Выбрать главу

Une beauté orientale.

— Non… bredouilla l’homme. Je suis déjà venu plusieurs fois.

La femme lui tendit la main.

— Mon nom est Ariana. Ariana Pakravan, dit-elle en souriant. Enchantée.

— Moi de même.

Ils se serrèrent la main et Ariana se mit à rire doucement.

— Vous ne me dites pas votre nom ?

— Oh, pardon. Je m’appelle Tomás. Tomás Noronha.

— Bonjour, Thomas.

— Tomás, corrigea-t-il. L’accent est sur le a. Tomáaas.

— Tomás, répéta-t-elle, en s’efforçant d’imiter l’accent.

— C’est ça. Les Arabes éprouvent toujours une certaine difficulté à bien prononcer mon nom.

— Et qui vous dit que je suis arabe ?

— Vous ne l’êtes pas ?

— Il se trouve que non. Je suis iranienne.

— Ah, gloussa-t-il. Je ne savais pas que les Iraniennes étaient aussi belles.

Un sourire éclaira le visage d’Ariana.

— Je vois que vous êtes un séducteur.

Tomás rougit.

— Excusez-moi, ça m’a échappé.

— Ne vous excusez pas. Déjà Marco Polo disait que les Iraniennes étaient les plus belles femmes du monde. Elle battit des cils, enjôleuse. Et puis quelle femme n’aime pas entendre un compliment ?

L’historien observa le tailleur particulièrement ajusté.

— Mais votre tenue est très moderne. Venant d’Iran, le pays des ayatollahs, c’est plutôt surprenant.

— Je suis un cas particulier.

Ariana contempla le désordre qui encombrait la place Tahrir.

— Dites, vous n’avez pas faim ?

— Si je n’ai pas faim ? Bon sang, je pourrais manger un bœuf !

— Alors suivez-moi, je vous emmène goûter quelques spécialités locales.

Le taxi se dirigea vers le Caire islamique, à l’est de la ville. Tandis que la voiture traversait la capitale égyptienne, les larges avenues de la ville basse firent place à un labyrinthe de ruelles étroites, fourmillant de vie ; on voyait des carrioles et des ânes, des passants vêtus de galabiyya, des vendeurs ambulants, des bicyclettes, des hommes agitant des papyrus, des étals de taamiyya, des échoppes offrant des articles en laiton, en cuivre, en cuir, des marchands de tapis, de tissus et d’antiquités tout juste sorties de l’usine, des terrasses où les clients fumaient des sheeshas, et des gargotes qui exhalaient des relents de fritures, de safran, de curcuma et de piment.

Le taxi les déposa à la porte d’un restaurant de la place Hussein, un endroit calme avec un jardin à l’ombre d’un élégant minaret.

L’Abu Hussein semblait plus occidental que la majorité des restaurants égyptiens. Toutes les tables étaient recouvertes de nappes d’une blancheur immaculée et, détail important dans cette ville, l’air conditionné fonctionnait à plein régime, emplissant le restaurant d’une fraîcheur apaisante.

Ils s’assirent près d’une fenêtre donnant sur la mosquée de Sayyidna al-Hussein, et le serveur, en uniforme blanc, s’approcha avec deux cartes, qu’il remit à chacun. Tomás parcourut le menu et agita la tête.

— Je n’y comprends rien.

Ariana le regarda par-dessus sa carte.

— Que voulez-vous manger ?

— Choisissez pour moi. Je m’en remets à vous.

— Vous êtes sûr ?

— Absolument.

L’Iranienne examina le menu et passa la commande.

Une voix soudaine, au ton mélancolique, déchira l’air ; c’était le muezzin qui, du haut du grand minaret, lançait l’adhan pour appeler les fidèles à la prière. Le chant mélodieux du Allah u akbar s’étendit sur la ville et Ariana observa par la vitre la foule qui convergeait vers la mosquée.

— C’est drôle, lança Tomás. Nous voilà ensemble pour déjeuner, sans rien savoir l’un de l’autre. Vous, par exemple, vous ne connaissez que mon nom.

Elle haussa les sourcils et prit un air malicieux.

— Vous vous trompez.

— Vraiment ? Pourtant je ne vous ai encore rien dit.

— C’est inutile. Je me suis déjà renseignée.

— Ah oui ?

— Bien sûr.

— Je ne vous crois pas.

— Vous voulez des preuves ? Je sais que vous êtes portugais et que vous êtes considéré comme l’un des grands experts mondiaux en cryptologie et en langues anciennes. Vous donnez des cours dans une université de Lisbonne et, actuellement, vous travaillez aussi comme consultant pour la fondation Gulbenkian, où vous revoyez la traduction des inscriptions en hiéroglyphes et en écriture cunéiforme du bas-relief assyrien détenu par le musée de la fondation. Elle parlait comme si elle passait un examen. Vous êtes venu au Caire pour participer à une conférence sur le temple de Karnak, et pour acquérir au nom du Musée Calouste Gulbenkian une stèle du roi Narmer conservée dans la cave du Musée égyptien.

— Vous en savez des choses. Je suis très impressionné…

— Je sais aussi que vous avez connu une tragédie personnelle voilà six ans et que vous avez divorcé récemment.

Tomás fronça les sourcils, cherchant à évaluer la situation. Ces dernières informations relevaient de sa vie privée et il ressentit un certain malaise à l’idée que quelqu’un avait fouillé dans son passé.

— Comment pouvez-vous savoir tout ça ?

— Mon cher professeur, croyez-vous que je sois une conquête facile ? Ariana sourit froidement et secoua la tête. Je suis ici en service et ce déjeuner est un repas d’affaires, vous saisissez ?

Le Portugais eut l’air déconcerté.

— Non, je ne saisis pas.

— Réfléchissez un peu, professeur. Je suis une femme musulmane et, en plus, comme vous l’avez noté tout à l’heure, je viens du pays des ayatollahs, où la morale est très stricte. Combien de femmes iraniennes, selon vous, interpellent un Européen dans la rue et l’invitent à déjeuner sans raison ?

— Ma foi, je… je n’en sais rien.

— Aucune femme ne ferait ça en Iran, cher professeur. Aucune. Si nous sommes tous les deux assis là, c’est parce que nous avons une question à traiter.

— Vraiment ?

Ariana posa ses coudes sur la table et fixa Tomás dans les yeux.

— Professeur, comme je vous l’ai dit, je sais que vous êtes venu au Caire pour donner une conférence et aussi pour acquérir une antiquité égyptienne. Mais si je vous ai amené ici, c’est avec l’idée de vous proposer une autre affaire. Elle se pencha, ramassa son sac et le posa sur la table. J’ai ici la copie d’un manuscrit qui pourrait être la découverte du siècle. Elle caressa son sac du bout des doigts. Je suis ici par ordre de mon gouvernement pour vous proposer de travailler avec nous sur la traduction de ce document.

Tomás considéra un instant l’Iranienne.

— Si je comprends bien, vous voulez m’engager ?

— Oui, c’est ça.

— Vous n’avez donc pas vos propres traducteurs ?

Ariana sourit.

— Disons que ce texte relève de votre spécialité.

— Langues anciennes ?

— Pas exactement.

— Cryptologie ?

— Oui.

Tomás se frotta le menton.

— Hum, murmura-t-il. De quel manuscrit s’agit-il ?

L’Iranienne se redressa, la mine sérieuse, presque protocolaire.

— Avant d’aborder le sujet, j’ai un préalable à poser.