La consolidation
des frontières et les
conquêtes
Pour rassembler toutes les terres polonaises, il doit disputer la Silésie* au puissant roi de Bohême, les terres de Lubusz (sur l’Odra) au Brandebourg et arracher la Poméranie orientale et la Kujawy à l’ordre Teutonique*.
Mesurant la puissance de ces ennemis, les dangers d’une coalition pour son royaume, épuisé et désorganisé, il pré-
fère la diplomatie aux armes. Près de quarante années de ténacité, de patients compromis, d’habiles combinaisons matrimoniales réserveront l’avenir tout en consolidant les positions de la Pologne.
Dès 1335, Casimir achète à Jean Ier de Luxembourg, toujours désargenté, l’abandon par les rois de Bohême de leurs prétentions à la couronne polonaise ; en contrepartie, lui-même renonce à la Silésie, faute d’avoir pu la reconquérir (1348).
Il défend du moins avec succès un lien qui subsistera jusqu’au XIXe s. : l’évêché de Wrocław demeure en effet dans l’obédience de Gniezno. Dans les procès qu’il intente à l’ordre Teutonique, Casimir fait témoigner ses sujets : leurs déclarations révèlent la force du sentiment national polonais d’alors. Par la paix « perpétuelle » de Kalisz (1343), l’ordre lui restitue la Kujawy contre la cession de la Pomé-
ranie orientale ; mais le roi rappelle en toute occasion qu’il demeure le « seigneur suzerain » de ces terres. L’hommage des ducs de Poméranie occi-
dentale (1343), renforcé par des liens matrimoniaux, prend toute sa valeur lorsque Casimir III achève de refouler le Brandebourg des rives du Noteć et de la Warta (1368) : l’encerclement germanique ainsi rompu, le contact direct avec la Poméranie occidentale et Szczecin donne à la Pologne un accès
à la Baltique.
Fort de la sympathie de cités comme Lvov (Lwów), lassées de l’anarchie des boyards et terrorisées par les Tatars, Casimir III prétexte des droits à la succession de la dynastie ruthène de Halicz pour conquérir la Russie rouge (ou Ruthénie) et la Volhynie (1341-1348), puis pour étendre sa suzeraineté à la Podolie. L’Église finance cette expansion catholique en terre orthodoxe.
Mais il faut disputer ces régions à la Lituanie (1349-1366) ; le roi de Hongrie, son neveu, prête main-forte à Casimir contre la promesse de lui succé-
der s’il meurt sans héritier mâle (1355).
Des historiens polonais ont reproché à Casimir le Grand d’avoir détourné son royaume de l’Odra et de la Baltique pour l’orienter vers cette expansion à l’est qui devait en faire un État multinational. D’autres ont démontré que ces conquêtes visaient à renforcer le potentiel économique et militaire du royaume pour mieux affronter l’État teutonique. De fait, l’hommage de la Mazovie, liée enfin au royaume (1351-1353), le rapprochement avec la Lituanie, l’adoption par le roi de son petit-fils, le duc de Poméranie occidentale, afin qu’il lui succède (sans doute après Louis le Grand), confirment une politique d’encerclement qui menace l’ordre Teutonique.
Le relèvement de l’État
En 1333, l’unité du royaume reste pré-
caire : les rivalités des grands féodaux, la crise de la chevalerie engendrent pillages et désordres. Casimir III restaure l’autorité royale et l’assoit sur une administration solide, organisée avec l’aide de légistes revenus des universités italiennes et pénétrés de droit romain. Quiconque a accaparé des terres du domaine royal doit les restituer. La puissance de l’Église est limitée par la réduction systématique de ses biens. Un impôt foncier permanent, modéré mais uniforme, n’épargne ni les terres du clergé ni celles de la noblesse. Toutes les couches sociales, y compris le clergé, doivent fournir des soldats, organisés en bannières. Casimir fait construire une cinquantaine
de châteaux forts (Będzin) et fortifier vingt-sept cités pour assurer la défense du royaume. Ces « gródy » serviront de points d’appui à l’autorité des « sta-rostes », officiers de police, justice et finance dans les provinces, chefs des troupes locales en temps de guerre.
Casimir III confie ces fonctions à des
« gens nouveaux » : récompensant la fidélité des lignages modestes de Petite Pologne, il se sert de leur ambition pour mieux briser l’opposition féodale, si vive en Grande Pologne.
Réorganisateur de la justice, il fait codifier les coutumes locales, donnant à la Pologne ses premières lois écrites.
Mais ses « statuts » (1346-47, 1350-1360) ménagent encore les particularismes de Grande et de Petite Pologne ; sans instaurer de hiérarchie féodale, ils consacrent les privilèges de la noblesse.
Cependant, pour la masse des paysans, ils constituent un immense bienfait : en définissant les corvées et les redevances, en fournissant aux tribunaux un code pénal relativement humain, ils les protègent contre les exactions et l’arbitraire de leurs seigneurs. Cette équité vaudra à Casimir III le surnom de « roi des paysans ».
Soucieux de la prospérité du
royaume, il encourage la mise en valeur des terres : un intense mouvement de défrichement et de colonisation inté-
rieure multiplie les villages et repeuple les sites ravagés par la peste noire. La richesse des terres ruthènes faiblement occupées, des contrats d’établissement avantageux attirent les paysans polonais vers les provinces conquises. Des bourgeois de Cracovie établissent le Statut des routes (1344) ; d’autres sont chargés de prospecter les richesses du sous-sol (argent, plomb) et d’exploiter les salines de Wieliczka et de Boch-nia (1368), principale source des revenus royaux. L’expansion vers l’est, en assurant au royaume le contrôle de la route menant à la mer Noire, donne une vigoureuse impulsion au commerce et fait la fortune des cités-étapes (Cracovie), avantagées par des privilèges spéciaux et une protection douanière rigoureuse. Mais le grosz royal, créé en 1338 lors de l’unification monétaire, ne peut chasser les solides monnaies praguoises, qui gardent la préférence des marchands polonais.
Mécénat et tolérance La tradition assure que Casimir
« trouva la Pologne de bois et la laissa de pierre ». Sur son initiative, églises, écoles, hospices, halles marchandes et greniers d’abondance font triompher l’art gothique en Pologne. Il multiplie les grands travaux en période de famine afin de secourir son peuple : le blé des célèbres greniers royaux sert alors de salaire.
Casimir III maintient une collaboration déférente avec la papauté tout en menant une politique religieuse personnelle, d’une tolérance alors exceptionnelle. Beaucoup de Juifs, persécutés en Occident, se réfugient en Pologne.
Casimir le Grand leur octroie un statut légal dans son royaume (1334) et favorise leur installation dans les provinces conquises. S’il établit richement l’Église romaine en Ruthénie, il prie néanmoins Constantinople de rétablir la métropole orthodoxe à Halicz.
Pour consacrer l’indépendance
souveraine de son royaume, il veut le doter d’une université. La Curie refuse à la Pologne le droit de posséder une faculté de théologie. Est-ce la rançon de la tolérance de son roi ? À défaut, l’Académie de Cracovie, fondée le 12 mai 1364, fera une part inusitée à l’étude du droit romain. Le congrès de Cracovie (1364) consacre le prestige du souverain.
Ce prestige a résisté au temps. Dans l’imagerie populaire, Casimir incarnera longtemps l’idéal du souverain.
Les historiens polonais ne cessent de souligner l’importance nationale de son règne, la richesse de sa personnalité, qui, « enracinée encore dans le Moyen Âge, annonçait déjà l’esprit de la Renaissance ».
C. G.
J. Sieradzdi, la Pologne au XIVe siècle : études sur le règne de Casimir le Grand (en polonais, Varsovie, 1959). / Z. Kaczmarczyk, le Royaume de Pologne à l’époque de Casimir le Grand (en polonais, Cracovie, 1964).