Jusqu’à la Révolution française, elle toléra même une liberté de pensée jusque-là inconnue en Russie. Non sans réserves, elle admit la publication de revues satiriques : le journaliste Novikov dut changer plusieurs fois de
titre avant d’interrompre son activité, pour avoir attaqué personnellement la souveraine. Mais la censure fermait souvent les yeux sur les allusions que le lecteur comprenait à demi-mot, et l’édition put se développer considérablement. Dans tous les domaines de la vie intellectuelle, des travaux originaux appliquèrent les méthodes du rationalisme occidental à l’étude des réalités russes : voyages d’exploration géographique, réévaluation du passé avec les histoires de Russie du prince Chtcherbatov et de Boltine, discussions sur le progrès économique dans les « travaux de la Société libre d’économie ». À la gallomanie superficielle du règne précédent succéda une véritable imprégnation culturelle qui libéra l’élite de ses complexes à l’égard de l’Occident.
Pour suivre le mouvement des es-
prits et l’accélérer au besoin, Catherine n’hésita pas à offrir à ses sujets une certaine participation aux affaires publiques, du moins à l’échelon local : des assesseurs choisis par leurs pairs siégèrent désormais dans les tribunaux à côté des bureaucrates. Ce droit, il est vrai, profita surtout à la noblesse, qui reçut en outre le privilège d’une organisation corporative avec l’élection d’un
« maréchal » de district ou de province et la réunion périodique d’assemblées générales, habilitées à présenter des voeux. Mais la Charte des villes (1785) étendit l’autonomie aux communautés urbaines, dominées par une oligarchie de marchands dont l’impératrice aurait voulu faire l’embryon d’un tiers état.
Ces concessions aux classes dominantes impliquaient un choix politique qui interdisait de remettre en cause le système social, fût-ce par des réformes anodines. Les débats de la commission législative avaient démontré que les nobles et marchands tenaient également au servage, même s’ils se disputaient sur les profits à en tirer.
Devant cette unanimité, les velléités humanitaires de Catherine ne tinrent pas longtemps : elle lança bien un ballon d’essai par le truchement du député Korobine, qui proposa de reconnaître aux serfs un droit de propriété sur leurs biens mobiliers, mais la seule idée de soumettre le servage à une réglementation légale parut sacrilège à la majorité
de la commission. La tsarine trouva dès lors dans la contradiction banale entre l’idéal et le réel une justification commode pour apaiser ses scrupules, qui ne l’empêchèrent pas de distribuer quelque 400 000 âmes à ses favoris, ni d’approuver l’asservissement des paysans ukrainiens (1783).
La résistance paysanne l’obligea même à sortir de ce pragmatisme
faussement désabusé. Depuis que
Pierre III avait libéré la noblesse du service obligatoire, le bruit circulait, en effet, que le tsar défunt s’était ap-prêté à émanciper également les serfs, et l’on attendait confusément la résurrection du martyr. Catherine louvoya : en confirmant la confiscation des domaines ecclésiastiques, elle donna la liberté à un million de paysans, mais elle élargit parallèlement les pouvoirs des propriétaires, désormais autorisés à faire déporter sans jugement les fortes têtes en Sibérie pour les travaux forcés dans les mines. Elle interdit aux serfs de lui présenter des suppliques pour se plaindre de leurs seigneurs : en vain, d’ailleurs, car la « petite mère » restait pour les paysans l’ultime recours. De cette confiance naïve devait venir le danger, quand le Cosaque Pougatchev réussit à se faire passer pour Pierre III : dans l’été 1774, la rébellion gagna la vallée de la Volga, et les serfs arrê-
tèrent spontanément maîtres et intendants, souvent pour les massacrer. Il fallut une véritable campagne militaire pour disperser les bandes d’insurgés.
La peur toujours latente d’une jacquerie généralisée ne suffit pourtant pas à obnubiler le jugement des gens cultivés : quoi de commun entre la poussée du monde des ténèbres et les postulats des lumières ? Tout changea avec la Révolution française, qui prouva que les idées pouvaient s’incarner. Plus avertie que bien des nobles qui se berçaient encore d’illusions lyriques, Catherine comprit tout de suite la menace et elle renonça pour de bon à son libéralisme de façade. Elle exila en Sibérie l’écrivain Radichtchev,
« rebelle pire que Pougatchev » : pire en effet, puisqu’il retournait contre la noblesse sa propre culture et prenait au sérieux les principes que l’impératrice adorait du bout des lèvres ! L’atmos-
phère devint pesante, d’autant plus qu’avec l’âge la tsarine faisait moins qu’auparavant la distinction entre l’al-côve et le cabinet de travail : après la mort de Potemkine, qui avait, malgré sa paresse, l’étoffe d’un homme d’État, elle accorda sa confiance à des favoris sans envergure, dont la jeunesse était le seul atout. La politique de prestige coû-
tait cher : on la finança par l’inflation.
En 1796 le rouble-assignat avait perdu 30 p. 100 de sa valeur nominale. Catherine II mourut donc peu regrettée, mais le court règne de son fils, en rappelant ce qu’était le despotisme sans fard, lui rendit bientôt justice : lorsque le jeune Alexandre promit, à son avènement, de revenir à la politique de son « immor-telle grand-mère », la Russie respira.
J.-L. V. R.
F Russie.
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Catherine de
Médicis
Reine de France (Florence 1519 - Blois 1589).
Fille de Laurent II de Médicis, duc d’Urbino, et d’une Française, Madeleine de La Tour d’Auvergne, Catherine devint orpheline de bonne heure.
Elle fut fiancée dès 1531 au second fils de François Ier, le duc d’Orléans Henri, et mariée deux ans après. Cette union d’un fils de France avec une nièce du pape était destinée dans l’esprit de François Ier à équilibrer l’influence de Charles Quint à Rome.
La conscience de l’honneur qu’on lui avait accordé explique l’attitude de downloadModeText.vue.download 472 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4
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Catherine à la cour de France, avant et après son veuvage. Princesse très effacée devant son glorieux beau-père, reine éperdument éprise de son roi, éclipsée par sa brillante rivale Diane de Poitiers, elle accepta tout avec humilité. Devenue régente après la mort de son mari, dont elle porta le deuil jusqu’à sa mort, elle s’attacha passionnément à sauvegarder pour ses fils l’héritage laissé par François Ier et Henri II. Cette Italienne fut, comme plus tard Mazarin, le meilleur serviteur de la monarchie française en des temps troublés.