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le Carré blanc sur fond blanc. Entre ces deux limites s’inscrit la plus fulgurante et la plus excessive trajectoire de l’art abstrait, dont Dora Vallier a montré qu’elle se fondait philosophiquement sur le nihilisme russe. « Dans le vaste espace du repos cosmique j’ai atteint le monde blanc de l’absence d’objets qui est la manifestation du rien dé-

voilé », écrit Malevitch, persuadé que l’oeuvre approche d’autant plus d’une vérité suprême qu’elle s’affranchit non seulement des formes des objets extérieurs, mais même des formes arbitraires de la géométrie et peut-être des richesses ostentatoires de la couleur.

Le suprématisme, en somme, tend vers le point où peinture et non-peinture se confondent ; là, cependant, se trouve l’unique possibilité, selon Malevitch, de voir « l’homme rétabli dans l’unité

originelle en communion avec le tout ».

Piet MONDRIAN*.« Au moyen de l’abstraction, l’art a intériorisé la forme et la couleur, et porté la ligne courbe à sa tension maximale : la ligne droite.

Par l’usage de l’opposition en angle droit, la relation constante de la dualité universel-individuel établit l’unité. »

Ainsi Mondrian oppose-t-il à la saisie mystique du « monde sans objet » de Malevitch la volonté d’aboutir à un

« équilibre exact » entre l’individuel et l’universel ; ce qui, chez le premier, s’apparentait à la révélation se rapproche, chez le second, d’une équation (il s’agit néanmoins d’une équation sensible, même si elle paraît emprunter sa formule aux mathématiques). Au terme d’une longue interrogation dont les échafaudages du cubisme de 1911-1912 constituent le point de départ et au cours de laquelle il réduit arbres, églises et paysages marins à un schéma rythmique, Mondrian parvient à cette certitude que l’angle droit assume les tensions opposées de la matière et de la pensée, de la passion et de la raison, de la nature et de l’homme, ces « rapports équivalents » tendant progressivement à éliminer l’« oppression du tragique ».

En 1921-1922, le néo-plasticisme trouve son expression parfaite dans une composition de carrés et de rectangles délimités par d’épaisses lignes noires, les seules couleurs utilisées étant, outre le noir et le blanc, le bleu, le jaune et le rouge. La revue DE STIJL*, fondée par Théo Van Doesburg, contribue activement à diffuser depuis 1917 les idées de Mondrian, leur ouvrant des perspectives inattendues dans le domaine de l’architecture, du décor intérieur ou de la typographie. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’influence de Mondrian marque de façon décisive la seconde phase de l’art abstrait.

La période raisonnante

de l’art abstrait

Vers une synthèse des arts

Une convergence aussi singulière que celle qui avait entraîné la naissance multiple de l’art abstrait aux environs de 1914 se produit vers 1920. Elle tend à faire de cet art la base de ce qu’on a parfois un peu pompeusement nommé le « style du XXe siècle ». Dans les cir-

constances radicalement étrangères que connaissent la Hollande neutre, l’Allemagne de Weimar et la jeune U. R. S. S., ce n’est pas sans surprise que l’on voit l’avant-garde artistique militer en faveur d’une abstraction socialisée, où le tableau de chevalet tend à s’effacer devant une rationalisation générale des formes industrielles et du décor urbain.

Il n’y a pas de contradiction fondamentale entre ces propos du constructiviste russe Alekseï Gan : « Une ville communiste, telle que la projettent les constructivistes, est un premier essai vers une organisation de la conscience humaine, la première tentative pour donner aux citoyens une idée claire de ce qu’est une propriété collective » (1922), et le discours inaugural du Bauhaus* par Walter Gropius* : « Ensemble, conce-vons et créons le nouveau bâtiment de l’avenir, qui englobera l’architecture, la peinture et la sculpture dans une seule unité et qui, des mains d’un million de travailleurs, s’élèvera un jour vers le ciel comme le symbole de cristal d’une foi nouvelle » (1919). Cette surprenante uniformité de vues, qui donne le pas aux

« formes utiles » sur la « spéculation artistique » et encourage à la suppression de la « signature » individuelle au bénéfice de l’oeuvre collective (1920 : fondation de l’Unovis à Vitebsk par Malevitch), est facilitée par le rôle d’agents de liaison entre les divers groupes que jouent principalement Hans Arp, Théo Van Doesburg, El Lissitski* et László Moholy-Nagy*. Des échanges féconds s’opèrent ainsi du néo-plasticisme et du suprématisme jusqu’à Dada* et même jusqu’au surréalisme.

Expansion et concentration

Néanmoins, le fait que l’essentiel de l’énergie de l’abstraction se déploie dans le sens de ses applications entraîne une certaine perte de vitalité sur le plan de la création plastique proprement dite. Cette stagnation sera rendue plus frappante encore par l’apparition tumultueuse du surréalisme, qui, rapidement, cristallise autour de lui toutes les forces dynamiques peu attirées par une abstraction que ses succès mêmes dans les arts appliqués font apparaître comme un nouvel académisme. Le danger entraîne en France, vers 1930, des regroupements assez hétéroclites d’artistes abstraits

(Cercle et Carré, Abstraction-Création, plus tard Réalités nouvelles, etc.), où la créativité est plutôt en raison inverse de l’affluence. La marée des médiocres n’empêche pas cependant de distinguer des artistes originaux que l’on pourrait, sans trop d’arbitraire, regrouper selon deux directions principales.

La première, la plus rigoureuse,

s’inscrit dans une fidélité étroite au registre géométrique ; on y trouve downloadModeText.vue.download 45 sur 543

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 1

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notamment Henryk Berlewi (Pologne, 1894-1967), Marcelle Cahn (France, 1895), Jean Gorin (France, 1899), Auguste Herbin (France, 1882-1960), Ben Nicholson*, Emilio Pettoruti (Argentine, 1892-1971), Henryk Stażewski (Pologne, 1894), Georges Vantongerloo (Belgique, 1886-1965), Paule Vezelay (G.-B., 1893), Friedrich Wordemberge-Gildewart (Allemagne, 1899).

La seconde manifeste une plus grande souplesse dans l’inspiration comme dans la forme ; elle est illustrée par Willi Baumeister (Allemagne, 1889-1955), Karl Buchheister (Allemagne, 1890-1964), Serge Charchoune (Russie, 1888-1975), César Domela (Pays-Bas, 1900), Otto Freundlich (Allemagne, 1878-1943), Jean Hélion (France,

1904), Fedor Lovenstein (Allemagne, 1901-1946), Enrico Prampolini (Italie, 1894-1956), Kurt Schwitters*, Victor Servranckx (Belgique, 1897), Atanasio Soldati (Italie, 1896-1953), Władisław Strzemiński (Pologne, 1893-1952), Hendrik Nicolaas Werkman (Pays-Bas, 1882-1945).

On peut penser d’ailleurs que l’art abstrait de l’entre-deux-guerres a pâti de l’intérêt porté aux pionniers comme de la place prise par l’actualité de l’abstraction depuis 1945 ; les prochaines années amèneront à coup sûr quelques révisions de valeurs.

De l’accomplissement au

renouveau

Attaché au Bauhaus de 1922 jusqu’à sa

fermeture par les nazis en 1933, Kandinsky lui-même s’était rangé sous la bannière géométrique, tentant de dresser l’inventaire des ressources élémentaires de la peinture : non plus, cette fois-ci, la griffure et la tache, mais « le point, la ligne, la surface ». À Paris, où il vivra ses dix dernières années, il accède cependant à un art infiniment plus aérien et capricieux, où viennent de nouveau s’épanouir les fantasmes du subconscient. Mondrian lui-même, réfugié à New York en 1940, se laissera aller à chanter bien plus haut qu’on ne l’eût imaginé dans la série de ses Boo-gie-Woogie. Les temps étaient-ils donc venus pour l’art abstrait d’oublier l’austérité et la discipline ? Au cours de la même année 1934, Mark Tobey* va étudier la calligraphie orientale en Chine et au Japon, Hans Hartung* couve de prodigieuses explosions et Hans Hofmann (Allemagne, 1880) fonde une école à New York, d’où va partir l’expressionnisme* abstrait. Enfin, les frontières entre surréalisme et abstraction perdent de leur netteté à partir des premiers tableaux de Roberto Matta* en 1938, où l’automatisme règne en maître. L’expressionnisme* germanique et le surréalisme s’apprêtent à féconder l’art abstrait en lui rendant sa vigueur juvénile, celle qu’entre les mains de Kandinsky il avait connue à la veille de la Première Guerre mondiale.