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Au milieu du XIIe s., la société laïque, à tous ses degrés, donne brusquement une vaste clientèle aux beaux métiers, à ceux du textile en particulier. Mais les artisans profanes n’ont plus sous les yeux les exemples conservés dans les couvents ; ils se tournent vers la nature et se forment un répertoire d’images nouvelles, témoin, à travers l’Europe, l’antependium de Rupertsberg (musée du Cinquantenaire de Bruxelles) ou le parement d’autel dit « de Malines », décoré de scènes de la vie des saints Marc et Jean (musée de Cluny). Leur exécution relève encore de la technique ancienne du point couché, mais le style dénote un renouvellement fondamental.

L’art du brodeur s’était dès lors gé-

néralisé. L’Angleterre expose au Victoria and Albert Museum une chape de Syon en lin, brodée de chevrons et de

« bâtons rompus » d’or et d’argent ; on en trouve des répliques à Bologne et à Saint-Bertrand-de-Comminges. L’Italie paraît n’avoir constitué ses ateliers de brodeurs qu’au cours du trecento, mais, d’emblée, ceux-ci se situèrent au niveau des maîtres qui rénovaient alors les arts. Le plus ancien ouvrage qu’on connaisse d’eux, le gonfanon de Flo-

rence, à quatre figures brodées de fils d’argent, exécuté en 1361 et conservé à Torcello, présente une singularité : les visages des figures emblématiques sont peints. Le XVe s. est brillamment représenté, à Florence, par la Vie de saint Jean-Baptiste, du dessin d’Antonio Pollaiolo (Museo dell’Opera del duomo). Le XVIe s. l’est, au musée de Cluny, par une Adoration du Veau d’or d’après Raphaël, travail exécuté pour François Ier.

Tout autre est la formule espagnole.

Restée longtemps sous la domination maure, l’Espagne médiévale exécute ses broderies par applications soit de plages de velours sur des fonds de satin, soit de feuilles d’or ourlées de perles, ou de paillettes de métal poli : or, argent, voire acier. Puis l’Espagne imite l’Italie. Les Flandres, dès le XIIIe s., ont produit des broderies dont le style sera bientôt réglé par l’école de Jan Van Eyck.

La France, enfin, pratique l’art des barbaricaires en commençant par un procédé rudimentaire, imité de l’Espagne, l’application du décor sur le fond à l’aide de points de couture ou par collage (aumônière du trésor de Troyes, représentant un Sarrasin immo-lant un lion à la reine Eléonore d’Aquitaine). C’est au XVe s. que l’art du brodeur s’épanouit en France, notamment dans les ateliers que Charles VII et Louis XI fondent à la Cour. Sous Henri III, on imagine un procédé nouveau, la broderie en relief, dont la technique consiste à entourer du fil de soie ou de métal précieux un léger bourrage dessinant le décor. Le titre du praticien change : le barbaricaire devient récamier. De ce métier, la France possède un prestigieux monument, la tenture de Beaugency (première moitié du XVIIe s.), évoquant les quatre parties du monde et des sacrifices païens. Le luxe des broderies d’or et d’argent atteint un tel excès que la Couronne tente de le modérer en en limitant l’emploi dans le vêtement civil, tant féminin que masculin. Mais Louis XIV, suivi par toute la Cour, dédaignera ces préoccupations d’économistes. De ses propres commandes, il occupera tout un atelier dont les chefs sont connus par le Livre des peintres de Michel de Marolles.

Fils de brodeur, lui-même brodeur du roi et se qualifiant « premier de son état », Charles Germain de Saint-Aubin (1721-1786), frère du grand dessinateur, publiera en 1770, aux dépens de l’Académie des sciences, un traité de l’Art du brodeur, somme des connaissances du métier. Il semble que cette publication ait ranimé, dans le costume et dans l’ameublement, une mode qu’éclipsait depuis le milieu du XVIIIe s.

celle des tissus brochés. Camille Pernon tisse à Lyon les admirables brocarts de Philippe de La Salle (1723-1804), souvent rebrodés. L’Empire stimule ce réveil par de larges commandes : aucune époque, pas même le XVIIe s., n’a porté des vêtements si chargés de broderies. Le XIXe s. réservera l’usage de la broderie aux ornements d’église ainsi qu’aux uniformes de cérémonie laïques. Mais leur décor est réglé par un rituel, et l’originalité n’y a plus part.

G. J.

C. G. de Saint-Aubin, l’Art du brodeur (De-latour, 1770). / Mme Celnart, Nouveau Manuel complet de la broderie (Roret, 1840). / L. de Farcy, la Broderie du XIe siècle jusqu’à nos jours (Belhomme, Angers, 1890). / M. Schuette et S. Müller-Christensen, la Broderie (Morancé, 1964). / J. J. Marquet de Vasselot et R. A. Wei-gert, Archives de l’art français, vol. XVIII : Bibliographie de la tapisserie, des tapis et de la broderie en France (F. de Nobèle, 1969).

Broglie (de)

Famille française originaire du Pié-

mont. Elle est issue d’Hubert Broglia, ou Broglio, seigneur de Chieri (milieu du XIIIe s.). Inféodés en 1643 au comté de Revel, alors piémontais (auj.

Alpes-de-Haute-Provence), les Broglie passent à cette époque au service de la France, alliée du duc de Savoie. Ils participent durant les XVIIe et XVIIIe s. aux guerres de Louis XIV et de Louis XV.

Trois d’entre eux sont faits maréchaux de France. De cette famille sont issus deux ministres du XIXe s. : Victor et Albert.

Victor, duc de Broglie

(Paris 1785 - id. 1870)

Son père, Charles Louis Victor (né en

1756), député de la noblesse aux États généraux, est guillotiné en 1794. Le jeune Victor suit sa mère en Suisse ; il subit l’influence libérale de son beau-père, Marc René, marquis d’Argenson. Sous l’Empire, il entre au Conseil d’État, puis est attaché d’ambassade à Varsovie et à Vienne (1813). Pair de France en 1814, il épouse en 1816

la fille de Mme de Staël, Albertine (1797-1836). Il se lie aux libéraux (La Fayette) et aux doctrinaires (Guizot), dont il adopte les idées.

Il est ministre des Affaires étrangères de Louis-Philippe (1832-1836) et président du Conseil (1835-36). Son action à l’extérieur est teintée de libé-

ralisme : il soutient les nations opprimées (Belgique, Espagne) et se fait le champion, avec l’Angleterre, de la répression de la traite des Noirs (droit de visite réciproque sur les navires). À

l’intérieur, en revanche, il attache son downloadModeText.vue.download 123 sur 573

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4

1802

nom aux lois qui, en septembre 1835, après l’attentat de Fieschi, répriment les menées de la presse d’opposition.

Très affecté par la chute de Louis-Philippe (1848), il siège cependant, comme député de l’Eure, à l’Assemblée législative de mai 1849 à mai 1851 et y défend l’instauration d’une monarchie libérale.

Retiré de la vie politique, il se consacre à des études philosophiques et religieuses qui lui valent d’être élu à l’Académie française en 1855.

Albert, duc de Broglie

(Paris 1821 - id. 1901)

Albert de Broglie fait d’abord carrière dans la diplomatie, où il seconde son père, le duc Victor. En 1845, il est premier secrétaire à Rome. À l’avènement de la IIe République, il démissionne et se consacre à l’histoire, ce qui le conduit à l’Académie française (1862).

Son action politique ne reprend

qu’en 1871. Il entre à l’Assemblée na-

tionale dans l’important lot de « hobereaux » qui dominera la « République des ducs » (1871-1879). Député de l’Eure, il devient le chef de la droite.

Son rival, Thiers, l’écarte en lui confiant l’ambassade de Londres.

Revenu à l’Assemblée en juin 1872, de Broglie, partisan d’une monarchie li-bérale, rallie les conservateurs (« Bonnets à poils ») contre Thiers, qu’il accuse de faire le jeu des républicains et qui, le 13 novembre 1872, prononce un discours célèbre (« la République sera conservatrice ou ne sera pas »), que de Broglie considère comme de « l’huile bouillante sur une plaie vive ». Il dé-