Выбрать главу

Harlan ne se trompait jamais. Il reprit :

« Maintenant, le C.M.N. (il parlait froidement, d’un ton calme, prononçant en syllabes précises le Langage Intertemporel Standard) suggéré par votre Section implique qu’un accident spatial, entraînant la mort dans des conditions assez horribles d’une douzaine d’hommes au moins, devra se produire.

— C’est inévitable, dit Voy avec un haussement d’épaules.

— D’un autre côté, dit Harlan, je suggère que le C.M.N. puisse être réduit au simple déplacement d’un container d’un rayon à un autre. Voyez ! » Il pointa son long doigt et d’un ongle blanc et soigné souligna légèrement une série de perforations.

Silencieux et tendu, Voy considéra la situation avec une attention inquiète.

Harlan reprit : « Cela n’altère-t-il pas la situation en ce qui concerne votre « bifurcation » quelque peu hâtive ? Est-ce que ça ne fait pas pencher la balance, en changeant une probabilité minime en une presque certitude et cela ne mène-t-il donc pas à…

— Pratiquement à l’E.O.D., murmura Voy.

— Exactement à l’Effet Optimum Désiré », corrigea Harlan. Voy leva un visage sombre, hésitant entre l’inquiétude et la colère. Harlan remarqua machinalement qu’il y avait un espace entre les incisives supérieures de l’homme, cela lui donnait l’air d’un lapin, ce qui n’était guère en accord avec la violence contenue de ses paroles.

« Je suppose que je vais avoir des nouvelles du Comité Pan-Temporel ? dit Voy.

— Je ne le pense pas. Pour autant que je sache, le Comité ignore tout. Du moins, le Changement de Réalité projeté m’a été transmis sans commentaires. » Il n’expliqua pas le mot « transmis », pas plus que Voy ne le questionna à ce sujet.

« C’est vous qui avez découvert cette erreur alors ?

— Oui.

— Et vous n’avez pas fait de rapport au Comité ?

— Non, je n’en ai pas fait. »

Voy parut soulagé, puis il se durcit : « Pourquoi ?

— Très peu de gens auraient pu éviter cette erreur. J’ai senti que je pouvais la corriger avant que le dommage ne soit fait. C’est ce que j’ai fait. Pourquoi chercher plus loin ?

— Eh bien, merci, Technicien Harlan. Vous avez agi en ami. L’erreur de la Section qui, comme vous le dites, était pratiquement inévitable, aurait fait mauvais effet dans le dossier et aurait paru injustifiable. »

Il se tut un instant, puis reprit : « Bien sûr, vu les altérations de personnalité qui seront produites par ce Changement de Réalité, la mort préalable de quelques individus n’a pas grande importance. »

Harlan pensa avec indifférence : « Il n’a pas l’air vraiment reconnaissant. Il doit m’en vouloir. S’il s’arrête de penser, il sera encore plus mortifié de se voir sauvé de la catastrophe grâce aux remontrances d’un Technicien. Si j’étais Sociologue, il me serrerait la main, mais il ne le fera pas à un Technicien. Il justifie la condamnation d’une douzaine de personnes à l’asphyxie, mais il ne voudrait pas toucher à un Technicien. »

Et sachant qu’il serait fatal de laisser croître le ressentiment de Voy, Harlan dit sans attendre : « J’espère que votre gratitude ira jusqu’à faire effectuer par votre Section un petit travail pour moi.

— Un travail ?

— Il s’agit d’un Bio-diagramme. J’ai sur moi toutes les données nécessaires. J’ai aussi les éléments pour un Changement de Réalité concernant le 482e siècle. Je désire connaître l’effet du Changement sur la structure de probabilité d’une certaine personne.

— Je ne suis pas tout à fait sûr, dit le Sociologue lentement, de bien comprendre. Vous êtes certainement en mesure de faire cela dans votre propre Section.

— Bien entendu. Toutefois, ce en quoi je suis engagé est une recherche personnelle et je ne désire pas qu’elle figure dans les archives pour le moment. Il serait difficile de mener cette affaire dans ma propre Section sans… » Il fit un geste vague et laissa la phrase en suspens.

Voy dit : « Ainsi vous ne désirez pas que cela passe par le canal officiel.

— Je veux que cela reste confidentiel. Je désire une réponse confidentielle.

— Eh bien, ma foi, cela est tout à fait irrégulier. Je ne peux donner mon accord. »

Harlan fronça les sourcils : « Pas plus irrégulier que mon attitude lorsque j’ai évité de rapporter votre erreur au Comité Pan-Temporel. Vous n’avez élevé aucune objection à cela. Si nous devons être strictement réguliers en un cas, nous devons l’être tout autant dans l’autre. Vous me suivez, je pense ? »

Il lui suffit de regarder Voy pour s’en convaincre. Celui-ci tendit la main : « Puis-je voir les documents ? »

Harlan se détendit un peu. Le plus difficile était fait. Il examina avec attention le visage de Voy tandis que celui-ci se penchait au-dessus des feuillets qu’il avait apportés.

Une seule fois le Sociologue parla : « À l’échelle du Temps, c’est là un Changement de Réalité minime. »

Harlan saisit l’occasion et joua son va-tout : « C’est exact. Beaucoup trop petit, je pense. C’est là que réside le problème. C’est en dessous de la différence critique et j’ai choisi un individu comme cas-test. Naturellement, il ne serait guère prudent d’utiliser les moyens dont dispose notre propre Section jusqu’à ce que je sois certain d’avoir raison. »

Voy ne réagit pas et Harlan se tut. Il était inutile d’aller trop loin et de se montrer imprudent.

Voy se leva : « Je passerai cela à un de mes Bio-programmateurs. La chose restera entre nous. Vous comprenez toutefois qu’il ne faut pas considérer cela comme constituant un précédent.

— Bien entendu.

— Et si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais assister au Changement de Réalité. J’espère que vous nous ferez l’honneur de procéder vous-même au C.M.N. »

Harlan approuva de la tête : « J’en prendrai l’entière responsabilité. »

Deux des écrans de la salle de projection fonctionnaient quand ils entrèrent. Les ingénieurs les avaient déjà réglés selon les coordonnées spatio-temporelles correctes, puis étaient partis. Harlan et Voy étaient seuls dans la pièce étincelante. (Le dispositif à couche moléculaire réfléchissante était manifestement en marche, mais Harlan regardait les écrans.)

Les deux images étaient immobiles. On aurait dit que toute vie en était absente car elles représentaient des instants mathématiques du Temps.

L’une d’elles était en couleurs naturelles qui brillaient d’un vif éclat et elle montrait la chambre des moteurs de ce qu’Harlan savait être un vaisseau spatial expérimental. Une porte se fermait et il n’y avait plus de visible dans l’entrebâillement qu’une chaussure luisante faite d’une matière rouge à demi transparente. Elle ne bougeait pas. Rien ne bougeait. Si l’image avait été assez nette pour qu’on pût distinguer les poussières en suspension dans l’air, on aurait vu qu’elles étaient immobiles.

Voy dit : « Pendant deux heures et trente-six minutes à partir de l’instant visualisé, cette chambre des machines restera vide. Ceci, dans la Réalité « normale ».

— Je sais », murmura Harlan. Il était en train de mettre ses gants et d’un coup d’œil rapide il mémorisait déjà la position du container (but de son intervention) sur son étagère, évaluait le nombre de pas pour y parvenir, cherchait le meilleur endroit où il faudrait le transporter. Il jeta un regard à l’autre écran.