Sartre, c’est aussi une révolution philosophique : il abandonne son projet
de morale, définit les voies du réalisme politique dans le Diable et le Bon Dieu (1951), une psychanalyse existentielle et sociale dans Saint Genet comédien et martyr (1952). Désormais l’éthique doit se muer en pratique collective. En adhérant au Mouvement de la paix, Sartre met sa notoriété au service des communistes ; il participe à leurs campagnes contre la guerre d’Indochine et tait la plupart du temps ses réserves ou ses divergences.
En 1956, les chars soviétiques soumettent le peuple hongrois. Sartre rompt avec le P. C. F. et condamne l’intervention (« le Fantôme de Staline », paru dans les Temps modernes, 1957). Mais, s’il avait approuvé en 1952 le communisme au nom des
principes de l’existentialisme, il s’en sépare cette fois au nom du marxisme downloadModeText.vue.download 529 sur 621
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17
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lui-même : ce marxisme « gelé »
reste « la philosophie indépassable de notre temps ». Avec l’aggravation de la guerre d’Algérie et l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir, Sartre se rapproche de nouveau du P. C. F. dans une alliance somme toute négative. Il dénonce la torture et la répression de l’armée française. Surtout, à partir de 1960, il soutient la politique d’aide au F. L. N. qu’organise son ami Francis Jeanson et dénonce la « gauche respectueuse » : les communistes et les socialistes qui hésitent devant la révolution algérienne. Il se sent proche des mouvements de libération du tiers monde, dont il légitime la violence (préface aux Damnés de la terre de Frantz
Fanon, 1961). Il visite Cuba et se lie d’amitié avec les dirigeants libéraux du parti communiste italien.
Mais, à la fin de la guerre d’Al-
gérie, Sartre ne semble plus croire à une évolution positive de la politique française. Il est antigaulliste, antistalinien — sans développer
publiquement sa critique du com-
munisme. Il appelle à l’unité de la gauche en France mais ne participe guère qu’aux combats internationaux
contre le colonialisme, puis contre l’intervention américaine au Viêtnam. Pourtant, dès 1960, il avait préfacé la réédition d’Aden Arabie de Paul Nizan, une voix oubliée qui criait sa colère : « Ne rougissez pas de vouloir la lune : il nous la faut. »
La révolte étudiante de mai 1968, l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques rompent les derniers liens qui rattachaient Sartre au système de pensée communiste : il existe désormais une nouvelle ex-trême gauche à la gauche du P. C. F., et Sartre lui apporte sa solidarité. En 1970, il devient directeur de la Cause du peuple, organe maoïste plusieurs fois poursuivi par le ministère de l’Intérieur. D’abord nouveau compagnon de route de l’ensemble du gauchisme, il se rapproche des maoïstes de l’ex-Gauche prolétarienne, dont il approuve les méthodes illégales et la violence. Avec le quotidien Libération, dont il est également le directeur à sa fondation en 1973, Sartre espère en un rassemblement de toutes les tendances anti-hiérarchiques qui travaillent la société. Plus intégré qu’il ne le fut jamais à un groupe politique, il donne aux débats et au militantisme un temps qu’il refuse plus souvent qu’autrefois à la littérature. Il s’en explique en 1974 dans un recueil d’entretiens, On a raison de se révolter.
Jean-Paul Sartre pense avoir réussi avec les maoïstes ce qui a échoué avec le parti communiste français :
« Si j’avais eu la même enfance, et le même grand-père, je ne conçois pas d’autre trajet. Je vous le dis en toute naïveté : je ne suis pas mécontent de moi. Simplement, j’aurais voulu —
mais ça ne dépendait pas de moi —
que ce trajet fût plus court, autrement dit que les événements de mai 1968
eussent eu lieu en 55 ou en 60. »
M.-A. B.
F Engagement en littérature / Existentialisme /
Phénoménologie.
G. Varet, l’Ontologie de Sartre (P. U. F., 1948). / N. Cormeau, Littérature existentialiste. Le roman et le théâtre de Jean-Paul Sartre (Thone, Liège, 1951). / R. M. Albérès, Jean-Paul
Sartre (Éd. universitaires, 1953). / H. Duméry, Foi et interrogation (Téqui, 1953). / A. Stern, Sartre, his Philosophy and Psychoanalysis (New York, 1953). / F. Jeanson, Sartre par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1955) ; le Problème moral et la pensée de Sartre (Éd.
du Seuil, 1966) ; Sartre (Desclée De Brouwer, 1966) ; Sartre dans sa vie (Éd. du Seuil, 1974).
/ C. Audry, Connaissance de Sartre (Julliard, 1956) ; Jean-Paul Sartre (Seghers, 1966). /
P. Naville, l’Intellectuel communiste. À propos de Jean-Paul Sartre (Rivière, 1957). / S. de Beauvoir, la Force de l’âge (Gallimard, 1960).
/ M. W. Cranston, Sartre (Édimbourg, 1962). /
R. Garaudy, Questions à Jean-Paul Sartre (Éd.
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/ R. Jolivet, Sartre ou la Théologie de l’absurde (Fayard, 1965). / Jean-Paul Sartre, numéro spécial de l’Arc (Aix-en-Provence, 1966). /
R. Lafarge, la Philosophie de Jean-Paul Sartre (Privat, Toulouse, 1967). / T. S. Molnar, Sartre, ideologue of our Time (New York, 1968 ; trad.
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Techniques et contexte d’une provocation (Larousse, 1972). / N. Martin-Deslias, Jean-Paul Sartre ou la Conscience ambiguë (Nagel, 1972).
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Quelques repères
biographiques
1905 Le 21 juin, naissance de Jean-Paul Sartre à Paris.
1906 Mort de son père.
1917 Remariage de sa mère.
1924 Sartre entre à l’École normale supé-
rieure de la rue d’Ulm, où il se lie avec Paul Nizan.
1928 Échec à l’agrégation de philosophie.
1929 Sartre est reçu premier à l’agrégation de philosophie. Il rencontre Simone de Beauvoir. En octobre, il part faire son service militaire à Tours.
1931 En février, il est libéré de ses obligations militaires. Il est nommé professeur de philosophie au Havre.
1933 En février, il cesse d’enseigner au Havre. En été, il voyage en Espagne. En septembre, il succède à Raymond Aron à l’Institut français de Berlin.
1934 Il écrit Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl : l’intentionnalité (article publié en janvier 1939 dans la Nouvelle Revue française et repris dans Situations I), puis un Essai sur la transcendance de l’Ego (publié en 1936 dans Recherches philosophiques). En été, il voyage des Vosges à la Tchécoslovaquie via l’Allemagne et l’Autriche. En octobre, il retrouve son poste d’enseignant au Havre.