Sa parole n’est pas très aisée, mais il s’impose grâce à sa force de raisonnement, à sa clarté, à sa promptitude à la riposte, jamais offensante, mais alliée à la finesse et à la bonne humeur.
Après la déroute de Custoza (25 juill.), où Charles-Albert, malgré son courage, s’était montré en face du vieux maréchal Radetzky un si piètre capitaine et qui rendait vaine l’insurrection de Milan, dite des « Cinq Journées »
(18-22 mars), s’ouvre une période de confusion et de démagogie. Cavour y lutte de tout son pouvoir, mais vainement, pour faire prévaloir la raison.
Gioberti, appelé à la présidence du Conseil, mais, lui aussi, mal vu du roi, n’y réussit pas davantage, et, au renouvellement de la Chambre en janvier 1849, Cavour n’est pas même réélu.
Après la défaite de Novare (23 mars) et l’abdication de Charles-Albert, le nouveau roi Victor-Emmanuel II peut enfin former avec Massimo d’Azeglio un ministère soutenu par une majorité modérée où Cavour, redevenu député de Turin, aux élections du 15 juillet 1849, s’impose comme chef du centre droit. La situation intérieure commande en Piémont des restrictions aux pouvoirs de l’Église, exorbitants dans un État moderne ; d’où le dépôt par le ministre de la Justice, le comte Sic-cardi, le 25 février 1850, d’un projet de loi abolissant la juridiction ecclésiastique en matière civile et criminelle.
Cavour l’appuie vigoureusement et
retrouve même l’audience d’une partie de la gauche.
Ministre
Quand le ministère de l’Agriculture et du Commerce devient vacant par la mort de son ami Santarosa, d’Azeglio en donne le portefeuille à Cavour. Aussitôt, celui-ci exerce au sein même du cabinet une influence croissante. Libre-échangiste convaincu, il entreprend avec prudence, mais sans délai, de transformer le régime économique de l’État sarde. Un traité de commerce et de navigation est signé avec la France le 5 novembre 1850, un autre avec la Belgique le 24 janvier 1851, un troisième avec l’Angleterre le 27 février. Ces mesures donnent un grand élan au commerce du pays, qui en a besoin pour restaurer ses finances et payer l’indemnité de guerre due à l’Autriche. En avril, Cavour échange le ministère de l’Agriculture pour celui des Finances ; il conclut un emprunt en Angleterre et établit de nouveaux impôts, mais très équitablement répartis, puis il entreprend une réforme du tarif douanier. À la fin de l’année, le coup d’État du 2 décembre, que Cavour avait prévu, ranime en Piémont le parti absolutiste. Cavour juge alors opportun de réaliser la conjonction des deux centres : se séparant complètement de l’extrême droite, il se rapproche d’Ur-bano Rattazzi, chef du centre gauche, qui, lui-même, estime déraisonnables les exigences de la gauche. Cette opération, qui reçut le nom de connubio (mariage), cause d’abord au sein du ministère des dissentiments, qui amènent Cavour à donner sa démission (mai 1852).
Mais d’Azeglio ne peut se maintenir sans lui ; en octobre, il conseille lui-même au roi d’appeler Cavour à la tête du gouvernement.
Président du Conseil
Le 4 novembre 1852, Cavour prend la présidence du Conseil avec les Finances. Il doit d’abord tempérer la colère des cléricaux en retirant le projet de loi sur le mariage civil, déjà voté par la Chambre, mais mal accueilli au Sénat. L’Autriche ayant séquestré
les biens des émigrés lombardo-vé-
nitiens naturalisés en Sardaigne, il proteste contre cette spoliation dans un mémorandum adressé à toutes les puissances et rompt les relations diplomatiques avec l’Autriche, qui fait de même avec Turin. Cependant, à Turin même, l’opposition d’extrême gauche ne désarme pas. Brofferio, prenant prétexte de la cherté des grains, s’en prend violemment à Cavour, et, en octobre, la populace assaille le palais du ministre. Cavour diminue les droits sur l’importation des céréales et vient personnellement au secours des familles sans ressources. Tandis qu’il accorde à Rattazzi le portefeuille de la Justice, officialisant ainsi le connubio, il fait voter la liberté absolue du commerce des grains, achève la réforme du Code pénal dans un esprit moderne, multiplie à travers le pays les lignes ferroviaires — menant à terme notamment celle de Turin à Gênes par Alexandrie
— et prend toute une série de mesures financières qui rendent à l’État sarde la prospérité, détruite par deux guerres malheureuses.
Cavour cherche surtout l’occasion d’effacer le cruel souvenir de ces deux guerres par une initiative propre à rehausser le prestige militaire de la nation. Il pense la trouver en faisant par-downloadModeText.vue.download 496 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4
2175
ticiper le Piémont à la guerre contre la Russie qu’entreprennent en 1854 l’Angleterre et la France, et fait, dès janvier 1855, approuver ses plans par le roi.
L’entreprise est singulièrement hardie de la part d’un petit État d’à peine 5 millions d’habitants, mais le gouvernement anglais, qui, le premier, a fait des ouvertures au cabinet de Turin, lui demande un simple contingent de troupes auxiliaires. Cavour désire davantage : être admis au titre d’allié des deux grandes puissances occidentales.
Le gouvernement de Paris lui donne raison, et Cavour, qui, entre-temps, a pris le portefeuille des Affaires étrangères, signe le 26 janvier 1855 le traité d’alliance. Au mois d’avril, un corps de 15 000 hommes commandé par le
général Alfonso La Marmora part pour la Crimée, où il doit s’illustrer pendant le siège de Sébastopol au combat de la Tchernaïa (16 août).
Cette année 1855 va, en revanche, créer à Cavour des difficultés nouvelles sur le plan intérieur, du fait de l’opposition des milieux cléricaux à la suppression de nombreuses congrégations religieuses votée par la Chambre, mais déplaisant à une partie du Sénat. Le roi Victor-Emmanuel est atteint à ce moment par une série de deuils familiaux. Le parti clérical réussit alors à troubler la conscience du souverain en lui faisant voir dans ces malheurs une punition divine. À la sollicitation se-crète de Victor-Emmanuel, le sénateur Calabiana, évêque de Casale Monfer-rato, au nom de l’épiscopat, offre de contribuer, par la somme importante de 928 000 lires, aux besoins du Tré-
sor, pourvu que la loi soit retirée. Le roi agrée cette proposition, mais Cavour ne veut pas l’admettre et donne sa démission.
Il en résulte dans le pays une très vive agitation, qui décide Massimo d’Azeglio à représenter au roi les risques qu’il court. Cavour est rappelé à la présidence du gouvernement et, en mai, la loi, légèrement amendée, est approuvée également par le Sénat. Vers la fin de l’année, Victor-Emmanuel et Cavour visitent ensemble la France et l’Angleterre, et sont accueillis dans les deux pays par de chaleureuses démonstrations de sympathie.
La Russie ayant accepté la médiation de l’Autriche, très désireuse de mettre une fin honorable à la guerre, la conclusion de la paix est confiée à un congrès qui doit se tenir à Paris en mars 1856. Cavour n’en augure rien de bon pour le Piémont et s’y rend de très mauvais gré. Mais il a tant d’accointances dans le monde diplomatique, il déploie en dehors des séances — où il observe volontairement une attitude modeste
— une telle activité pour gagner des sympathies à la cause italienne qu’à défaut d’avantages positifs comme ceux que Napoléon III aurait voulu assurer au Piémont par l’acquisition des duchés de Parme et de Modène, à quoi l’Autriche s’oppose résolument,
il obtient du moins de l’empereur qu’à la fin du congrès son président, le ministre des Affaires étrangères, le comte Walewski, soulève la question italienne. Bien que, personnellement, peu favorable aux ambitions piémontaises, Walewski le fait avec habileté et décision. Après lui, le ministre anglais Clarendon entame un procès en règle des détestables conditions d’existence imposées aux populations de l’État pontifical et du royaume de Naples, conditions si mauvaises qu’elles sont dangereuses pour la paix de l’Europe.