Les représentants de l’Autriche objectent alors que la question italienne n’est pas à l’ordre du jour de la confé-
rence et qu’ils n’ont aucun pouvoir pour la traiter. Prenant la parole en dernier lieu, Cavour en convient, mais observe qu’il a néanmoins le devoir d’exposer qu’en dehors même des difficultés propres au Piémont les populations de la péninsule demeurent assujetties à un état permanent d’agitation révolutionnaire par le refus étroit et brutal que de mauvais gouvernements opposent à toute réforme et qu’afin de leur complaire l’Autriche elle-même a dépassé les limites de ses propres domaines pour s’avancer jusqu’à Ancône dans l’État pontifical et à Plaisance dans le duché de Parme.
Le congrès se termine par une dé-
claration signée par l’Autriche et la France, souhaitant que les garnisons autrichienne et française évacuent les territoires de l’Église aussitôt qu’ils pourront le faire sans mettre en péril la souveraineté du pape ; par ailleurs, la majorité des plénipotentiaires reconnaît l’utilité d’un régime moins sévère dans les gouvernements italiens, principalement celui des Deux-Siciles.
Avant de quitter Paris, Cavour remet au comte Walewski et à lord Clarendon un mémoire beaucoup plus explicite, où il souligne que l’opposition de l’Autriche empêche seule qu’il soit apporté un re-mède aux maux dont souffre l’Italie et que le Piémont demeure seul indemne d’esprit révolutionnaire grâce au libé-
ralisme qui lui permet de se soustraire aux influences autrichiennes. Dans ses conversations privées avec l’empereur Napoléon III, il est allé plus loin encore et l’a persuadé que la guerre contre l’Autriche représente l’unique moyen
de résoudre la question italienne. Rentré à Turin, le ministre y reçoit du Parlement et de la population un accueil triomphal.
Pour l’unité italienne
Durant les trois années suivantes, Cavour hâte les travaux qui peuvent aider le Piémont à soutenir un conflit armé : percement du mont Cenis, reconstruction des fortifications d’Alexandrie, création d’un grand arsenal à La Spezia, etc. De son côté, l’Autriche se résout à changer de politique et à user de la manière douce vis-à-vis de ses sujets lombardo-vénètes. Les prisonniers politiques bénéficient d’une amnistie, le séquestre est levé sur les biens des émigrés en Piémont, le jeune empereur François-Joseph vient en personne visiter ses domaines italiens et remplace comme gouverneur le vieux maréchal Radetzky par son frère l’archiduc Maximilien, prince loyal et bon, qui, en d’autres circonstances, aurait gagné toutes les sympathies.
Mais rien ne peut plus effacer le passé ni modifier l’avenir souhaité par tout un peuple. Les rapports austro-piémontais ne cessent de se tendre, et, en 1857, Vienne prend elle-même l’initiative de rompre complètement les relations diplomatiques avec Turin, qui, depuis 1853, n’étaient plus assurées que par des chargés d’affaires. À l’intérieur, Cavour encourage la formation, par Giorgio Pallavicino et Giuseppe La Farina, d’une Société nationale ayant pour but de propager à travers l’Italie entière l’idée de la libération de tout joug étranger par le ralliement au Pié-
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4
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mont, seul doté d’une dynastie nationale. En même temps, il décide de faire appel à Garibaldi, déjà célèbre par ses exploits guerriers en Amérique latine et la part qu’il a prise à la campagne de 1848, pour qu’il épaule officieusement les entreprises du gouvernement royal.
La clef de la situation demeure à Paris. En janvier 1858, l’attentat du mazzinien Orsini contre Napoléon III
manque compromettre tous les plans de Cavour. Mazzini, réfugié à Londres, d’où il continue d’ourdir toutes sortes de conjurations vouées à l’échec pour réaliser son rêve d’une Italie républicaine et unitaire, a, cette fois, frôlé une victoire à la Pyrrhus, qui, bien loin de hâter l’unité italienne, l’aurait retardée sine die si l’empereur des Français avait péri. Heureusement, Napoléon III est sorti indemne de l’attentat. Orsini, avant son exécution, écrit à l’empereur une lettre très digne, où il le supplie de penser au destin de l’Italie ; cette demande touche Napoléon III, qui en permet la publication. De son côté, Cavour s’en autorise pour lui démontrer qu’il est désormais impossible d’empêcher la continuation des soulè-
vements en Italie et — sans un changement éclatant de la politique française
— d’éteindre la rancune des patriotes italiens contre le souverain, qui, en 1849, a étouffé la république romaine.
Napoléon est convaincu. En juin, il envoie secrètement à Turin son ami le docteur Conneau prier Cavour de venir le rejoindre à Plombières, où, le 21 juillet 1858, sont établies les bases de l’accord qui doit conduire à éliminer l’Autriche des terres italiennes. Pour l’heure, il s’agit simplement de constituer en faveur du Piémont un royaume de l’Italie du Nord atteignant l’Adriatique contre la rétrocession à la France de la Savoie et du comté de Nice en échange de son appui armé.
L’année 1859 commence par les paroles quelque peu sibyllines qu’adresse l’empereur à l’ambassadeur d’Autriche lors de la réception du corps diplomatique le 1er janvier et par le passage terminal, beaucoup plus clair, du discours du trône prononcé par Victor-Emmanuel à la réouverture du Parlement de Turin. « En même temps que nous respectons les traités — déclare avec vigueur le roi —, nous ne sommes pas insensibles au cri de douleur qui, de tant de parties de l’Italie, se lève vers nous. » Peu de jours après se produit un événement qui sanctionne par une alliance de famille l’accord politique conclu : le prince Jérôme Napoléon, cousin de l’empereur, vient à Turin demander la main de la fille aînée du roi de Sardaigne, la princesse Clotilde,
et le prince signe, au nom de Napoléon III, le traité d’alliance qui stabilise les accords verbaux de Plombières.
L’Autriche commence alors à se pré-
munir elle-même et envoie un nouveau corps d’armée le long des frontières du Piémont. De son côté, Cavour demande au Parlement un crédit extraordinaire de 50 millions et invite Garibaldi à constituer un corps de volontaires, les chasseurs des Alpes. Devant le Parlement, il insiste toutefois sur le fait que le traité conclu avec la France est purement défensif et que celle-ci ne viendra au secours du Piémont que si l’Autriche l’attaque. Il lui faut donc manoeuvrer pour que cette attaque se produise.
Ce n’est pas facile. La cour des Tuileries, et surtout l’impératrice Eugénie, espagnole toute dévouée au pape-roi, est peu favorable à l’émancipation de l’Italie ; Waleswski lui-même s’y montre contraire ; l’opinion publique demeure indifférente et plutôt hostile ; Napoléon III hésite. Le gouvernement anglais, tenu par les conservateurs et en rapports étroits avec Vienne, envoie alors son ambassadeur à Paris pour chercher à aplanir le désaccord franco-autrichien ; mais l’Autriche demeure méfiante et continue ses armements, imitée par Cavour, qui, de son côté, fait appel à des volontaires de toutes les régions italiennes.
En mars, la Russie intervient à son tour pour proposer de soumettre la question à un congrès. L’Autriche en accepte l’idée à condition que toute discussion de changements territoriaux en soit exclue et qu’avant sa réunion le Piémont désarme. Ç’aurait été rendre vaine l’alliance franco-sarde.
Cependant, Napoléon III ne rejette pas, afin de gagner du temps, l’idée d’un congrès et appelle Cavour à Paris (25 mars) pour tenter de la lui faire admettre. Mais rien ne peut entamer la résolution du grand ministre : celui-ci déclare à l’empereur qu’au besoin le Piémont combattra seul. Cavour demeure très inquiet devant les hésitations de l’allié sur qui compte son pays. Comment l’obliger à respecter ses engagements ? Il décide de pousser à bout l’Autriche en lui proposant des transactions sans portée qui doivent