Il ouvre alors le livre des Épîtres de saint Paul qui, depuis quelque temps, lui sont devenues familières, et il tombe sur le chapitre XIII de l’Épître aux Romains : « Ayons, comme il sied en plein jour, une conduite décente ; ni ripailles, ni ivresse, ni débauche, ni luxure... Revêtez au contraire le Seigneur Jésus-Christ... »
Quelques semaines plus tard, Au-
gustin, renonçant à sa chaire, se retire, avec sa mère et quelques amis, dans la propriété d’un collègue, à Cassiciacum près de Milan. Il y vit dans une retraite préparatoire au baptême. Il est baptisé durant la vigile pascale (24-25 avr.) de l’année 387, en même temps que son fils Adéodat et qu’Alypius.
À Cassiciacum, Augustin écrit ses
Dialogues (Contra academicos, De beata vita...), échos de délicieux entretiens entre amis, auxquels Monique participe. En même temps se fortifie, chez Augustin et ceux qu’on peut déjà appeler ses disciples, le désir de se retirer du monde. À l’automne 387, Augustin est sur le point de s’embarquer à Ostie quand Monique meurt.
Cet événement retient le néophyte plusieurs mois à Rome : il y emploie son éloquence à réfuter le manichéisme. En septembre 388, il part pour l’Afrique et, après un bref séjour à Carthage, se rend dans sa ville natale.
La conversion d’Augustin va naturellement s’épanouir et porter fruit dans le renoncement total aux biens terrestres, dans la pratique des conseils évangéliques, bref dans ce qu’on est convenu d’appeler la vie religieuse.
Augustin vend tout ce qu’il possède et en donne le prix aux pauvres ; ensuite, il se retire dans sa propriété de Tagaste, déjà aliénée, pour y vivre en commun dans la pauvreté, la prière et la méditation. De cette époque (388-391) datent plusieurs entretiens (De magistro, De vera religione...) inclus dans le Liber LXXXIII quaestionum.
En 389, le fils d’Augustin, Adéodat, meurt.
À Hippone :
le prêtre, l’évêque
Ayant été obligé de se rendre à Hippone, Augustin est reconnu par les fidèles alors qu’il prie à l’église : ils demandent à l’évêque Valère qu’il l’élève au sacerdoce ; malgré ses larmes, Augustin est ordonné prêtre. À ses yeux, le sacerdoce n’est qu’un moyen nouveau de mener la vie religieuse avec plus de ferveur. Son évêque, Valère, lui permet de s’installer dans les dépendances de l’église, où des disciples se groupent autour de lui.
La personnalité d’Augustin devait nécessairement rayonner hors de son
« monastère ». Alors que, traditionnellement, la prédication, en Afrique, était réservée à l’évêque, Augustin se la voit confier, ce qui lui attire des jalousies ; en 393, au cours d’un concile réunissant à Hippone les évêques de Numi-
die, il prend la parole (discours De fide et symbolo). En même temps, Augustin lutte contre certains abus (banquets dans les chapelles des martyrs) et contre les manichéens, tel Fortunat, l’un de leurs docteurs.
En 395, le vieil évêque d’Hippone fait d’Augustin son coadjuteur et lui donne la consécration épiscopale. Un an plus tard, Valère étant mort, Augustin le remplace sur un siège qu’il allait occuper durant trente-quatre ans.
L’évêque Augustin reste, dans sa vie privée, un religieux ; son palais se transforme en monastère, où vivent, avec lui, des clercs qui s’engagent à mener une existence de pauvreté et à observer la règle commune fondée sur le dépouillement : ces hommes, que l’on peut déjà appeler des augustins, seront presque tous des fondateurs de monastères et des évêques qui enrichi-ront spirituellement l’Afrique du Nord.
Augustin donne lui-même l’exemple de l’austérité : sa charité le pousse à vendre les vases sacrés pour racheter les captifs.
Ce religieux est avant tout un pasteur. En dépit d’une existence surchargée et d’une santé délicate, il est un infatigable prédicateur et catéchiste.
Au XVIIe s., les mauristes établiront le texte de près de 400 sermons authentiques d’Augustin ; l’époque contemporaine révélera bien d’autres oeuvres pastorales de l’évêque d’Hippone. Son action verbale se double d’un apostolat épistolaire qui le met en contact avec ce que le monde romain et chrétien comptait de plus insigne : de Paulin de Nola à saint Jérôme en passant par les papes et les empereurs.
Juge et administrateur, voyageur et négociateur à une époque où s’opère déjà, lentement, la métamorphose de l’Empire romain unitaire en société semi-féodale, Augustin le contemplatif prend encore le temps d’éclairer les âmes égarées ou hésitantes dans une oeuvre écrite dont Possidius se deman-dait s’il serait jamais possible de la lire tout entière. Manichéens, donatistes, pélagiens sont au premier rang des adversaires qu’il combat, mais ses écrits ne sont pas seulement polémiques,
leur connaissance est indispensable à quiconque veut faire le point de la théologie, de l’exégèse, de la pastorale au Ve s., particulièrement dans cette vivante Afrique chrétienne dont tant de conciles furent animés par l’évêque d’Hippone.
Le docteur de l’Église
Des docteurs et des chefs manichéens qui subissent les coups de la dogmatique et de l’apologétique augustinienne, il faut citer : Félix, « élu »
manichéen, qu’Augustin confond en conférence publique ; Faustus, Secun-dinus et, après 415, toute une série d’astrologues et de priscillianistes fatalistes.
Contre les donatistes, la lutte est plus dure, parce que se situant sur un terrain plus spécifiquement africain.
En 312, les évêques de Numidie ont déposé illégalement l’évêque de Carthage, Cécilien, sous prétexte qu’il a été consacré par un traditor (un évêque renégat). À l’évêque intrus, Majorin, succède Donat.
Au regard du pontife romain, il
s’agit d’un véritable schisme, et terriblement dangereux pour l’unité chré-
tienne, puisqu’en 330 un synode du parti donatiste rassemble 270 évêques.
Comme les anciens « rebaptisants », les donatistes font dépendre la validité des sacrements de la foi et même de la pureté morale du ministre ; comme les novatiens, ils excluent de l’Église les pécheurs. Vient renforcer cette héré-
sie un mouvement nationaliste africain dont les tenants s’appuient sur le pauvre peuple berbère des campagnes non romanisées, à qui on oppose
l’exemple du luxe des « occupants »
romains.
En 391, alors qu’Augustin vient
de s’installer à Hippone, une guerre impitoyable oppose en Afrique deux groupes d’évêques donatistes. Augustin, en vue de rétablir l’unité en Afrique, obtient du synode d’Hippone de 393 que les mesures ecclésiastiques prises contre les donatistes soient adoucies ; même esprit de conciliation au 5e concile de Carthage (401), dont les Pères demandent au pape Anastase
d’autoriser les enfants donatistes à la cléricature.
L’évêque d’Hippone, dans ces an-
nées, publie, à l’usage des schismatiques, son curieux Psaume alphabé-
tique, rédigé en latin populaire et en vers rythmés.
Il semble que les chefs donatistes aient répondu à cette attitude apaisante d’une manière injurieuse. Pressé par deux évêques africains — dont Evo-dius, ami d’Augustin —, l’empereur Honorius ordonne d’enlever leurs églises aux donatistes : ils résistent, mais un certain nombre se convertissent. Tout en approuvant la rigueur des lois, Augustin invite constamment ses adversaires au colloque. Enfin, un édit impérial du 14 octobre 410
ordonne une conférence entre évêques catholiques et donatistes. Cette réunion a lieu à Carthage, du 1er au 8 juin 411 : 286 évêques catholiques et 279 évêques donatistes y participent.