Djoser établit définitivement sa capitale à Memphis. Si, politiquement, son règne est mal connu, dans le domaine de l’art il marque une véritable révolution. Désormais, la pierre taillée (jusqu’ici très peu employée) devient matériau d’architecte. Les formes architecturales mêmes sont rénovées : la première pyramide (à parois non lisses, mais comportant six degrés) se dresse sur le plateau de Saqqarah ; l’ensemble (pyramide et monuments cultuels annexés étant ceints d’un mur de 1 600 m environ) tire admirablement parti, pour la première fois aussi, du site naturel, que borne au loin la falaise libyque, magistrale transposition en pierre du tas de sable qui, dans les sépultures prédynastiques, formait la plus humble couverture au corps.
Sur les successeurs de Djoser, nous n’avons guère de renseignements
précis.
C’est aussi essentiellement par leurs tombeaux, dominés, en superstructure, par la forme pyramidale achevée, que sont connus les pharaons de la IVe dynastie : ces Kheops, Khephren, Mykerinus (notamment), fils ou frères les uns des autres, mais compagnons inséparables pour la postérité et dont les noms ont franchi (depuis 2700 av.
J.-C.) près de cinq millénaires pour frapper notre imagination. Qu’étaient ces souverains ? Ne croyons pas Hérodote, le Grec crédule, aux écoutes de ses guides ou de ses âniers bavards et inventifs, qui lui contaient sans doute que Kheops fit travailler à mort ses malheureux sujets et même prostitua sa fille pour élever son tombeau, que le règne de Khephren fut aussi tyrannique, etc.
Nous allons désormais sortir du domaine de la légende ou du témoignage fragmentaire, insuffisant, trop purement graphique (relevant de l’archéologie au moins autant que de l’histoire), avec la Ve dynastie : les documents écrits, cher souci des historiens, nous apportent alors leur témoignage précieux. En effet, avec la pierre, l’écriture (complément organique du dessin) trouve
son support idéal, support d’éternité, et ce n’est pas là la moindre conséquence de la « révolution » d’Imhotep. Cette abondante littérature lapidaire se développe en longues colonnes sur les parois intérieures des pyramides royales (à partir d’Ounas, dernier souverain de la Ve dynastie, textes religieux) et sur les murs des chapelles des tombes privées, ou mastabas : officiers ou administrateurs content leur odyssée ou leur vie provinciale, non, bien sûr, avec un souci historique, mais dans un but religieux déterminé, magie verbale.
Enfin, les « sagesses », des contes de cette époque, reproduits ultérieurement sur papyrus (nouveau support de l’écriture, plus maniable, en usage à la fin de l’Ancien Empire), complètent nos
« sources » sur ces temps plus anciens (que n’avons-nous retrouvé copie de la sagesse d’Imhotep à laquelle font allusion des textes postérieurs !).
Que fut donc l’histoire connue
de l’Égypte en son premier
épanouissement ?
Dans cette monarchie absolue, la so-ciété, l’économie, la politique convergeaient autour du roi-dieu, de par son essence même médiateur obligé entre les hommes et les divinités, potentat magicien.
Le « sphinx de Gizeh » demeure
l’image même de cette conception.
Autre témoignage : les hymnes des textes des pyramides. Le roi mort, que l’immortalité atteint d’abord par la magie des mots que scandent sur sa momie des desservants du culte funé-
raire, monte, glorieux, au ciel :
« Réveille-toi, réveille-toi / Lève-toi
/ Assieds-toi / Secoue la terre loin de toi / — Je viens ! // Il monte au ciel comme les faucons / Ses plumes sont comme celles des oies / Il s’élance au ciel comme la sauterelle / Il s’envole loin de vous, hommes / Il n’est plus sur la terre / Il est au ciel / Auprès de ses frères les dieux ! / Le ciel parle /
La terre tremble / Le ciel résonne / La terre gémit / C’est Horus qui vient / O
Rê, ton fils vient à toi // Les portes du ciel s’ouvrent devant toi / Les portes de l’eau fraîche s’écartent devant toi
/ Tu trouves Rê debout / Il te prend par la main / Il te conduit dans les deux demeures divines du ciel //...
Il trouve les dieux debout / Drapés dans leurs vêtements / Leurs sandales blanches aux pieds / Ils jettent leurs sandales blanches / Ils enlèvent leurs vêtements : / Notre coeur n’a pas connu la joie avant ton arrivée. // J’étends le bras vers les hommes / Les dieux viennent à moi en s’inclinant / De ton éclat, ô Rê, je me suis fait des degrés sous mes pieds // » — Orgueil du dieu royal. Admirable pouvoir suggestif des rythmes et des images !
Religion et royauté sont indissolublement liées dans le système pharaonique. Le culte du Soleil, Rê, prenant alors (depuis Héliopolis, son centre principal, à quelques kilomètres au nord de Memphis) une grande extension, le cinquième élément de la titulature royale, à partir de Khephren, est le nom de « fils de Rê », inclus dans un
« cartouche » (en égyptien shenou, d’un mot signifiant « encercler » ; symbole graphique de la souveraineté du roi sur « tout ce qu’encercle le Soleil ») ; l’alliance se resserre sous la Ve dynastie, dont les trois premiers souverains, selon la légende, seraient les fils charnels de Rê et de la femme d’un de ses prêtres. L’Horus « se solarise ».
Le monde de la vallée la
politique intérieure
Autour du dieu-roi se groupent la vie de l’État (administration et clergé) et celle des hommes (société hiérarchisée).
L’essentiel du pouvoir temporel est de « commander » et de « juger ». Le roi peut exercer publiquement cette double fonction, en donnant audience, assis sur son trône, devant la porte de son palais. Mais c’est naturellement par l’intermédiaire de l’administration qu’il gouverne réellement. À ce pays, en plein développement, l’administration thinite ne pouvait plus suffire.
À partir de Snefrou (1er roi de la IVe dynastie), un vizir (tjaty), créature royale, maître de l’exécutif, a la responsabilité de l’administration centrale. Il est assisté de « directeurs de missions », qui assurent une liaison
constante avec l’administration provinciale ; il est aussi le chef de la justice et le directeur des archives royales ; il préside également deux des plus importants services de l’État, l’agriculture et le trésor.
Le nombre des fonctionnaires dans chaque « maison » est considérablement accru : chefs, sous-chefs, directeurs adjoints. Une importante classe de scribes se développe : rédacteurs fins lettrés, calame en main, papyrus déroulé sur les genoux, oeil attentif, ils sont initiés à tous les secrets de l’État et apportent leur concours indispensable à toute la machine administrative. Ces conseils d’un père à son fils témoignent de leur importance :
« Vois, il n’y a aucun métier qui ne soit sans un maître, excepté celui du scribe ; il est son maître [...]. Le scribe est délivré des travaux manuels ; il est celui qui commande [...]. Sois scribe pour que tes membres soient lisses et que tes mains deviennent douces, pour que, vêtu de blanc, tu puisses sortir magnifié et que les courtisans te saluent. » Parmi eux pouvait être choisi le vizir, du moins après la IVe dynastie (au début, les vizirs étaient fils royaux).
Les cadres de l’administration provinciale ne furent pas modifiés, mais les monarques (ceux de Haute-Égypte, les plus éloignés de la capitale, notamment) tendirent à une indépendance de plus en plus grande : on en verra les conséquences désastreuses à la fin de la VIe dynastie.
Servir le roi-dieu étant un devoir, les fonctionnaires sont, à l’époque archaïque, simplement nourris. Puis la confusion se faisant entre ce service « personnel » et celui de l’État, les serviteurs du royaume sont pourvus de salaires, de distinctions honorifiques : promotions, peu à peu cumul de charges (autre fait dangereux), dotations funéraires royales (terrains, stèles, sarcophages), etc. « Je sollicitai de la Majesté du maître que l’on me rapportât de Tourah (carrières de calcaire, en face de Memphis) un sarcophage de calcaire. Sa Majesté accorda qu’un chancelier divin embarquât, avec une troupe de marins placée sous son autorité, pour rapporter de Tourah ce sarcophage à mon intention. Et il le