La cathédrale préromane n’était pas encore un édifice unique ; plusieurs sanctuaires — trois en général, dont le baptistère — formaient le groupe épiscopal et voisinaient avec les écoles et des logis, tant pour l’évêque, grand propriétaire terrien, que pour les chanoines, chargés de célébrer l’office divin.
À l’origine commensaux de
l’évêque, ces chanoines forment, au IXe s., une communauté séparée, suivant la règle établie par Chrodegang (712-766) et diffusée en 816 au concile d’Aix. Une propriété collective assure d’abord à chaque membre sa prébende, sa part de revenus ; mais ce bien, ré-
parti entre les intéressés au temps des invasions normandes, va désormais leur permettre de vivre isolément, sans pour cela diminuer leur influence. Tout au contraire, leur pouvoir ira croissant ; non contents d’élire l’évêque, de lui servir de conseil et d’assurer l’inté-
rim en cas de vacance, ils constitueront, en tant que chapitre, une personne morale puissante, souvent seigneurie féodale distincte de celle, personnelle, du prélat. Pour les cadets des grandes familles de la ville, la possession d’une
stalle richement prébendée n’est pas seulement une assurance spirituelle ou matérielle, c’est un moyen de participer aux affaires de la cité comme à celles du diocèse. C’est aussi l’occasion de témoigner leur magnificence en faisant de la cathédrale un édifice prestigieux ; les chanoines réguliers n’agissent pas autrement dans leurs collégiales.
La liturgie reste évidemment la raison d’être du temple ; les chanoines y célèbrent quotidiennement la messe canoniale, psalmodient les heures, assistent l’évêque durant l’office pontifical et les fêtes. Mais pour normaliser la prière publique dans tout le diocèse, pour veiller à la pureté de la langue rituelle et du chant, le collège des chanoines passe d’un rôle conservatoire au rôle d’éducateur : l’écolâtre, chargé de la formation des clercs, l’emporte sur le chantre, gardien de l’intégrité des textes. Cette mission a été confiée aux évêques comme aux monastères par le capitulaire de 789 ; elle fera de la cathédrale, dès le Xe s., le foyer de toute culture urbaine (Chartres, Reims...).
Ces écoles, à l’apogée de leur renommée au XIIe s., donneront naissance aux universités, qui conserveront des rapports étroits avec la cathédrale.
L’édifice
De cet enseignement, nous retrouvons les grandes lignes inscrites dans le
« livre de pierre », dans cet ensemble sculpté où les romantiques ont voulu voir la bible des illettrés, mais qui visait surtout à unifier le sacré et le profane, le passé et le présent pour célébrer la gloire divine. À ce propos, l’analyse d’Emile Zola, lorsqu’il évoque dans le Rêve les saints de la Légende dorée, semble préférable à celle de Victor Hugo, faisant appel à la cabale pour déchiffrer le portail de Notre-Dame de Paris.
Église mère, la cathédrale l’est encore par son architecture. C’est sur le chantier épiscopal que le système gothique, l’opus francigenum, va pouvoir être poussé à ses dernières conséquences en fait d’ampleur et de légèreté, aboutir aux solutions les plus audacieuses réalisées en Occident avant l’ère industrielle. Dans une
société encore prélogique, mais avant tout réaliste, la cathédrale témoigne de l’apparition d’une conception neuve, fondée sur l’expérience et sur la plus stricte économie des moyens. Aux hésitations romanes, marquées de mysticisme, succède un art du trait qui annonce la géométrie descriptive. L’emploi généralisé du compas conduit à une composition ad triangulum et bientôt à une virtuosité qui relève de l’esprit baroque.
Quels étaient ces constructeurs, au nom parfois inscrit dans un symbolique labyrinthe ? Tout porte à penser qu’il s’agit de ces praticiens itinérants dont le compagnonnage forme la descendance. Aux chantiers si nombreux et si vastes répond un type d’homme nouveau, apte à traduire les aspirations de la cité, et dont l’audace n’aura d’autres bornes que celles de la matière elle-même (la portée des nefs ne saurait excéder la longueur des entraits de charpente). Chaque cathédrale forme un ensemble équilibré qui mérite une étude particulière, indépendante de celle des influences, étrangères souvent au programme épiscopal. Retenons que l’édifice abrite la communauté comme dans une châsse translucide, ornée et peinte aussi bien en façade qu’à l’in-térieur (la blancheur des cathédrales n’est qu’une vision académique).
À la fin du XIIIe s., l’activité des grands chantiers languit, tel celui d’Auxerre, à peine achevé à la veille de la crise protestante. Puis c’est la grande vague iconoclaste du XVIe s., la mutilation de tant d’églises, à défaut d’une destruction totale comme ce fut le cas à Orléans. Sainte-Croix, il est vrai, sera reconstruite dans son style d’origine, car les Orléanais veulent retrouver la pierre angulaire de leur cité ; partout ailleurs les chanoines jugent leur cathédrale désuète : ils détruisent les jubés, remplacent les autels, mutilent les tympans.
La crise révolutionnaire ne porte guère atteinte aux cathédrales ; en apparence du moins, car la modification des structures diocésaines sera, à long terme, déterminante, et les édifices, désormais aux mains du ministère des Cultes, vont bientôt être
restaurés par les architectes des Monuments historiques. N’étant plus, selon l’expression de Viollet-le-Duc*, que des « tombeaux vides », les cathédrales vont perdre, isolées derrière des grilles ou au milieu d’une plaine de pavés, toute liaison avec leur environnement.
L’édifice lui-même n’échappe pas à des tentatives dérisoires pour l’adapter aux goûts du jour ; c’est la prétention, d’abord, de supprimer au nom de l’« unité de style » tout ce qui n’est pas d’origine et, plus tard, d’inclure des éléments étrangers à son esprit comme à sa structure. Dans un cas comme dans l’autre, l’édifice ancien risque de perdre toute authenticité, sans pour autant répondre aux nouveaux problèmes ecclésiastiques comme pourraient seules le faire des cathédrales modernes.
Sans doute l’exemple des réalisations concordataires n’est-il guère encourageant, depuis la « Major »
de Marseille (1852, Léon Vaudoyer) jusqu’aux pastiches ottomans d’Alger (1851, Honoré Féraud) ou d’Oran
(1903, Albert Ballu, avec Auguste Perret pour entrepreneur). Mais les réalisations récentes sont plus significatives ; elles marquent une volonté d’expression structurale qui entend rivaliser avec celle du Moyen Âge. À cette fin, downloadModeText.vue.download 469 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4
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leurs auteurs utilisent tantôt des surfaces gauches, de révolution comme à Alger (1958, Paul Herbé et Le Cou-teur) ou à génératrice rectiligne comme à Tōkyō (1965, Tange Kenzō), tantôt des éléments en couronne (Liverpool, 1959, par Frederick Gibberd ; Brasi-lia, 1959, par Oscar Niemeyer) ; mais, à l’opposé des gothiques, ils donnent leur préférence à l’éclairage zénithal, qui crée un espace clos, caverneux.
L’attente sereine de la parousie, exprimée par la châsse médiévale, fait place à l’inquiétude d’un monde inférieur, dramatiquement tendu vers le ciel.
H. P.
F Gothique (art) / Liturgie.
E. S. Prior, The Cathedral Builders in England (Londres, 1905). / J. Hubert, l’Art préroman (Éd. d’art et d’histoire, 1938). / J. Bony, Cathédrales gothiques en France (Braun, 1951).