sentait la recherche de la beauté en soi ou seulement une façon de mémoriser ses différentes parties, afin de pouvoir dessiner ensuite n’importe quelle attitude. Par ailleurs, l’exploration de la
perspective linéaire a véritablement ob-nubilé les artistes de la première Renaissance. Innombrables sont les documents figurés qui représentent des systèmes de quadrillage artificiel de l’espace permettant de respecter les proportions des objets dessinés. Le goût pour les connaissances mathématiques correspond à cette nécessité de se référer à des « règles certaines », même dans le domaine des arts.
On voit que l’enseignement acadé-
mique était surtout un enseignement du dessin, les problèmes posés par la repré-
sentation des couleurs passant à l’ar-rière-plan, jusqu’à la fameuse querelle du dessin et de la couleur qui occupa les séances de l’Académie royale à Paris pendant le dernier quart du XVIIe s. On a qualifié d’« académisme » une certaine sécheresse dans l’exécution du dessin : cela vient de ce que, pour des raisons de convenances, l’enseignement académique, aux XVIIIe et XIXe s. surtout, remplaça l’étude du modèle vivant par celle des « plâtres ». Mais d’une façon générale les académies, par la variété des modèles proposés — antiques ou maîtres de la Renaissance —, par la confrontation des personnalités et des expériences, souvent exprimée dans des séances de discussion régulières, constituaient des milieux infiniment plus riches que les anciennes corporations.
Théories des arts et
premières académies
Ce modèle d’enseignement artistique adopté dans l’Europe entière du XVIe au XIXe s., sous des formes assez peu diffé-
rentes, s’explique par la fidélité des milieux artistiques à certaines idées. On les trouve en germe chez Alberti : sa haute conception du rôle de l’artiste ; le devoir qu’il lui fait d’accroître ses connaissances en de nombreux domaines, allant des mathématiques à la poésie en passant par l’anatomie ; sa philosophie de l’art, fondée sur une confiance dans la beauté de la nature, qu’il faut imiter en en reproduisant les formes les plus satisfaisantes, en en faisant une synthèse qui ressemble à une moyenne arithmétique.
Ces idées servirent de base à la majeure partie des discussions académiques.
Pour Alberti encore, la valeur descriptive des arts plastiques doit égaler celle
de la littérature, ce qui justifiera la pré-
dominance du dessin sur les autres élé-
ments de l’oeuvre d’art.
Liées au courant maniériste, les premières académies virent le jour dans la seconde moitié du XVIe s. À Florence, en 1563, le peintre Giorgio Vasari* fonda la première, appelée Accademia delle arti del disegno. En fait, la conception que Vasari avait du dessin était sans doute différente de celle de ses grands prédécesseurs Alberti, Léonard de Vinci ou Michel-Ange. Pour lui, dessiner signifiait surtout être capable d’inventer des scènes riches de connaissances mythologiques, d’allégories compliquées. Son talent dans ce domaine servit souvent à la glorification alambiquée du pouvoir, par d’ingénieuses figures costumées pour les fêtes et mascarades de la cour des Médicis. La rapidité, l’aisance apparente de l’exécution, ce qu’il appelle la « grazia », lui semblaient des qualités fondamentales ; Vasari criti-quait sévèrement un peintre comme Paolo Uccello* pour son application trop apparente à traiter la perspective linéaire. Comme Alberti, il pensait que l’exemple de la Grèce et de Rome était downloadModeText.vue.download 54 sur 543
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 1
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le meilleur que l’on pût suivre, mais il ajoutait à ce culte celui de Michel-Ange et de Raphaël*. Il allait même jusqu’à accorder aux peintres vénitiens une compétence dans le domaine de la couleur. Ce qu’il apporta de plus original est peut-être la théorie selon laquelle le dessin « n’est autre chose qu’une expression visible et une manifestation tangible de l’idée qui existe dans notre esprit ». Ces remarques sont proches de celles de Giovanni Paolo Lomazzo (1538-1600), peintre et théoricien mila-nais pour qui cette idée, qu’il nomme
« disegno interno », avait sa source en Dieu : on en revenait donc, dans une certaine mesure, à l’explication scolastique.
À Rome, en 1577, la Gilde de
Saint-Luc se transforma en acadé-
mie. Le peintre Federico Zuccari (v.
1540-1609), auteur, comme Vasari, de
fresques allégoriques au programme fort compliqué, en fut le président. Sa pensée représente un recul par rapport au rationalisme d’Alberti et de Léonard, puisqu’il affirme que les mathématiques ne sont pas indispensables au peintre.
Zuccari était membre d’autres acadé-
mies, notamment à Pérouse et à Parme.
À la fin du XVIe s., on constate une extension du phénomène académique dans toute l’Italie, ne s’accompagnant pas forcément d’une identité de conceptions.
D’une façon générale, une vision de l’art moins moderne que celle des dé-
buts de la Renaissance semble être le fait de ces premières académies, peut-
être par suite des troubles religieux du temps. On ne sait rien de très précis sur une académie artistique qui aurait été fondée vers 1583 aux Pays-Bas, à Haarlem, sous l’autorité de Carel Van Mander (1548-1606), peintre et premier historien d’art des écoles du Nord. Les académies, et c’est ce qui importe, apparaissaient en d’autres pays que l’Italie comme une forme d’organisation souhaitable.
Le mouvement
académique
en Italie au XVIIe s.
L’histoire des académies dans l’Italie du XVIIe s. est dominée par le rôle des Carrache* (Carracci). Leur doctrine, qualifiée d’éclectisme, proposait pour modèles les maîtres romains du dessin, c’est-à-dire Michel-Ange pour son énergie, Raphaël pour la justesse des proportions et l’harmonie de la composition, les Vénitiens, Titien* surtout, pour la science des ombres et des lumières, et enfin le Corrège* pour la grâce aristocratique due à la pureté de son coloris. Les Carrache fondèrent à Bologne l’académie « degli Incamminati » en 1585. Leur objectif était une transposition de la Renaissance et de ses enseignements dans le monde moderne, et non pas une fidélité archéologique aux maîtres du passé. Concurremment avec celle du Caravage*, leur influence domine toute l’évolution de la peinture du XVIIe s. Dans l’éclectisme qu’ils conseillèrent à leurs disciples, il ne faut pas voir une faiblesse de jugement qui permet de
tout accepter, mais plutôt le signe d’une vitalité qui leur a permis d’accueillir des expériences variées. Parmi les disciples de cette doctrine, les plus importants montrèrent que l’influence de l’acadé-
mie bolonaise pouvait mener jusqu’au réalisme.
Guido Reni, dit en franç. le Guide (Bologne 1575 - id. 1642), fréquenta l’académie des Carrache, puis séjourna trois ans à Rome (1600-1603). Il y ressentit très fortement l’influence du Caravage, comme le montre sa
Crucifixion de saint Pierre. De retour à Bologne, il travailla en collaboration avec Ludovico Carracci et ses élèves.
Partageant ensuite son activité entre Rome et Bologne, il choisit parmi diverses influences la voie du classicisme, c’est-à-dire Raphaël et les antiques. Un tableau comme le Massacre des Innocents retrouvait l’équilibre des compositions de Raphaël et servit de modèle au classicisme français, de POUSSIN* à INGRES*.
Domenico Zampieri, dit en franç. le Dominiquin (Bologne 1581 - Naples 1641), fut un élève de Ludovico Carracci. Il travailla aussi avec Annibale à la décoration de la galerie du palais Farnèse. Ses fresques inspirèrent profondément Poussin, qui travailla à l’académie de dessin que le Dominiquin avait ouverte à Rome. Le Martyre de saint André (1608), la Vie des saints Nil et Barthélemy (1608-1610, abbaye de Grottaferrata) témoignent de la profondeur de la culture classique de leur auteur, dont le goût pour la mesure et le rythme dans la composition, et la théorie de l’expression des visages ont été caractérisés sous le nom d’idéalisme, terme dont on se sert aussi pour commenter les oeuvres du Guide. Une oeuvre comme Hercule et Cacus, équilibrant le réalisme du paysage et la réflexion philosophique, aide à comprendre comment l’académisme du XVIIe s. trouva une issue au maniérisme.