En cette fin de XIIe s., de vastes enclaves échappent à l’autorité centrale : le comté de Genève et la seigneurie de Faucigny, qui isolent le Chablais du reste de la principauté, à l’intérieur de laquelle s’affirme de plus en plus nettement la volonté d’indépendance des prélats, parmi lesquels seuls ceux d’Aoste et de Saint-Jean-de-Maurienne acceptent encore de se reconnaître vassaux directs du comté.
Le renouveau religieux et
économique
D’abord limité au bas pays savoyard par les bénédictins de Cluny, qui s’établissent au Bourget-du-lac en 1030 et qui ne pénètrent à l’intérieur du massif qu’à la fin du XIe s. (Contamine-sur-Arve en Faucigny, Bellevaux dans les Bauges), le mouvement monastique ne se diffuse réellement dans les hautes vallées alpestres qu’au XIIe s. Cette pé-
nétration se fait d’abord à l’instigation de l’ordre de Cîteaux, auquel adhère en 1135 l’abbaye Notre-Dame-d’Aulps, en Chablais, qui a déjà essaimé à Hautecombe. Puis les chanoines réguliers de Saint-Augustin fondent au début du XIIe s. l’abbaye d’Abondance, en Chablais, dont les moines favorisent bientôt la réforme de l’abbaye de Saint-Maurice-d’Agaune, ou vont peupler l’hospice du Grand-Saint-Bernard et sa dépendance, le prieuré de Meillerie.
Enfin les Chartreux s’installent dans la gorge de Vallon, en Chablais, et dans celle du Béol, près de Cluses (Chartreuse du Reposoir, 1151).
Ces fondations religieuses, établies à la limite des alpages et des forêts montagnardes, là où la terre n’est pas encore appropriée, pratiquent une véritable colonisation intérieure en étroite downloadModeText.vue.download 549 sur 621
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17
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union avec les communautés agro-pastorales, dont la population croît alors rapidement et qu’elles font bénéficier d’un renouveau économique caracté-
risé notamment par la multiplication des défrichements, la construction de moulins sur les cours d’eau, l’extension du vignoble et l’essor de la métallurgie.
L’essor territorial de la
puissance savoyarde
(1189-1440)
La recherche de la cohésion
territoriale (1189-1355)
Thomas Ier (comte de 1189 à 1233),
« second fondateur de la Savoie », est rétabli dans ses droits en Valais par l’empereur Henri VI. Il facilite alors l’élection à l’Empire d’un autre Hohenstaufen, Philippe de Souabe, aux dépens d’Otton IV de Brunswick, notamment en battant en 1211 à Ulrichen l’un de ses adversaires, Berthold V de Zähringen, dont la famille a reçu les avoueries des évêchés de Genève, de Lausanne et de Sion. Aussi réclame-t-il la concession de Moudon, dans le pays de Vaud ; de plus, après avoir reconquis Pignerol, il se fait octroyer en outre les villes de Chieri et de Tortona, très proches de Turin, ainsi que le titre de « vicaire impérial de la Lombardie », ce qui lui permet de récupérer l’essentiel de l’héritage d’Adélaïde de Suse. Ayant ainsi reconstitué et étendu la principauté familiale dans la diversité de ses composantes, il lui donne enfin un centre en achetant en 1232 au vicomte Berlion la ville de Chambéry, dont il fait sa capitale.
Il pratique en outre une habile politique matrimoniale. Il unit sa dynastie, par l’intermédiaire de ses huit fils et de ses quatre filles, aux plus puissantes familles d’Europe, Béatrice de Savoie épousant en particulier en 1220
Raimond Bérenger IV (ou V), comte de Provence, dont les quatre filles s’unissent à leur tour, entre 1234 et 1246, aux rois de France, d’Angleterre, de Germanie et de Sicile. Mais, son fils aîné et premier successeur, Amédée IV
(comte de 1233 à 1253), ayant dû céder en apanage toutes ses possessions si-tuées à l’est des Alpes à son frère cadet,
Thomas II, comte de Piémont (de 1245
à 1259), l’expansion vers l’est de la principauté devient alors impossible et le restera jusqu’à la réincorporation, en 1418, de ces territoires au domaine savoyard, faute de descendants mâles.
Et comme, d’autre part, l’intervention capétienne à Lyon limite à l’ouest les ambitions savoyardes, c’est vers le nord exclusivement que ces dernières se développent dès lors.
Après la mort prématurée du fils
d’Amédée IV, Boniface (comte de
1253 à 1263), l’oncle de ce dernier, Pierre II (comte de 1263 à 1268), incorpore le Faucigny, dot de sa femme Agnès, aux États de la maison de Savoie et tente d’étendre son influencé à Genève en accordant son appui aux partisans d’un régime communal,
dont l’institution est combattue par l’évêque, qui ne dépend que de l’Empereur. Mais la mort de Pierre II sans héritiers mâles entraîne le partage de ses États. Tandis que l’essentiel de sa succession revient à son frère Philippe Ier (comte de 1268 à 1285), qui acquiert définitivement Turin, le Faucigny, augmenté du Beaufortin, revient à sa fille Béatrice († 1310), épouse de Guigues VII, dauphin de Viennois. Installée au coeur de l’État savoyard, bien secondée par le dauphin Humbert Ier de La Tour du Pin, l’énergique princesse Béatrice, surnommée la « Grande Dauphine », s’allie à l’évêque et au comte de Genève ainsi qu’à l’empereur Rodolphe Ier de Habsbourg pour bloquer en Suisse alémanique sa progression menaçante.
La maison de Savoie renverse la
situation grâce à Amédée V le Grand (comte de 1285 à 1323). Fils du comte de Piémont Thomas II, il succède à son oncle Philippe Ier, qui, faute de descendance, lui lègue ses possessions par un testament, que ratifient les états de Chambéry. Son neveu Philippe
d’Achaïe reçoit le Piémont (1282-
1334) en apanage, et son frère Louis Ier le pays de Vaud (1285-1302).
Maître de la Bresse depuis son mariage en 1272 avec Sibylle de Bâgé, s’alliant avec habileté selon les circonstances avec les rois de France et d’Angleterre ou avec l’empereur,
Amédée V s’empare de positions stratégiques en Faucigny et en Bugey, puis obtient au traité de Montmélian (1308) la renonciation définitive de Béatrice la Grande Dauphine à ses droits sur la Savoie. Sans doute, le conflit se prolonge-t-il sous les règnes d’Édouard le Libéral (comte de 1323 à 1329), vaincu à Varey en 1325, d’Aymon le Pacifique (comte de 1329 à 1343) et d’Amédée VI (comte de 1343 à 1383), qui l’emporte aux Abrets en 1354. Surnommé le « Comte vert », Amédée VI réussit à signer avec les nouveaux maîtres du Dauphiné depuis 1349,
c’est-à-dire avec le roi de France et son fils le dauphin, le traité de Paris de 1355, qui annexe ou réincorpore à la Savoie le pays de Gex, le Faucigny et lui concède l’hommage du comte de Genève en échange de ses possessions en Viennois. Ce traité, consolidé par le mariage, en 1355, du Comte vert avec Bonne de Bourbon († 1403), donne à la Savoie une cohérence territoriale et consacre sa puissance en accord avec la France.
La marche vers l’est et la
vocation italienne
Héros de la croisade de Gallipoli, qu’il organise seul contre les Turcs (1366-1367), Amédée VI veut s’illustrer en accroissant ses États. Mais, ne pouvant plus orienter leur expansion vers la France, il se tourne vers l’Italie, intervenant en particulier dans le conflit opposant les principautés de la plaine du Pô : Milan, Saluées et Montferrat ; en 1382, il obtient même de Louis Ier d’Anjou la cession des possessions de la reine de Naples, Jeanne Ier, en Piémont. Un moment arrêtée par les conflits violents opposant les paysans de Maurienne et de Tarentaise (1385) à leurs seigneurs ecclésiastiques ainsi que par la révolte des tuchins en Pié-
mont, la politique d’expansion reprend en Italie, mais cette fois en direction du sud : Amédée VII, dit le « Comte rouge » (comte de 1383 à 1391), achète en 1388 le comté de Nice, qui assure à ses États un débouché maritime qui le libère de toute sujétion à l’égard des ports assurant ses échanges extérieurs (Genève, Venise, Marseille). Après une difficile régence, dont sa grand-mère Bonne de Bourbon et sa mère,