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rale. La grande conquête de la Révolution pour le paysan, c’est la liberté juridique, solennellement garantie par la Charte. Mais les atteintes aux droits collectifs (droit de parcours, fagotage), comme l’amodiation des communaux, se multiplient durant la Restauration avec l’accord des autorités. C’est porter atteinte au niveau de vie du prolétariat campagnard, farouchement attaché à ces privilèges d’un autre âge. Les dé-

lits forestiers sont nombreux et vont du vol de bois au crime contre les gardes.

Solidaire dans sa volonté de maintenir ses usages, le peuple paysan l’est tout autant dans sa haine de la conscription, des impôts indirects — les fameux

« droits réunis » — et de l’étranger, bourgeois de la ville ou émigré revenu sur ses terres.

Qu’un missionnaire intolérant ou

malhabile fasse peser une vague menace contre les biens mal acquis, et la crainte renaît d’un retour des droits féodaux, des corvées ou des galères.

La pression démographique et la

recherche de ressources complémentaires indispensables entretiennent un courant d’émigration temporaire et saisonnier qui a ses régions et ses itinéraires privilégiés : maçons de la Creuse, travailleurs du bois de Bourgogne et de Champagne vers Paris ; manouvriers cantalous ; colporteurs, ramoneurs, voire maîtres d’écoles savoyards... Mais, entre la ville et la campagne, trop de barrières sociales et psychologiques se dressent encore pour que la circulation des idées, en particulier politiques, aère un peu ce

monde fermé et méfiant.

Le commerce et

l’industrie

La France de la Restauration n’a pas encore effectué sa révolution industrielle, son « décollage économique ».

Les modes de production traditionnels dominent, les manufactures sont minoritaires et l’activité industrielle, satellite du commerce comme au XVIIIe s., se distingue souvent mal de l’activité agricole. Ainsi, l’« industriel » de cette époque est la plupart du temps un né-

gociant-fabricant, qui distribue dans les ateliers urbains et dans les fermes la matière première. Il loue parfois les métiers, pratique quelques avances de fonds et rémunère le travailleur après collecte du produit fini, en fonction d’un tarif à façon. Plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers-paysans sont ainsi employés en Champagne, en Picardie, en Normandie et dans le Vivarais, dans la bonneterie, la toile, la dentelle etc.

L’organisation de l’industrie lyonnaise de la soie procède de ce système. Le

« soyeux », un négociant, fournit la matière première aux « chefs d’ateliers », petits patrons propriétaires de leurs métiers et qui travaillent avec quelques compagnons et apprentis. Ce soyeux fixe un prix de façon, sur lequel le chef d’atelier prélève les salaires et retient sa rémunération, hybride, mi-profit, mi-salaire.

L’artisanat et la petite industrie dominent largement. Mines — dont

les gisements sont éparpillés dans tout le pays — et sidérurgie sont des modèles d’archaïsme. Les forges sont saisonnières. Elles ferment en cas de sécheresse ou de gel. D’ailleurs, en ces temps où l’on pratique surtout la fonte au bois, le vrai maître de forges est d’abord un grand propriétaire foncier, disposant de vastes forêts.

En 1830, on compte une trentaine de hauts fourneaux, mais les procédés séculaires persistent, forges catalanes dans les Pyrénées, bergamasques dans le Sud-Est. La France accuse en ce domaine un retard considérable sur la Grande-Bretagne. Certes, des progrès encourageants sont constatés. Les forges de Fourchambault, créées vers 1818, peuvent être considérées comme

un foyer industriel de type moderne, avec dix hauts fourneaux et un personnel qualifié de 2 500 ouvriers environ.

Mais, ailleurs, on doit faire appel à des spécialistes anglais, rémunérés à prix d’or. Le machinisme se développe, plus précisément dans l’industrie cotonnière, et au stade de la filature (Alsace, Normandie, Nord). Là se constituent ces premières grandes concentrations industrielles, à Rouen, à Elbeuf, à Mulhouse. L’opinion commence à

s’étonner et bientôt à s’inquiéter de ces entassements d’hommes et surtout de femmes et d’enfants dans les manufactures. Le progrès technique est d’abord un impératif. La France est entrée depuis 1817 dans un cycle de dépression (la phase B des économistes), caractérisé par une stagnation et une baisse des prix. Le machinisme est un moyen de lutter contre cette érosion, au même titre que la compression des salaires.

Par rapport aux périodes antérieures, le progrès technique a permis d’abaisser le prix de revient de 25 p. 100 dans la draperie, de 30 p. 100 dans les cotonnades. Cet essor indéniable est pourtant freiné par deux obstacles majeurs : en premier lieu l’insuffisance criante des communications, qui interdit

d’élargir le marché aux dimensions du pays ; ensuite la faiblesse du système de crédit, qui limite l’investissement.

La Restauration a fait un gros effort pour améliorer les grandes routes que les guerres de l’Empire avaient laissées dans un état lamentable. Mais bien des itinéraires sont encore constitués par des voies défoncées — on n’ose les appeler routes —, dangereuses pour les charrois sinon pour les hommes.

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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17

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Au niveau départemental, les pré-

fets craignent de mécontenter leurs administrés, surtout les notables, par des impositions supplémentaires. La majorité des communes, quant à elle, est bien trop pauvre pour participer à la mise en place d’une oeuvre d’envergure en matière de chemins vicinaux.

Résultat : les transports sont longs et onéreux. On met 47 heures de Paris à Lyon, 72 heures de Paris à Toulouse et

ce par la malle-poste, transport rapide par excellence. En diligence, il faut compter 4 jours de Paris à Lyon, 8 de Paris à Toulouse ; dans le premier cas, le voyage coûte plus de 100 francs ; dans le second, le double. Cela à une époque où le gain annuel d’une famille ouvrière de 4 personnes (dont trois travaillent) avoisine 800 francs !

Le roulage pour les marchandises se pratique dans des conditions aussi médiocres. De Paris à Tours, il faut deux jours et demi, de Lyon à Arles quarante. Fleuves, rivières et canaux sont donc utilisés au maximum en

dépit des risques (sables de la Loire, crues et irrégularités du Rhône ou de l’Yonne). La Restauration porte à son actif la construction du canal du Rhône au Rhin, du canal de Bourgogne et quelques expériences d’avenir. Ainsi en est-il du premier bateau à vapeur sur la Saône et de l’ouverture de la première ligne de chemin* de fer Saint-

Étienne-Andrézieux pour le transport du charbon en 1828. En fait, on ne voyait pas encore la portée révolutionnaire de ces nouveautés.

Quant à l’activité bancaire, c’est une branche ordinaire du commerce.

Un banquier n’a pas encore d’activité spécialisée. Il s’occupe de négoce international sur les grands produits (coton, fer, etc.). Les innovations comme les sociétés anonymes ou les sociétés par actions rencontrent alors les obstacles de la loi, l’hostilité des grands propriétaires et la méfiance du bourgeois. La haute banque, constituée par quelques grandes familles, les Delessert, Mallet, Perier, Laffitte, est une caste fermée, préoccupée d’adjudications, d’emprunts et de spéculations mûrement réfléchies, au profit certain.

L’aventure industrielle la tente encore peu, et la faillite de l’audacieux Laffitte la confirme dans sa prudence.

La société urbaine

Les Bourbons restaurés ont entériné 1789. L’Ancien Régime n’est plus. La Charte, qui ne reconnaît pas de privilèges, ne reconstitue pas les ordres et concède l’essentiel, à savoir la liberté et l’égalité naturelles. Toutefois, si le principe bourgeois de la distinction sociale fondée sur la fortune et le mérite a