La seconde vague
créatrice
Au lendemain de la disparition des grands pionniers de l’art abstrait (Kandinsky et Mondrian meurent en 1944, mais Malevitch, mort en 1935, avait été bien auparavant condamné au silence par le stalinisme culturel régnant en U. R. S. S.), un nouveau chapitre commence, dont l’importance ne le cède en rien à la première naissance de cet art.
Mais le rapport des forces est inversé : si de 1910 à 1920 l’abstraction froide avait été la plus forte, de 1945 à 1955 c’est l’abstraction lyrique qui l’emporte.
L’abstraction lyrique ; ses
variétés
« Sturm und Drang » (Tempête et Élan), cette appellation du premier mouvement romantique allemand, conviendrait à
merveille à la révolution picturale qui s’opère, spectaculairement aux États-Unis, plus discrètement en Europe, à partir de 1945 environ. Aux États-Unis, c’est Arshile Gorky* et Jackson Pollock* qui ouvrent toutes grandes les vannes ; mais si le premier participe directement du surréalisme, le second inaugure une nouvelle attitude picturale.
Jetant les couleurs sur la toile posée par terre à ses pieds, il aspire à être « dans »
sa peinture, non pas seulement physiquement, mais physiologiquement et affectivement. Chaque peinture, dès lors, se confond avec la fraction de la vie du peintre au cours de laquelle elle a surgi.
L’action painting valorise le comportement du créateur, la relation qui s’établit entre lui et le reste du monde par l’intermédiaire de la toile, aux dépens du contenu effectif de celle-ci. L’oeuvre des Américains William Baziotes (1912-1963), Adolph Gottlieb (1903-1974), Theodoros Stamos (né en 1922), Bradley Walker Tomlin (1899-1953) relève de ce qu’on a parfois baptisé « surréalisme abstrait », alors que celle de Philip Guston (né en 1913), de Willem De Kooning*, de Franz Kline (1910-1962), de Robert Motherwell (né en 1915) et de Jack Tworkov (né en 1900) représente exactement l’expressionnisme abstrait, Sam Francis (né en 1923), Helen Frankenthaler (née en 1928) et Grace Hartigan (née en 1922) illustrant plutôt un « impressionnisme abstrait », tandis que Barnett Newman (1905-1970), Ad Reinhardt (1913-1967), Mark Rothko* et Clyfford Still (né en 1904) justifient l’appellation de color field painting.
Comme aux États-Unis, et au Canada avec Paul-Émile Borduas (1905-1960), une osmose se produit à Paris entre l’abstraction lyrique et le surréalisme, notamment avec Simon Hantaï (Hongrie, 1922), Wolfgang Paalen (Autriche, 1905-1959) et Jean-Paul Riopelle*.
Mais c’est en la personne de Wols* que cet échange intime déclenche le signal fulgurant, en 1946, du déferlement lyrique. Tant bien que mal, on peut y démêler trois courants principaux, le signe, le dynamisme et la matière étant leurs marques respectives.
Dans l’ordre du signe, la liaison opé-
rée avec les calligraphies d’Extrême-Orient (et qui, par contrecoup, entraî-
nera un renouveau de cet art au Japon) inspire différemment les Allemands Julius Bissier (1893-1965) et Theodor Werner (1886-1969), les Français Jean Degottex (né en 1918), Mathieu*, Pierre Tal-Coat (né en 1905) et le poète Henri Michaux* ; elle prend une tournure moins contemplative, plus magique avec le Français Jean-Michel Atlan (1913-1960), l’Italien Giuseppe Capo-grossi (1900-1972), le Britannique Alan Davie (né en 1920), le Japonais Kumi Sugaï (né en 1919).
Le sens du dynamisme caractérise ces peintres de l’énergie que sont Hartung, Ger Lataster (Pays-Bas, 1920), Ernst Wilhelm Nay (Allemagne, 1902-1968), Gérard Schneider (Suisse, 1896), Soulages*, Emilio Vedova (Italie, 1919).
Mais la vitesse d’exécution n’est devenue un élément fondamental de l’oeuvre, en dehors de Mathieu et de Pollock, qu’avec l’Italien Gianni Bertini (né en 1922), les Allemands Karl Otto Götz (né en 1914) et K. R. H. Sonderborg (né en 1923).
Ceux qu’on a groupés sous l’éti-
quette d’informels semblent vouloir se confondre avec la matière, avec les substances élémentaires comme la terre, la boue, les cendres. Ainsi de l’Italien Alberto Burri (né en 1915), des Français Olivier Debré (né en 1920), Dubuffet*, Fautrier*, Roger Edgar Gillet (né en 1924), Philippe Hosiasson (né en 1898), des Espagnols Manolo Millares (né en 1926) et Antoni Tàpies*, de l’Amé-
ricaine Joan Mitchell (née en 1926).
D’autres se sentent plus proches des éléments fluides tels que les eaux, le feu, les nuages : les Français Frédéric Benrath (né en 1930), René Duvillier (né en 1919), Philippe Hauchecorne (né en 1907), Jean Messagier (né en 1920), Jean-Pierre Vielfaure (né en 1934), le Français d’origine chinoise Zao Wou-ki*, l’Américain Paul Jenkins (né en 1923). C’est au contraire à l’éclat comme à la densité du monde minéral que semblent se référer les Français François Arnal (né en 1924) et Paul Revel (né en 1926), le Hollandais Corneille (né en 1922).
L’abstraction « moyenne » ;
ses domaines
L’abstraction lyrique, en même temps qu’elle se diversifiait en mille nuances, encourageait une prolifération complexe intermédiaire entre elle-même, l’abstraction géométrique et la figuration proprement dite. Cette zone mixte, qui connaîtra une extension plus sensible à Paris qu’ailleurs, est particulièrement rebelle à l’exploration.
La notion de paysagisme* abstrait permet de distinguer toute une lignée d’artistes chez lesquels se révèle l’influence discrète de Bissière* : les Fran-
çais Bazaine*, Jean Bertholle (né en 1909), Maurice Estève (né en 1904), Jean Le Moal (né en 1909), Alfred Ma-nessier (né en 1911), Pierre Montheil-let (né en 1923), ainsi que des peintres d’origine diverse intégrés à l’école de Paris, comme les Belges Gustave Singier (né en 1909) et Raoul Ubac (né en 1910), l’Américaine Anita de Caro (né en 1909), la Portugaise Vieira*
da Silva ; une grande sensibilité aux rythmes naturels devient ici le principe d’organisation de la peinture.
Un peu mieux détachée de l’in-
fluence de la nature extérieure, parce que sans doute plus attentive aux pulsions internes, mais régie néanmoins par une volonté d’élaboration hostile au laisser-aller, serait une peinture qu’on pourrait nommer « peinture
lyrique construite » et que représenteraient les Italiens Afro (né en 1912), Renato Birolli (1907-1959), Giuseppe Santomaso (né en 1907), les Français Camille Bryen (1907-1977), Michel Carrade (né en 1923), Jacques Dou-cet (né en 1924), Jean Lombard (né en 1895), Louis Nallard (né en 1918), les Russes de Paris Ida Karskaya (née en 1905) et André Lanskoy*, l’Américain Joe Downing (né en 1925), le Britannique Stanley William Hayter (né en 1901), l’Allemande Charlotte Henschel (née en 1905), le Hongrois Sigismond Kolos-Vary (né en 1899), le Turc Mehmed Nejad (né en 1923), le Yougoslave Pierre Omcikous (né en 1926), l’Autrichienne Greta Sauer (née en 1909).
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 1
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Lorsque, par contre, la subjectivité, tenue en respect, irrigue une armature rigide, on parlerait plutôt d’une « peinture géométrique sensible », illustrée par les Français Martin Barré (né en 1924), Huguette A. Bertrand (née en 1925), Jean Deyrolle (1911-1967), Aurélie Nemours (née en 1910), Jean Piaubert (né en 1900), les Roumains de Paris Jeanne Coppel (1896-1971), Natalia Dumitresco (née en 1915) et Alexandre Istrati (né en 1915), le Suisse Walter Bodmer (1903-1973), l’Allemand Francis Bott (né en 1904), le Grec Manolis Calliyannis (né en 1926), l’Américain John Franklin Koenig (né en 1924), l’Islandaise Nina Tryggvadottir (née en 1913).