La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4
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de Poitiers (732), envisagent l’établissement d’un rempart à d’éventuelles
invasions musulmanes. Ainsi va naître la Marche d’Espagne.
La Marche d’Espagne et le comté
de Barcelone
La défaite de Roncevaux (778) pousse Charlemagne à confier la conquête de Gérone aux comtes chrétiens établis sur la frontière (fin du VIIIe s.). Un comte franc est alors nommé gouverneur de cette ville, ce qui représente le premier jalon de la Marche d’Espagne. Par la suite, d’autres territoires sont repris sur l’ennemi, puis divisés en comtés dépendant des souverains carolingiens.
En 801, Louis le Pieux entre à Barcelone, qui devient rapidement le centre des possessions franques en Espagne.
Profitant du déclin de l’empire franc sous Charles le Chauve, Guifré Ier le Poilu († 897 ou 898), comte d’Urgel et de Barcelone, d’ascendance wisigothe, réunit autour de lui une grande partie des comtés catalans et essaie de se soustraire à la tutelle d’outre-Pyrénées.
Les successeurs de Guifré tentent d’obtenir l’indépendance religieuse et politique pour le comté de Barcelone, dont ils ont réussi à imposer la suprématie.
La prise de Barcelone par al-Manṣūr (985) entraîne la séparation définitive des comtes de Barcelone à l’égard de la France, qui a refusé d’apporter l’aide demandée. Raimond Bérenger Ier le Vieux (comte de 1035 à 1076) donne à la Catalogne les fondements de sa vie politique par la réunion des Cortes et la promulgation des Usatges du pays (v. 1058), véritable compilation des droits et des coutumes limitant le pouvoir du roi.
Par ses mariages successifs, il s’allie à diverses familles du sud de la France, ce qui le pousse à intervenir dans ces fiefs et à élargir ainsi le champ d’action de la politique catalane. Le règne conjoint de ses fils et successeurs, Raimond Bérenger II (comte de 1076 à 1082) et Bérenger Raimond II (comte de 1076 à 1096), se déroule sous le signe des désaccords qui opposent les deux comtes, et voit la mort violente du premier en 1082. La noblesse est favorable à Raimond Bérenger III le Grand (comte de 1096 à 1131), qui n’a que quelques années lors de l’assassinat de son père. Il reçoit en héritage les comtés de Besalú (1111) et de Cerdagne
(1117) et, par son union avec la fille de Gerberge, comtesse de Provence, étend sa domination dans le Midi de la France. Il lutte contre les musulmans avec plus ou moins de succès et s’empare, grâce à l’appui des vaisseaux de la république de Pise (Italie), de l’île de Majorque. À sa mort, il laisse ses possessions à ses fils : Raimond Bérenger IV reçoit le comté de Barcelone (1131), et Bérenger Raimond celui de Provence. Le mariage du premier avec Pétronille (1150), fille de Ramire II d’Aragon, dit le Moine, et d’Agnès de Poitiers, renforce le comté de Barcelone, qui va dorénavant être l’inspirateur de la politique suivie par la confédération catalano-aragonaise et l’un des États les plus importants de la Péninsule et de la Méditerranée. Toutefois, ce n’est que leur fils, Alphonse II (de 1162 à 1196), qui consolide véritablement l’union du comté de Barcelone et du royaume d’Aragon.
La monarchie catalano-
aragonaise (XIIe-XVe s.)
Tout en constituant un seul et même royaume, la Catalogne et l’Aragon conservent leurs propres institutions.
Mais ils unissent leurs forces, et, bien qu’il existe des problèmes de frontières et d’expansion, puisque tous deux aspirent à la conquête de territoires situés dans le sud de la France ou sur le littoral oriental de l’Espagne (région de Valence), ils adoptent une politique commune. La Catalogne entre alors dans une ère de prospérité. La population augmente, la production agricole est en essor, l’activité bancaire se développe et une grande impulsion est donnée aux activités manufacturières et commerciales, ce qui engendre la formation d’une bourgeoisie urbaine. Cette pré-
pondérance économique se traduit par le renouveau de la langue catalane, par d’importantes manifestations d’ordre culturel et spirituel et par la fondation d’institutions médiévales bien particulières à cette région (XIIIe s.) : Consu-lado de mar, Conseil des Cent, Cortes, municipios (communes), Diputación del general ou Generalidad.
Néanmoins, le déclin est amorcé dès le milieu du XIVe s. La famine et les épidémies alternent, la peste décimant
les habitants dans de telles proportions que, en un siècle et demi, la population diminue de 35 à 40 p. 100. Ce fléau touche particulièrement la classe paysanne et déclenche toute une série de mesures prises par les seigneurs, qui veulent lier le paysan à la terre qu’il cultive (droit de remensa). Il s’ensuit de graves troubles sociaux dans les zones rurales, tandis que les centres urbains sentent qu’ils sont à l’aube d’une période de déséquilibre.
L’avènement sur le trône aragonais de la dynastie de Trastamare au lendemain du compromis de Caspe (1412) entraîne un affaiblissement de la solidarité entre la monarchie et les oligarchies urbaines catalanes. Cette situation s’aggrave encore pendant le XVe s., et la rupture de l’équilibre maintenu jusque-là entre les classes sociales engendre, tant dans les villes que dans les campagnes, des conflits qui atteignent leur paroxysme lorsque éclate la guerre civile entre Jean II d’Aragon (roi de 1458 à 1479) et la Generalidad (1462-1472). C’est sans aucune résistance que la Catalogne se laisse incorporer dans le nouveau royaume de l’Espagne unifiée, issu des liens matrimoniaux contractés par Ferdinand II d’Aragon et Isabelle Ire de Castille (1469).
La maison d’Autriche et la guerre de la Succession d’Espagne
Sous le règne de la maison d’Autriche, la Catalogne constitue un État autonome au sein de la monarchie espagnole. Elle n’a avec les autres territoires de la Couronne que les relations qui existent habituellement entre les États soumis à une même autorité.
La prédominance de la Castille est écrasante, et la Catalogne connaît des années sombres. Elle est écartée de toute participation dans les affaires du pays, notamment des échanges avec le Nouveau Monde, qui sont le monopole de Cadix et de Séville. Elle ne profite donc pas des avantages du siècle d’or, mais il faut souligner qu’elle n’aura pas non plus à en supporter plus tard les conséquences. En revanche, elle réussit à conserver ses institutions traditionnelles et ses privilèges.
Le commerce, l’agriculture et l’in-
dustrie prennent un nouveau départ, la population s’accroît et les souverains, constatant la richesse de cette région, font appel à elle pour financer leur politique impériale. Les Catalans montrent fort peu d’empressement à satisfaire les exigences fiscales du gouvernement central ; ces obligations, auxquelles viennent s’ajouter le devoir d’héberger les soldats qui luttent contre la France pendant la guerre de Trente Ans, sont à l’origine du soulèvement (juin 1640) de la population, mécontente de la politique suivie par le comte-duc d’Olivares, favori de Philippe IV (roi de 1621 à 1665), qui exerce le pouvoir de 1621 à 1643. Il s’agit en fait d’une guerre de sécession, qui reçoit le nom de guerra dels segadors ; les Catalans sont appuyés à tel point par les Français qu’ils se proclament république indépendante sous protectorat français (1640-1652). Le conflit se termine par la reconnaissance, de la part de la monarchie espagnole, des Constitutions catalanes (1652), mais la paix des Pyrénées (1659) est beaucoup moins satisfaisante puisqu’elle enlève à la Catalogne le comté du Roussillon et une partie de la Cerdagne au profit de la France.