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Trois peintres de grande envergure règnent sur ces domaines intermé-

diaires : les Français d’origine russe Serge Poliakoff* et Nicolas de Staël*, le Néerlandais Bram Van Velde (né en 1895), lui aussi intégré au milieu parisien.

L’abstraction froide ; ses

mutations

L’abstraction géométrique sort plutôt renforcée de la Seconde Guerre mondiale. D’une part, quelques artistes ont joué un rôle irremplaçable d’animateurs, d’informateurs et de théoriciens : Josef Albers (Allemagne, 1888-1976), Burgoyne Diller (États-Unis, 1906), Fritz Glarner (Suisse, 1899-1972) aux États-Unis ; Max Bill, Herbin, Magnelli, Richard Mortensen (Danemark, 1910) et Victor Pasmore (G.-B., 1908) en Europe. D’autre part, l’essor tumultueux de l’abstraction lyrique, en accusant les incompatibilités, va renforcer la rigueur des héritiers de Malevitch et de Mondrian au prix d’un effondrement de leurs effectifs. Mieux que l’apparition de nouveaux leaders tels que l’Uruguayen Car-melo Arden Quin (né en 1913 ; fondateur de Madi en Argentine), le Suédois Olle Baertling (1911), le Français Jean Dewasne (né en 1921), le Belge Louis Van Lint (né en 1909), le Suisse Richard Paul Lohse (né en 1902) ou le Hongrois Victor Vasarely*, le dynamitage superbement opéré au sein d’une esthétique un peu somnolente, d’abord par Lucio Fontana*, puis par Yves Klein*, enfin

la découverte de nouvelles solutions plastiques vont entraîner un regain de vigueur de la tendance, notamment à partir de 1960. Tout d’abord, la concentration des recherches du côté des phé-

nomènes de la perception visuelle (illusions d’optique), puis l’extension de ces préoccupations grâce à l’introduction de la lumière et du mouvement, enfin un retour à d’austères spéculations sur les couleurs pures et les formes pures, telles seront les étapes de cette mutation de l’art abstrait géométrique.

Dans le premier cas, on parlera

d’op’art (pour optical art) : autour d’Albers et de Vasarely, on notera l’Italien Getulio Alviani (né en 1939), l’Américain Richard Anuszkiewicz (né en 1930), le Tchèque Milan Dobes (né en 1929), la Britannique Bridget Riley (née en 1931). En tête de ceux qui ont donné une impulsion nouvelle à l’art cinétique*, il y a l’Israélien Yaacov Agam (né en 1928), le Hongrois Gyula Kosice (né en 1924) et le Vénézuélien Jésus-Rafaël Soto*. C’est un rigorisme systématique, enfin, qui caractérise les tableaux hard-edge des Américains Ellsworth Kelly (né en 1923), Al Held (né en 1928) ou Frank Stella (né en 1936), lesquels constituent en somme la branche picturale du minimal* art.

Mais l’influence déterminante, sur la post painterly abstraction, des expé-

riences de Morris Louis (1912-1962) et d’Helen Frankenthaler, en conférant à la couleur un rôle majeur qui n’exclut ni les allusions à la nature ni les associations subjectives, allait déterminer l’apparition du plus puissant courant actuel de l’abstraction. Il s’agit d’une peinture de très grands formats dont le sujet est la couleur et non la forme, et qui doit autant, en définitive, à un Rothko qu’à un Albers. Si Tess Jaray (G.-B., 1939), Kenneth Noland (États-Unis, 1924) ou Jack Youngerman (États-Unis, 1926) s’y montrent encore relativement soucieux de la forme, avec Darby Bannard (États-Unis, 1931), Rupprecht Geiger (Allemagne, 1908), Jules Olitski (États-Unis, 1922), Larry Poons (États-Unis, 1937), Jef Verheyen (Belgique, 1932) ou Peter Young (États-Unis, 1940) s’affirme une peinture atmosphérique et subjective d’une extrême sensibilité, qui rejoint parfois l’impressionnisme.

Impersonnel, axé vers une critique so-

ciologique de l’art, est au contraire un courant animé en France par un Daniel Buren (né en 1938).

Conclusion

Amenée à son tour à faire peau neuve par cette résurgence comme par les succès du pop’art, l’abstraction lyrique s’est partiellement réincarnée dans l’arte povera. Ces oeuvres en caoutchouc, en corde, en feutre, en graisse, en terre, en tourbe, etc., qu’est-ce donc, en effet, sinon la continuation, par d’autres moyens, des toiles informelles de Dubuffet, de Fautrier, de Tàpies ? Mais cela nous entraînerait dans le domaine de l’assemblage* et de la sculpture, que cette étude n’ambitionne pas d’approcher. L’abstraction aura été essentiellement le mouvement d’idéalisation qui tenta d’arracher la toile à deux dimensions à son rôle traditionnel de reflet du monde à trois dimensions. Dès qu’intervient la troisième dimension, celle de la réalité, d’autres problèmes interviennent. Mais pour s’être voulu peinture avant tout, l’art abstrait n’a pas fini de nourrir notre sensibilité.

J. P.

▶ Bauhaus / Cinétique (art) / Expressionnisme /

Minimal art / Paysagisme abstrait / Sculpture du XXe s. / « Stijl (De) ».

✐ W. Worringer, Abstraktion und Einfühlung (Munich, 1908). / A. H. Barr (sous la dir. de), Cubism and Abstract Art (New York, 1936). /

M. Seuphor, l’Art abstrait, ses origines, ses premiers maîtres (Maeght, 1950) ; Dictionnaire de la peinture abstraite (Hazan, 1957). / M. Brion, Art abstrait (A. Michel, 1956). / M. Ragon, l’Aventure de l’art abstrait (Laffont, 1956). /

J.-C. Lambert, la Peinture abstraite (Rencontre, Lausanne, 1967). / D. Vallier, l’Art abstrait (« le Livre de poche », 1967). / M. Seuphor et M. Ragon, l’Art abstrait (Maeght, 1971-72 ; 2 vol.).

absurde (le

sentiment de l’)

Prise de conscience souvent dramatique de l’irrationalité du monde et de la destinée humaine.

L’absurdité est l’inverse de la cohé-

rence rationnelle. Elle découle de l’in-

compatibilité d’une expérience avec un système de pensée organisé. Si l’on change le système, l’absurdité peut disparaître. C’est ainsi que certains faits expérimentaux, qui sont absurdes dans le système euclidien, s’intègrent rationnellement aux géométries non eucli-diennes.

Le sentiment de l’absurde ne peut naître que dans une société suffisamment évoluée pour fournir à ses membres une représentation systématique de l’univers admise par évidence.

La pensée religieuse, notamment, tend à l’éliminer. Quand une pensée philosophique comme celle de Socrate a recours à lui comme moyen de remise en cause de l’ordre accepté, elle est considérée comme paradoxale (c’est-à-dire incompatible avec l’opinion générale), elle est l’objet de sanctions sociales.

C’est seulement à une date récente que les philosophies existentialistes ont pu ouvertement affirmer l’absurdité de l’expérience à tout système.

C’est probablement l’expérience

de la mort qui est la cause initiale du sentiment de l’absurde. La pensée de sa propre mort est absurde pour une conscience. Mais l’expérience du mal, de la douleur, de l’injustice peuvent également y mener.

Les religions n’ont pu masquer qu’un temps l’absurdité de telles expériences à l’ordre proclamé. La réflexion qui a mené au monothéisme, précisément

parce qu’elle était une tentative pour appréhender un ordre universel, l’a mise en lumière et en a multiplié les manifestations : fini de l’humain devant l’infini du divin, libre arbitre de l’homme devant la toute-puissance de Dieu, existence du péché devant l’amour du créateur pour ses créatures. Ainsi se révélait l’absurdité de la condition de l’homme, « ange tombé qui se souvient des cieux », incapable de concilier les réalités de son expérience avec les exigences de sa pensée.