Alors, que faisiez-vous ici ?

L’officier se tut.

Ses yeux ne se retournèrent même pas du côté de Winifred. L’amant ne voulait pas voir sa maîtresse pour être sûr de ne pas se trahir.

Le nègre, impatient d’agir, suppliait Hans Elders :

— Moi vais l’étrangler, tu permets, moussié.

— Laisse partir cet homme, ordonna Hans Elders à Jupiter… qu’il s’en aille et disparaisse loin de nos yeux. Je le chasse. Qu’il ne se représente jamais devant nous.

— Mais, et l’argent ?

— Cet homme n’avouera jamais sa faute. Inutile d’essayer de l’y obliger. Mais ne t’inquiète pas, nous retrouverons ton argent. En attendant… Wilson Drag, sortez d’ici, je vous chasse comme un chien.

Au milieu du silence effroyable, l’officier pâle, titubant, descendit les marches de l’escalier, les jambes molles se dérobant sous lui.

En traversant le vestibule, il lui fallut passer entre deux haies de serviteurs qui, attirés par le bruit, étaient venus assister à cette scène.

… Cependant que, dans les bras de son père, Winifred défaillait, Wilson Drag s’enfonça dans la nuit, s’éloignant accablé sous la plus odieuse des accusations.

Il fuyait la maison où il laissait la femme à laquelle il avait donné son cœur, sa vie et son bonheur, nullement découragé, au contraire prêt à la lutte.

3 – CHEZ LES FOUS

— Eh bien ? qu’est-ce que vous avez ? Vous n’avez pas fini de faire la bête ? Allons. Entrez.

La main sur son épaule, le gardien-chef du « Lunatic Hospital », plus spécialement chargé de la surveillance des malades dangereux, faisait passer Fandor, un peu de force, dans le grand réfectoire où les internés prenaient leur repas.

Ce n’était pas un méchant homme, ce gardien, mais c’était un cœur ulcéré. Sa profession lui déplaisait. Lui aussi, il se jugeait un grand génie, se reconnaissait de multiples et prodigieuses qualités et, c’était, croyait-il, une sombre erreur du destin qui l’avait condamné au modeste emploi qu’il occupait. Il se vengeait donc sur les malades de ce qu’il appelait l’injustice du sort.

Et c’est pourquoi, poussant Fandor dans la grande salle, il ajouta :

— Et puis ce n’est pas la peine de prendre perpétuellement des airs ahuris. Je vous dis, mon bonhomme, qu’il ne faut pas vous foutre de moi. Je vous devine très bien. Vous êtes un dissimulé. Mais je suis sur mes gardes. Tâchez de filer droit ou sans ça…

***

Depuis quarante-huit heures que Fandor était sorti de sa caisse, depuis qu’il avait échappé à la mort par miracle, grâce à Teddy, le malheureux journaliste vivait un véritable cauchemar.

Après la période d’excitation très réelle qu’il avait subie au sortir de sa caisse, après l’effroi compréhensible qu’il avait ressenti lorsqu’il s’était vu entraîné par les soldats et conduit à l’asile d’aliénés, il éprouvait quelque peine à se ressaisir, à rentrer en possession de son habituelle lucidité.

Fandor avait vécu dans sa caisse à la façon d’un mort. Séquestré, séparé du monde vivant, n’ayant plus aucune relation avec ses semblables, voilà que tout à coup on l’avait collé au mur et qu’aussitôt après, on le déclarait fou et qu’on l’enfermait. Fandor n’était pas encore sorti de son étourdissement. Ah ! avoir dix minutes à soi, pour faire le point. Mais non. À son arrivée, un interne, sommairement, l’avait interrogé en présence de deux infirmiers, puis on avait voulu lui retirer le crâne qu’il portait toujours sous le bras, et comme il esquissait un geste de défense, le médecin avait dit :

— Bah, laissez-lui cela. C’est peut-être le moyen de le faire tenir tranquille. Mettez-le dans le quartier des « observés ».

En observation !

Ce n’était pas sans un frisson d’angoisse que Fandor s’était vu emmené par les deux gardiens le long de l’interminable couloir qui divisait l’hôpital en deux tranches égales.

On l’avait conduit dans une chambre à deux lits et l’un des infirmiers qui le convoyaient lui avait ordonné brutalement :

— Déshabille-toi et fais vite. Tu vas coucher là et, tu sais, pas de bêtises. Au premier mouvement, la douche !

Fandor s’était gardé de protester.

— Après tout, s’était-il dit, ces gens-là me donnent une chambre, me mettent à l’abri, vont me nourrir, profitons de l’aventure pour prendre quelque repos. Demain nous verrons à protester de notre jugeotte.

Déjà philosophe, Fandor s’était hâté de se glisser dans son lit.

— Et ton crâne, demanda le gardien ; tu le gardes avec toi ?

En entendant le gardien lui reparler de cette tête de mort, Fandor ne put s’empêcher de sourire et de contempler avec curiosité sa trouvaille qu’il venait de poser sur son lit.

— C’est ton amoureuse ? demandait l’infirmier avec un gros rire, tu veux coucher avec ?

— Ma foi oui, dit Fandor.

Nouvel éclat de rire de l’infirmier, mais qu’est-ce que ça pouvait bien faire à Fandor. Puisqu’il était fou !

***

Fandor avait passé une mauvaise nuit.

À sept heures, on le secoua, et Fandor, encore tout engourdi de sommeil, se demandait avec une stupéfaction voisine d’un réel affolement, quel était l’individu, vêtu d’un uniforme bleu qui lui ordonnait brutalement :

— Lève-toi. Mets ta chemise. Ton pantalon. Et à la douche.

De nouveau les couloirs dallés, tout suintants d’humidité, une courte promenade. À la suite de son guide, il pénétrait dans une petite salle remplie d’appareils à douches, deux hommes le prirent par les épaules, le bouclèrent par les bras et les jambes à la muraille. On ouvrit un jet, Fandor eut peine à retenir un hurlement…

Comme tout le monde, il avait lu la description des supplices auxquels on soumet les fous, que douchent des infirmiers brutaux. Mais jamais il n’avait imaginé la torture que pouvait être ces douches. L’eau froide lui arrivait avec une force qui lui rompait les os. Elle était glaciale, au point de produire une impression de brûlure, de le laisser haletant, à demi étouffé. Et cela durait des minutes qui lui semblaient des siècles.

Quand, enfin, les infirmiers arrêtèrent le jet, Fandor, débouclé, s’entendit commander :

— Au trot. Retourne t’habiller. Tu vas aller au jardin maintenant.

Il crut, tant il était brisé, qu’il lui serait impossible de faire un pas. Mais c’est à coups de poings qu’on le força à se relever, qu’on le conduisit à sa chambre :

— Marche… allez, ta veste, tes souliers.

Fandor s’abstint de répondre. Il ne voulait pas discuter avec les gardiens.

De la chambre, sitôt qu’il fut prêt, on le conduisit au jardin. Fandor s’attendait à y rencontrer d’autres fous, mais lorsqu’il descendit sur la pelouse qui constituait la cour de l’établissement – une cour entourée de partout par de hauts murs, une cour qu’égayaient à peine quelques maigres arbres dont le tronc était ceinturé de matelas à hauteur d’homme – le désert s’étendait autour de lui.

— Promène-toi, ordonna le gardien. Il y a « visite » aujourd’hui et les camarades ne sortiront pas. On te les présentera à midi.

Fandor s’était promené.

Étrange promenade dans ce jardin sinistre, entre ces murs matelassés et ces arbres entourés de capiton.

Le gardien, nonchalant, s’était étendu sur l’herbe et lisait son journal. Fandor avait pu réfléchir à sa situation.

— Qu’est-ce que tout cela veut dire ? s’était-il demandé. Est-ce à l’intervention de Fantômas, du sinistre, du terrible Fantômas, qu’il faut attribuer l’incendie des docks ? Qu’est-ce que c’est que ce Teddy qui m’a sauvé ?

Pourquoi portait-il ce coffret où se trouvait un crâne ? Et puis, comment vais-je sortir d’ici ?