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Atatürk meurt le 10 novembre 1938, et Ismet Inönü (1884-1973) lui succède à la tête de l’État. Tandis que se développe le culte du disparu, la Turquie traverse la Seconde Guerre mondiale en mettant ses efforts à rester neutre : ce n’est qu’en février 1945 que, symboliquement, elle déclare la guerre à l’Allemagne et au Japon.

La démocratie

À l’issue du conflit, en partie pour trouver un appui contre les pressions sovié-

tiques, en partie parce que la démocratie est à la mode, la Turquie s’engage dans une voie nouvelle. À l’extérieur, elle se tourne vers les États-Unis, bénéficie avec enthousiasme du plan Marshall (1947) et est membre de l’O. E. C. E.

(Organisation européenne de coopé-

ration économique) dès sa création en 1948, adhère en même temps que la

Grèce au Pacte atlantique (1952), est membre du pacte de Bagdad, transformé après la révolution irakienne de 1958 en CENTO (Central Treaty

Organization), souhaite entrer dans la Communauté européenne. À l’inté-

rieur, elle abandonne le dirigisme, dé-

nationalise un certain nombre d’industries, fait appel aux capitaux étrangers, renonce au strict laïcisme, tout d’abord en rendant obligatoire l’instruction religieuse dans les écoles primaires (1947). Cette politique inaugurée par le CHP prend sa pleine mesure sous la direction d’un nouveau gouvernement démocrate. Dès 1946, la Turquie a en effet mis fin au système du parti unique et fondé assez artificiellement un parti démocrate (Demokrat parti, DP), dirigé par un ancien Premier ministre, l’économiste Celâl Bayar (né en 1883).

Aux élections de mai 1950, le parti démocrate enlève 408 sièges sur les 470 à pourvoir (avec, il est vrai, seu-

lement 54 p. 100 des voix). C. Bayar devient président de la République, et Adnan Menderes (1899-1961) Premier ministre. Les élections de 1954 et de 1957 confirment à peu près ce verdict.

Après une période d’euphorie ac-

compagnée d’un fantastique engoue-

ment pour le mode de vie américain, une crise de croissance se manifeste qui prend bientôt des proportions

inquiétantes. Les investissements ont été considérables et le visage du pays a très réellement changé ; mais beaucoup ne sont pas rentables à court terme (rénovation urbaine, électrification des villes, excellent équipement routier) ; d’autres ont été mal répartis ; d’inévitables erreurs provoquent des scandales. Entrepreneurs ou sociétés ont parfois réalisé de subites fortunes.

L’entretien d’une forte armée coûte cher et tend à déséquilibrer le budget. Les mesures de faveur accordées à la classe paysanne, conservatrice et soutien essentiel des démocrates, deviennent démagogiques. Les sentiments musulmans et la tolérance

envers les éléments cléricaux font croire aux réactionnaires que la voie leur est ouverte et provoquent, notamment dans le centre et l’est du pays, des mouvements de fanatisme qui n’étaient ni prévus ni souhaités. Comme la Turquie, malgré l’élévation de son niveau de vie, n’est pas devenue une seconde Amérique, la désillusion succède à l’optimisme, et le nationalisme commence à se sentir choqué de ce qu’il considère comme une diminution de la souveraineté. La presse s’agite, les étudiants se déchaînent. Les démocrates réagissent avec affolement par des mesures autoritaires, antidémocratiques, voire dictatoriales.

Le 27 mai 1960, les généraux

prennent le pouvoir. Bayar, Menderes, les ministres, nombre de députés sont arrêtés et traînés devant une Haute Cour de justice qui les condamne à la détention ou à la mort (procès de Yas-siada, 14 oct. 1960 - 15 sept. 1961).

La pendaison de Menderes est res-

sentie par une fraction importante de la population comme un assassinat et fait de lui un martyr. Alors commence à se creuser un fossé de part et d’autre

duquel les Turcs vont se ranger, irré-

conciliables. Cependant, le comité gouvernemental, dirigé par le général Cemal Gürsel (1895-1966), n’entend pas conserver le pouvoir, mais le remettre à la nation dès la promulgation d’une nouvelle constitution. Celle-ci, qui promet de nombreuses libertés et remplace l’Assemblée unique par deux chambres, est soumise au référendum et adoptée par 62 p. 100 des électeurs.

Malgré la détention des leaders démocrates, la suppression de leur parti, la propagande, les élections législatives sont un éclatant désaveu du coup

d’État. Le 15 octobre 1961, le CHP, qui a la sympathie des militaires, parvient à faire élire 173 députés. Les formations nouvelles, plus ou moins réincarna-tions du parti démocrate, en obtiennent 277. En tête, le parti de la justice (Adalet partisi, AP), qu’animera à partir de 1964 Süleyman Demirel (né en 1924).

Loyale, l’armée accepte la décision populaire, et les coups d’État que tentent des militaires en 1962 et 1963 n’aboutissent pas.

L’affaire de Chypre, qui avait déjà agité l’opinion de 1955 à 1959, dé-

tourne heureusement l’attention sur les affaires extérieures. Bien décidés à soutenir leurs compatriotes, qui sont minoritaires dans l’île, et instruits par les expulsions successives du XIXe s. et du début du XXe s., les Turcs sont prêts à faire la guerre (1967).

La situation intérieure ne s’améliore pourtant pas. Les accords passés avec l’U. R. S. S., le départ pour l’Europe occidentale (Allemagne, surtout) d’une main-d’oeuvre excédentaire, la dévaluation de la monnaie, l’essor remarquable du tourisme ne parviennent à enrayer ni le chômage ni la montée des prix. Ce qui est pire encore, le clivage politique s’accentue : la majorité reste attachée au courant de pensée incarné jadis par les démocrates ; la minorité y est nettement hostile. Ni l’une ni l’autre n’accepte les mesures du parti opposé. L’armée, qui refuse de prendre en main les destinées du pays, reste vi-gilante et prête à intervenir. Toute politique engagée est impossible. Seule est admise une union nationale, mariage des contraires imposé par la raison, mais impuissant et toujours ébranlé. Le

rôle de la police secrète (MIT) devient plus important. Les ardents, les imprudents qui ne redoutent pas de plonger la Turquie dans l’anarchie s’engagent dans des voies extrêmes, de droite ou de gauche. Un parti ouvrier (Türkiye Işçi partisi, TIP) est fondé en 1961, un parti du salut national (Millî Nizam partisi, MNP) en 1969 ; puis ce sont des groupes d’action directe qui se constituent (Jeunesse révolutionnaire

[Dev Genç], Armée de libération populaire). Les attentats succèdent aux manifestations.

En 1970, dans son message de fin

d’année, le général Memduh Tağmaç

(né en 1904) constate que le pays est en plein chaos, mais affirme que l’armée saura éviter la guerre civile. Le 12 mars 1971, l’état-major lance un ultimatum à Cevdet Sunay (né en 1900), président de la République depuis 1966, demandant l’application des réformes prévues par la Constitution, notamment des réformes agraires. Il prévient que l’ar-mée prendra de nouveau le pouvoir si un gouvernement fort n’est pas constitué dans les plus brefs délais. Le même jour, Demirel démissionne.

Nihat Erim (né en 1912) est chargé de former un gouvernement de large union qui puisse ramener l’ordre par la voie légale : à l’étranger, on commence à s’émouvoir des actions des commandos urbains et de la soi-disant armée de libération (assassinat du consul d’Israël, Ephraïm Elrom, enlèvement de la jeune Sibel Erkan). Des arrestations massives sont effectuées, d’abord de terroristes, puis de personnalités diverses, entre autres d’universitaires.