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« Causa sive ratio », disent Descartes et Spinoza, confondant intentionnellement la réalité efficiente, qui provoque un effet, et la raison, qui rend intelligible cette causation. La science, qui s’en tient nécessairement à cette équivalence, a rencontré les objections empiristes et positivistes. Pour l’empirisme, « la cause est non plus par quoi une chose existe, mais après quoi une chose existe » (Hume) ; elle est « anté-

cédent invariable » (Stuart Mill).

Pour le positivisme, au contraire, la notion de cause désigne bien ce qui produit effectivement un phénomène, mais elle échappe à la science, qui doit se contenter d’établir les lois de l’antécédent constant. Kant assigne au contraire à la science de connaître la série des causes et des effets comme dépendance générale et nécessaire dans la liaison des phénomènes : « L’effet ne parvient pas à la suite de la cause, il est posé par elle, il résulte d’elle » (ante hoc propter hoc), l’antériorité constatée, tenant lieu de cause, ne formule donc que le renoncement à l’analyse ; ce principe est préscientifique. En revanche a fait problème dans le champ même de la science le déterminisme ; celui-ci induit de la causalité que les mêmes causes produisent nécessairement dans les mêmes circonstances les mêmes effets, et que ces derniers sont strictement univoques et prévisibles à partir des causes. Les développements de la microphysique et les relations d’incertitude de Werner Heisenberg n’ont en rien provoqué une crise de la causalité, mais ont conduit à liquider l’héritage philosophique mécaniste et substantialiste, dont le déterminisme était investi. La crise du déterminisme n’est rien d’autre. Substantialiste en ce qu’il prenait le point matériel pour exemplaire de la réalité, représentant la substance identique à elle-même à travers les mouvements et les changements, lesquels devaient être pensés sur le modèle de l’action d’un corps sur un autre, ce déterminisme-là, qu’on peut appeler vectoriel, et dont Laplace donne une définition stricte, est mis

en crise par les relations d’incertitude.

Tout d’abord, l’idée de loi doit être corrigée : loin de régir l’évolution dans le temps d’un objet individuel, la loi régit l’évolution dans le temps des probabilités relatives à cet objet. L’essentiel est ainsi d’avoir infirmé le postulat de la substance. (V. ARISTOTE.)

La physique a mis un terme à la substance comme réalité ultime, ponctuelle et irréductible. Le corpuscule n’est pas un substrat porteur de qualités, mais un système d’équations « symbolisé par une équation différentielle partielle dans un espace multidimensionnel.

Aucune propriété matérielle ne saurait lui être directement attribuée » (Heisenberg). Du coup, la causalité est l’oeuvre de « structures sans substance sous-jacente, de pures configurations »

(E. Schrödinger). Dans une région éloignée de la physique, la linguistique désubstantialise avec la même radica-lité. F. de Saussure considère la langue comme un système de signes renvoyant les uns aux autres exclusivement :

« Dans la langue il y a seulement des différences. » L’objet défini comme système de différences et la prééminence reconnue aux rapports et à leur combinaison sur les termes qui y sont pris (et dont chacun est lui-même un système de rapports) ont donné lieu en ethnologie, en linguistique, en psychanalyse et dans le marxisme à une causalité dite « structurale », dont Michel Serres a proposé un modèle : « dans l’espace un diagramme en réseau

formé d’une pluralité de points reliés entre eux par une pluralité de chemins.

Les points ou sommets sont l’intersection des chemins qui les relient, et les chemins sont les liaisons entre points.

D’un point à un autre toutes les voies sont possibles [...]. On est ici dans un raisonnement à plusieurs entrées et à connexions multiples, on passe de la ligne à l’espace », chaque point étant émetteur et récepteur universel. On ne peut plus distinguer un élément cause et un autre effet. La cause est réciproque, action en retour, feed-back des cybernéticiens. Le plus important est que la place et la puissance de chaque élément, sa « réalité » dépendent de sa situation dans la structure. S’il change de place, il change de sens, et toute la structure en est remodelée. La loi d’un

ensemble structural peut être comparée à la règle du jeu d’échecs : elle est loi des variations, échanges et groupements. Si on utilise l’appellation de ces mouvements dans le champ de la psychanalyse et, par emprunt, dans celui du marxisme, on dira que les variations de la structure, déplacements et condensations, sont le mode d’existence de l’invariant structural.

La cause n’est plus cherchée du

côté d’une substance, d’une origine, mais on remonte de l’effet structuré au mécanisme de sa production, et ce mé-

canisme est un système complexe de rapports qui est la raison des variations qui s’y produisent. Situer un élément donné dans l’ensemble des rapports qui constituent son espace, ce n’est pas enrichir la connaissance qu’on en a par celle de son environnement et des influences s’exerçant de surcroît sur son individualité essentielle : c’est, tout au contraire, dire que la structure le fait exister, lui assigne sa place, son rôle et son importance relative. « Mais l’homme » ? objecte-t-on à ce qu’on récuse comme une insupportable dissolution ou réduction. Dans la lecture structurale de Marx développée par Louis Althusser, Pierre Macherey et J. A. Millet, l’individu déchoit en effet de sa prétention à être le sujet intentionnel de sa pratique. L’homme est l’effet décentré des multiples rapports sociaux qui fonctionnent par lui sans dépendre de lui. Loin d’être une personne autonome, il y est support ou agent de fonctions, porteur des rapports de production. La psychanalyse ne traite pas mieux la prétention à l’unité substantielle de la personne.

Freud articule dans une topologie les différentes instances du psychisme, et le moi, centre de la personne, est dévoilé par Lacan dans sa fonction de méconnaissance. L’individu se prend donc nécessairement pour l’origine des rapports dont il est l’effet, pour le centre d’une structure qui n’a ni centre ni origine. Cette méconnaissance n’est pas accidentelle ; le fonctionnement du système la requiert, et c’est à travers elle, dans l’imaginaire, que l’individu downloadModeText.vue.download 490 sur 573

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4

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assume la fonction dont il se croit l’origine. D’autre part, les effets s’ignorent nécessairement comme effets lorsque leur cause n’est pas visible. Or, la structure du psychisme, l’articulation de la conscience sur l’inconscient sont par définition invisibles à la conscience percevante, et la structure sociale n’est pas plus visible que celle du psychisme.

Car le rôle déterminant de l’économie dans le marxisme n’agit qu’en dernière instance, on a pu dire « jamais en personne », toujours en donnant le rôle dominant à une autre instance (le religieux, le politique, etc.). Plus profondément, on a montré que la seule cause originaire est la structure, qui n’est pas une réalité séparée, une cause première. Elle est toujours déjà là dans ses effets, mais n’existe pas en personne.

Elle n’agit que par son absence.

C’est pourquoi l’on peut admettre que le mécanisme de combinaison qui règle les variations des éléments d’un système complexe est une cause totalement immanente à ses effets et dont l’absence n’est que substantielle.

La psychanalyse, puis, par emprunt, le courant animé par Althusser dé-

signent cette causalité par l’absence par le terme de métonymie (figure qui consiste à employer un mot pour un autre qui lui est lié, comme le tout l’est à la partie et l’effet à la cause) : la causalité structurale sera donc dite