Au nord-ouest, Troie VI (v. 1850-1280) est une cité importante, sans relation avec les Hittites et uniquement tournée vers le monde mycénien. Ses mégara appartiennent à cette école architecturale des modestes palais de l’Ouest anatolien, dont les archéologues qui les ont fouillés veulent à tout prix qu’ils aient influencé Cnossos. À
la sixième ville ruinée par un séisme, succède Troie VII a (v. 1280-1240), qui semble bien avoir été pillée et brû-
lée à la suite d’un siège, et qui serait donc l’Ilion d’Homère.
Bien avant cette date, les côtes de l’Anatolie avaient attiré les marchands de l’Égée : les Minoens de Crète ont surtout recherché les escales sur la route qui les menait en Syrie et ont fondé à Milet et à Ialysos (auj. près de Trianta, Rhodes) des comptoirs qui ont duré de 1550 à 1450 environ. Ils sont remplacés par les Mycéniens de la péninsule hellénique, qui, plus nombreux et plus hardis, se sont cependant installés de préférence dans le même
secteur sud-ouest de l’Anatolie, fondant des établissements autonomes (Milet, Müsgebi et Assarlik, sur le continent ; Ialysos, Calymnos et Cos, dans les îles), où l’on retrouve souvent leurs tombes caractéristiques en tholos.
Quant aux vases mycéniens, ils ont été livrés en abondance sur toute la côte méditerranéenne de Troie à Tarse, et quelques exemplaires sont même parvenus sur le littoral du Pont et à l’inté-
rieur de l’Anatolie. Cette géographie des trouvailles ne favorise pas la fameuse hypothèse du caractère mycé-
nien ou achéen (comme dit Homère) du royaume de Ahhiyawa, qui fut en conflit avec les Hittites au XIIIe s. ; en tout cas, on ne peut pas le placer dans la péninsule.
Le déracinement des
peuples (XIIIe-XIIe s.) et
les siècles obscurs
(v. 1200-900)
Les civilisations anatoliennes du IIe millénaire disparaissent dans une catastrophe qui frappe l’ensemble du Proche-Orient. Le mouvement des
Peuples de la mer et du Nord, comme disent les textes de l’Égypte — le seul État méditerranéen qui ait survécu à l’épreuve —, entraîne des groupes venus les uns du Sud-Est européen et de l’Égée, les autres du pourtour anatolien, que les Hittites n’avaient jamais soumis. Les premières populations errantes déracinent et emmènent avec elles les sédentaires, dont elles ont ravagé les terres ; les cités sont incendiées, les petits royaumes d’Anatolie et l’Empire hittite lui-même disparaissent au début du XIIe s. Certains des Barbares responsables de ce désastre vont ensuite attaquer la haute vallée du Tigre : les Assyriens, qui les downloadModeText.vue.download 47 sur 561
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arrêtent là, nomment les Kaska, sortis de la chaîne Pontique, et les Moushki (sans doute un groupe phrygien basé dans le Taurus). Mais, en dehors de ces confins, l’historien ignore tout du destin de l’Anatolie après le passage des envahisseurs. Le secret de l’aciération
du fer, pratiquée dès le XVe s. en haute Cilicie et constituant un monopole pour les rois hittites, est divulgué à la faveur du déplacement des populations ; mais, ce progrès excepté, les siècles obscurs après 1200 correspondent dans la pé-
ninsule à un recul de la civilisation et sans doute, pour autant que l’on puisse le savoir, à un retour à la vie pastorale.
Civilisations et États
d’Anatolie avant la
conquête perse (IXe-VIe s.)
Vers 900, le Proche-Orient commence à se relever de la terrible crise, et, au contact de la Mésopotamie et de la Syrie, plus avancées, de nouvelles organisations politiques commencent leur essor en Anatolie. Ce sont d’abord le royaume d’Ourarthou, aux confins de la Turquie et de la Transcaucasie soviétique actuelles, et les petits royaumes « néo-hittites » de Syrie septentrionale et du Sud-Est anatolien ; un peu plus tard, la prédominance en Anatolie passe à des peuples situés plus à l’ouest, les Phrygiens, puis les Lydiens, au voisinage desquels s’affirment des unités culturelles de moindre importance. (V. Hittites.)
L’Ourarthou (IXe-VIe s.)
Jusqu’au Ier millénaire av. J.-C., l’Anatolie orientale, pays de hautes montagnes et de bassins isolés, était restée très arriérée. Pour résister aux expéditions de pillage que les Assyriens reprennent dans cette région au début du IXe s., les minuscules royaumes de la cuvette du lac de Van, dont la population semble apparentée aux Hourrites, se liguent pour former un État puissant, que les textes locaux appellent Biaïni, Naïri ou Haldi, mais à qui les scribes d’Assyrie donnent le nom géographique d’Ourarthou, car il comprend le massif montagneux qui a gardé de nos jours le nom à peine transformé d’Ararat. Parti du modèle assyrien, ce nouvel État élabore une culture originale, révélée par les fouilles ré-
centes à Altintepe, près d’Erzincan, à Argishtihinili (actuellement Armavir), à Erebouni (actuellement Arin-berd), à Teishébaini (actuellement Karmir-Blour), près d’Erevan, à Kefkalesi
et à Toushpa, au voisinage du lac de Van. Des murs d’appareil cyclopéen protègent les villes, dominées par leur citadelle. Les rois y consacrent à leurs divinités (Haldi, seigneur de la Guerre ; Teishéba, dieu de l’Orage ; Shiwini, le Soleil) de petits temples carrés avec une façade à fronton et à colonnes ; au voisinage, un palais, orné de fresques et dont le toit est parfois soutenu par des piliers en pierre ou des colonnes en bois, comporte plus de magasins que de pièces d’apparat.
Sortant de leurs montagnes, les
rois d’Ourarthou colonisent les pays arriérés du Nord et de l’Est (fossé de l’Araxe, cuvette du lac Sevan, haute vallée de l’Euphrate) ; partout ils font creuser des canaux d’irrigation, et, là où l’altitude le permet, ils répandent la culture de la vigne et des arbres fruitiers. Leurs sujets mettent en valeur les gisements métalliques et deviennent des spécialistes du bronze, du fer et, à l’imitation des Syriens, de l’or et de l’ivoire.
On a découvert un grand nombre
d’inscriptions royales, où les cunéiformes, qui ont supplanté là les « hié-
roglyphes » locaux, transcrivent de l’assyrien ou de l’ourarthéen, mais leurs formules stéréotypées ren-downloadModeText.vue.download 48 sur 561
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seignent assez mal sur l’histoire évé-
nementielle et même sur la suite des différents souverains. On devine cependant les grands traits de l’évolution de la domination des rois d’Ourarthou. Profitant de la crise intérieure qui frappe l’Assyrie entre 828 et 746, ils soumettent au tribut les Mannéens de la région du lac de Rezāye et les Néo-Hittites du Sud-Est anatolien et de la Syrie du Nord. Mais Sardouri, fils d’Argishti, qui s’est proclamé « Roi des rois », est chassé de Syrie (743) par l’Assyrien Téglatphalasar III, qui vient l’assiéger dans Toushpa (735), sa capitale. Son fils, Rousâ, qui tente de reconstituer son empire, voit ses États envahis par les Cimmériens et par Sar-
gon II d’Assyrie, et il se suicide (714).
Ses successeurs rétablissent la situation et, ayant renoncé à la domination sur les Mannéens et les Néo-Hittites, ont des rapports corrects avec les Assyriens. Mais les invasions continuent au Proche-Orient, et l’Ourarthou disparaît au début du VIe s., détruit sans doute par les Mèdes et par les Scythes. Bientôt après, la prédominance en Anatolie orientale passe à un autre groupe ethnique, celui des Arméniens.
Cependant, l’Ourarthou, qui avait su réaliser une synthèse originale des styles de la Mésopotamie et de la Syrie, a eu le temps d’influencer la production artistique des Scythes, de la Phrygie et de la Grèce archaïque, et de donner une première version de ce qui sera l’apa-dâna perse (salle au toit soutenu par des rangées de colonnes).