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De tout temps, les idées européennes ont pénétré en Espagne par la Catalogne, terre propice au commerce et aux échanges. Ainsi, au XIIe s., la lyrique des troubadours y fait son entrée. En héritant du comté de Provence en 1166, Alphonse II d’Aragon, roi poète, ouvre une longue période où l’influence provençale se maintiendra bien après sa décadence en France : en 1393, par exemple, Jean Ier crée à Barcelone un Consistoire du Gai Savoir sur le modèle des jeux Floraux de Toulouse. Mais c’est en prose, avec la haute figure de Ramon Llull (Raymond Lulle*), que la littérature catalane proprement dite fait ses débuts, Llull qui le premier en Europe choisira sa langue maternelle de préférence au latin pour exprimer sa pensée philosophique et scientifique. Aux XIIIe et XIVe s., la vitalité de la confédération catalano-aragonaise la place au rang des principales puissances européennes : quatre grandes chroniques témoignent de cette époque, dont la plus vivante est sans doute celle de Ramon Muntaner (1265-1336), qui, après avoir guerroyé en Sicile et en Orient, laisse parler ses souvenirs. Sous Jean Ier, l’humanisme commence à se manifester, notamment

dans les chancelleries royales, où le beau langage est de mise. Secrétaire de ce roi et de Martin l’Humain, Bernat Metge (v. 1340-1413), remarquable prosateur (Lo Somni, 1399), est le premier à traduire Pétrarque. Le XVe siècle est un âge d’or pour les lettres catalanes, qui s’enrichissent d’un grand roman de chevalerie, Tirant lo Blanch de Joanot Martorell (v. 1410-1468), tandis qu’en poésie l’influence provençale toujours vivace cède peu à peu la place à celle de l’Italie chez le pétrarquiste Jordi de Sant Jordi, mais surtout chez Ausiàs March (v. 1397-1459), le plus éminent lyrique du temps (Cant espiritual), surnommé le Pétrarque valencien. Valencien également, Jacme Roig († 1478) illustre la veine satirique. Puis, après le rattachement de la Catalogne à la Castille et devant l’épanouissement des lettres castillanes, c’est la décadence. Cette période de silence dure trois siècles, jusqu’à ce qu’en 1833 Buenaventura Carlos Aribau (1798-1862) vienne sonner le réveil en publiant sa célèbre ode la Patrie. On assiste alors à une véritable renaissance, la Renaixença, marquée par la restauration des jeux Floraux l’année même de la Mireille de Mistral (1859). Aux jeux de 1877, Ja-cint Verdaguer (1845-1902) voit couronner son Atlàntida, un des plus beaux poèmes épiques d’expression catalane, bientôt admiré au-delà des frontières comme va l’être le drame rural Terre basse (Terra baixa, 1897) d’Àngel Guimerà (1845-1924), le créateur du théâtre catalan. En effet, en cette fin du XIXe s., les lettres catalanes commencent à se tourner vers l’Europe, et le poète Joan Maragall (1860-1911) est l’astre majeur de cette époque. Après lui, la poésie est illustrée par de nombreux talents : Josep Maria de Sagarra (1894-1961), Josep Carner (1884-1970), Josep Vicenç Foix (né en 1894), Carles Riba (1893-1959), également humaniste et peut-être le plus brillant de tous. La fin de la guerre civile, en 1939, ouvre une période de vingt ans de silence, dû en partie à l’exil de nombreux écrivains, silence suivi d’un renouveau qu’attestent l’extraordinaire essor de l’édition et la floraison de traductions et d’essais en tous genres. Le roman, longtemps inscrit dans la tradition du naturalisme depuis Solitude

(1905), de la romancière Víctor Català (1873-1966), témoigne aujourd’hui d’une volonté d’engagement. Saisie d’une profonde angoisse devant le monde, la nouvelle génération, qui a vécu le drame de la guerre civile, peint en couleurs sombres la réalité pré-

sente : ainsi Manuel de Pedrolo (Bilan jusqu’à l’aube, 1962) et Josep M. Espinàs (né en 1909), tandis que Josep Pla (né en 1897) dresse un tableau de la vie catalane depuis le début du siècle.

Quant à la poésie, elle est volontiers politique. Souvent mise en musique par downloadModeText.vue.download 463 sur 573

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4

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quelques bons chanteurs populaires qui lui gagnent ainsi un vaste public, elle trouve en Pere Quart (né en 1899) et en Salvador Espriu (né en 1913) deux de ses voix les plus riches. Également prosateur, Espriu se penche sur le destin douloureux de sa patrie (la Peau de taureau, 1960) et réclame justice et liberté : c’est à ce prix en effet que les lettres catalanes pourront poursuivre leur marche ascendante.

J.-P. V.

L’art catalan

La situation bien spéciale qu’occupe la Catalogne dans la péninsule Ibérique tient certes à des causes géographiques et historiques précises, mais peut-être résulte-t-elle davantage encore de l’existence du particularisme catalan, c’est-à-dire du sentiment d’appartenir à une communauté dotée d’une langue, d’une culture et d’un art d’une incontestable originalité. Dans ce dernier domaine surtout, la solidarité des gé-

nérations s’est exprimée à travers des manières communes d’expression.

Le phénomène apparaît pour la pre-mière fois dans toute sa netteté avec la naissance du premier art roman méridional. Certes, il s’agit là d’un style de caractère « international », couvrant une partie importante des terres de la Méditerranée occidentale et poussant des pointes profondes au coeur des Alpes et jusqu’en Bourgogne. Les mo-

numents bâtis dans cette zone au cours des trois premiers quarts du XIe s. ont en commun un petit appareil fait de pierres éclatées au marteau et un décor mural à base de festons de petites arcatures appuyés sur de minces pilastres.

On retrouve de même en Catalogne les campaniles élancés et ajourés si fré-

quents dans la région des lacs italiens.

Cependant, le style prend ici une physionomie un peu particulière. D’une part, on observe une volonté délibérée de voûter la totalité des édifices sacrés et, par ailleurs, on assiste à des expé-

riences très précoces dans le domaine de la sculpture monumentale.

Peut-être expliquera-t-on ces recherches plastiques par le contact entre des cultures diverses. Le Roussillon*, partie méridionale de la Vieille Catalogne, se hisse alors au rang des pays novateurs, comme en témoignent la stylisation des linteaux de Saint-Génis-des-Fontaines et de Saint-André-de-Sorède et la composition déjà élaborée du portail d’Arles-sur-Tech. Il convient de joindre à ces décors de façades la série des chapiteaux d’une rare qualité composant, avec leurs colonnes, une manière d’ordre architectural à l’inté-

rieur de la grande église de San Pedro de Roda.

Le second âge roman manque d’originalité en architecture, car il se borne fréquemment à reprendre des formules mises au point à l’époque antérieure dans les abbatiales ou collégiales : San Vicente de Cardona, San Jaime de Frontanyà, San Pons de Corbera, etc.

L’église de San Juan de las Abadesas, avec ses voûtes maladroitement lancées sur un déambulatoire à chapelles rayonnantes, montre que les maçons locaux n’étaient pas en mesure de réaliser convenablement un parti quelque peu complexe imaginé par un maître étranger de passage. Cependant, les rapides progrès de la stéréotomie favorisèrent un remarquable développement de la sculpture romane.

On dira de la Catalogne que c’est le pays des cloîtres, tant les communautés religieuses rivalisèrent de zèle pour se doter de ces agréables galeries à portiques. Rarement, il est vrai, les artistes dépassèrent le plan purement décora-

tif pour aborder la réalisation de programmes iconographiques ambitieux.

Les suites de chapiteaux historiés des cloîtres de la cathédrale de Gérone et du monastère de San Cugat del Vallés demeurent exceptionnelles. Toutes les préférences catalanes allèrent à une faune d’animaux fantastiques de nette ascendance orientale, et nulle part plus qu’en Roussillon. Dans cette province, des artistes installés à proximité des carrières de marbre de Villefranche-de-Conflent ont produit, l’espace d’une génération, non seulement chapiteaux, arcatures et colonnes de cloîtres, mais aussi des éléments décoratifs destinés à des portails, à des fenêtres, ainsi qu’aux étranges tribunes de Saint-Michel-de-Cuxa (celle-ci détruite) et de Serrabone.