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Le choix d’un pseudonyme trahit chez lui un déchirement presque névrotique.

À douze ans, à la mort de son père, il devient apprenti chez un imprimeur.

Typographe, il bourlingue de dix-huit à vingt ans entre New York et Saint Louis, Philadelphie et Washington.

Il publie ses premiers articles sous le pseudonyme de « Snodgrass », dans le Californian de l’humoriste Bret Harte.

En 1857, il devient apprenti, puis pilote d’un des bateaux à aubes du Mississippi. Dans Life on the Mississippi (Vie sur le Mississippi, 1883), il raconte cette vie libre, haute en couleurs : de Saint Louis à La Nouvelle-Orléans, quatre mille kilomètres parmi les écueils, les brouillards, les escrocs. Sa nostalgie de ce métier libre est si profonde que Clemens choisit pour pseudonyme ce cri de marinier : « Mark twain ! » (« Deux brasses de fond ! ») Toute sa vie, le Mississippi sera pour Twain le symbole de la liberté.

En 1861, la guerre de Sécession

interrompt la navigation sur le Mississippi, voie de transport naturelle entre Nord et Sud. Clemens file au Far West, en Californie, puis au Nevada comme chercheur d’or. Dans Roughing it (Mes folles années, 1872), il racontera sa ruée vers l’or. Cette vie sans femme, cette vie de violence, de vols, d’espoirs et de découragements fous puisait son antidote dans un humour particulier : l’humour de l’Ouest. Humour sauvage, cruel et burlesque qui cache la tragédie et rit d’une balle perdue qui se trompe de victime. Humour dont la source n’est pas la joie, mais la peur d’avoir peur. Le « comique » est un personnage traditionnel de l’Ouest, que le

« western » perpétue. Mauvais chercheur d’or, Clemens se fit une réputation de conteur. Bret Harte l’encourage. Le 18 novembre 1865, il publie dans Saturday Post son premier conte folklorique du Far West, la Fameuse Grenouille sauteuse de Calaveras. En 1867, il rassemble ces contes en un premier volume : The Celebrated Jum-ping Frog of Calaveras County, and Other Sketches.

Mieux fait pour raconter l’aventure que pour la vivre, il vient à New York et se lance dans une carrière de reporter et d’humoriste. Reporter en Europe, il réunit ses articles en un volume, The Innocents abroad (les Innocents à l’étranger, 1869), où ce Candide américain ridiculise l’Europe. Avec un sens aigu du « show business », ce comédien-né lance ses livres avec des conférences à succès. Devant un public fasciné par la conquête de l’Ouest, il exploite le régionalisme, fondement du nouveau réalisme américain. Son génie

extraverti ressemble à celui de Balzac ou de Dickens, avec cette même pointe d’hystérie et d’angoisse. Clemens n’est lui-même que sous l’histrionie de Twain. Mais il souffre de son rôle de comique. Il veut joindre au succès financier la reconnaissance sociale. Il épouse en 1870 une bourgeoise ané-

mique, distinguée et prude, Olivia Langdon, qui surveille ses manières, expurge ses manuscrits des « gros mots » et castre son génie réaliste sans que Twain se défende. Car on retrouve chez lui, à un paroxysme, ce déchirement si typique de la littérature américaine entre l’esprit picaresque et anarchiste des pionniers et le tempérament austère et inquiet des puritains.

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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 20

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Déchiré entre sa vocation d’artiste et ses ambitions mondaines, Mark Twain exploite sa nostalgie de l’Ouest pour devenir un bourgeois de l’Est. Cet écrivain sans imagination emprunte beaucoup à ses souvenirs. Roughing it (1872) a tous les ingrédients du picaresque : d’un ton tantôt hâbleur, tantôt mélodramatique, il mêle folklore, humour et descriptions réalistes.

Emprunté aussi à ses souvenirs, The Gilded Age (l’Âge doré, 1873), en dérivant de l’Est à l’Ouest, devient une satire politique de la corruption, de la spéculation. En 1875, il raconte ses souvenirs de pilote dans des feuilletons, qui forment la base d’un de ses meilleurs livres : Life on the Mississippi (1883). Le réalisme se double de poésie dans ce livre d’initiation, où s’opposent le rêve et la réalité, le passé et le présent.

En 1876, il publie son best-sel-

ler, le roman probablement le plus lu en Amérique : les Aventures de Tom Sawyer. Il met en scène des enfants qui, en jouant, assistent à un meurtre. Un innocent est arrêté. Les jeux d’enfants tournent alors à la révolte contre des adultes ridicules et incapables : seuls les enfants démasquent le coupable. Le thème est déjà celui de la supériorité de l’innocence sur l’expérience adulte.

Il sera repris et développé dans Huck

Finn. Mais, à partir de 1875, Clemens multiplie les oeuvres alimentaires pour mener grand train de vie. Il se fait construire un château dans le Connecticut. Il se jette dans les affaires, finance une machine à vapeur, un générateur électrique, une presse à imprimer, une maison d’édition. Il voyage en Europe, rencontre le kaiser et le pape.

En 1880, A Tramp abroad raconte ses nouvelles aventures européennes. La même année, il publie, sous le manteau, un livre scabreux, 1601. En 1882, The Prince and the Pauper (le Prince et le pauvre), variations humoristiques et satiriques sur le thème « le roi est nu », raconte les aventures imaginaires de Tom Canty à la cour d’Edouard VI.

Devenu son propre éditeur, Twain

publie en 1884 son plus grand, peut-

être son seul livre génial, les Aventures d’Huckleberry Finn, qui se présente comme une suite à Tom Sawyer. Mais, mûri pendant huit ans, il exprime les nostalgies libertaires de Twain. La censure l’interdit dans plusieurs États. Au plan de la langue, c’est en effet « un joyeux exorcisme de l’anglais littéraire traditionnel », raconté à la première personne avec l’argot pittoresque d’un enfant mal élevé. C’est surtout un livre de contestation. Huck, c’est le gavroche américain. Son histoire, celle d’un garçon qui n’accepte pas les choses telles qu’elles sont. Sa révolte, c’est celle de l’innocence. Son esca-pade, c’est la fuite des hommes devant l’ordre du monde et leur quête d’un univers meilleur. Ce Candide du Mississippi, c’est la nouvelle version du

« bon sauvage ». De tous les classiques littéraires américains, c’est celui qui pose le plus radicalement le problème de la contestation au plan de l’éducation, de la morale, de la société, de la civilisation et même des rapports entre l’homme et la nature.

« Huck », comme disent les Améri-

cains, orphelin de mère, abandonné par un père délinquant et alcoolique, est recueilli par une veuve, éduqué, dressé.

Mais, préférant les coups de son père à l’ennui de l’école, il le rejoint au maquis. Séquestré, menacé de mort par son père atteint de delirium tremens, Huck s’enfuit sur une île du Mississippi. Il y rencontre Jim, esclave évadé, dont on

a vendu la femme et l’enfant. L’enfant blanc et l’esclave noir s’échappent sur un radeau au fil du Mississippi. Le roman prend alors, sous le comique et l’humour noir, une dimension mythique, où, tels Quichotte et Sancho, les deux innocents devisent du train dont va le monde, tout en échappant sans cesse à la mort. Car ils risquent la mort : à l’époque, aider un esclave en fuite était plus grave que voler du bétail. Huck se jette dans cette aventure parce qu’il est inculte et immoral. Le paradoxe moral de Huck, c’est que le mauvais garçon, en défiant les lois et les coutumes, définit une morale supé-

rieure, où tous les hommes, quelles que soient leur classe, leur couleur ou leur instruction, sont égaux. Le garne-ment aide l’esclave à défier la société.

Hors la loi, cet extraordinaire couple du Gavroche blanc et du Sancho noir démonte l’ordre social. La vendetta, où ils manquent mourir, devient une satire des guerres. Les deux escrocs dont ils deviennent les complices involontaires fournissent une satire des impostures hiérarchiques.

Le radeau qui emporte Huck et