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Un danseur de corde de la foire

Saint-Laurent, Jean-Baptiste Nicolet, fut le premier à y installer, en 1760, son théâtre de toile à l’angle sud du boulevard Voltaire pour y présenter des marionnettes et des animaux savants.

En 1764, il reçut l’autorisation de construire un théâtre de bois, la « Salle des grands danseurs du roi », où il resta jusqu’à sa mort (1789). Peu satisfaits de son succès, l’Opéra, la Comédie-Française et les Italiens se liguèrent pour lui faire interdire l’usage de la parole. Nicolet se procura alors un singe savant, Turcot, qui fit courir tout Paris. Reconstruit après un incendie, le

« Théâtre des grands danseurs du roi »

obtint en 1772 la permission de jouer des pièces à grand spectacle écrites par Talconnet, qu’on appelait « le Molière du boulevard ».

Un rival de Nicolet, Nicolas Audinot, avait fondé en 1769 son théâtre des « Comédiens de bois », où les marionnettes furent remplacées d’abord par des enfants, puis par des adultes.

En 1789, le théâtre d’Audinot devint l’Ambigu-Comique. La Foire était morte, mais il y avait six théâtres sur le Boulevard. Un genre y prenait corps, le vaudeville, comédie à couplets de caractère souvent grivois. Le genre

« poissard » était à la mode.

La liberté des spectacles, proclamée par la Constituante en 1791, fit se multiplier les salles nouvelles, au point que, par le décret du 8 juin 1806, Napoléon en fit fermer vingt-deux, établissant une distinction entre les grands théâtres (Théâtre-Français, Opéra, Opéra-Comique) et les théâtres secondaires, presque tous situés sur les Boulevards : le Vaudeville (1792), la Porte-Saint-Martin (rouvert en 1814), les Varié-

tés-Étrangères et les Variétés (1807).

De nouveaux théâtres s’ouvrirent par la suite, comme le Gymnase en 1820.

Ils se concentrèrent sur le boulevard du Temple, bientôt surnommé « boulevard du Crime » à cause des meurtres en série qui se perpétraient sur la scène.

Bobèche et Galimafré, Mme Saqui et

bien d’autres y faisaient triompher des spectacles qui portaient en germe la comédie de boulevard, le cirque et le music-hall. Ainsi, le Boulevard fut un extraordinaire creuset où se forgeait le spectacle moderne. En 1816 s’ouvrait le théâtre des Funambules, où le grand mime Gaspard Deburau fit revivre le personnage de Pierrot. À la mort de Nicolet, sa veuve avait repris son théâtre, devenu le théâtre de la Gaîté. Entre 1790 et 1830 on y joua les mélodrames de Ducange et Pixerécourt. Incendié en 1827, l’Ambigu-Comique était reconstruit sur le boulevard Saint-Martin.

Le boulevard du Crime a disparu en 1862 dans l’entreprise d’urbanisme qui a donné à Paris la place de la République. Des anciens théâtres du Boulevard, seuls subsistent dans leur fonction d’origine la Porte-Saint-Martin, le downloadModeText.vue.download 9 sur 573

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4

1688

Gymnase et les Variétés, auxquels il faut ajouter le théâtre du Palais-Royal, construit en 1783.

Le « premier boulevard » avait un caractère populaire. Daumier et un film de Marcel Carné ont immortalisé les

« enfants du paradis », qui, du haut du poulailler, conspuaient le traître et encourageaient le héros vertueux des mélodrames. Le mélodrame a eu son Racine (Caignez) et son Corneille (Pixerécourt). Celui-ci disait : « J’écris pour ceux qui ne savent pas lire. » Encore éblouis par leurs souvenirs d’enfance, les romantiques (Gautier, Hugo) ont attesté que le mélo des Boulevards avait joué un rôle au moins aussi grand que Schiller et Shakespeare dans la genèse du drame romantique. C’est à l’école du mélodrame que de grands acteurs, tels Frederick Lemaître, Marie Dorval, Mélingue, Bocage, ont réagi contre les routines du Conservatoire et de la Comédie-Française. Reprenant à son compte certaines innovations techniques des attractions du Boulevard, les panoramas de l’Américain Fulton, les dioramas de Daguerre, le mélodrame a fait progresser l’art des éclairages, de la machinerie et de la mise en

scène. Pixerécourt a lancé l’idée que les divers éléments du spectacle devaient être contrôlés par un personnage unique, le metteur en scène.

Le miroir de la

bourgeoisie

Par le triomphe d’Antony, dès 1831, un an après Hernani, Alexandre Dumas réglait la querelle des classiques et des romantiques, et tirait les marrons du feu en faveur d’un troisième larron, le genre bourgeois. Eugène Scribe (1791-1861) fixa comme seul idéal à ce dernier la « pièce bien faite », qui, excluant toute ambition de pensée et de style, se présentait comme une hor-logerie bien réglée et comme un miroir flatteur dans lequel la bourgeoisie pouvait contempler son image. Scribe écrivit pour elle des centaines de pièces.

L’histoire de son théâtre, entre 1820

et 1850, se confond avec celle du Gymnase. La famille, le libéralisme et l’argent sont ses thèmes préférés. Du théâtre de Scribe, seuls quelques titres demeurent (Une chaîne, 1841 ; le Verre d’eau, 1842). Scribe apparaît comme le maître des boulevardiers à venir, en un temps où le Boulevard absorbe la substance même du théâtre parisien.

À partir de 1850, il a pour successeurs Émile Augier (1820-1889),

Alexandre Dumas fils (1824-1895) et Victorien Sardou (1831-1908). C’est contre leur dictature que s’insurge Antoine, lorsqu’il fonde le Théâtre-Libre en 1887. Dumas fils ne craint pas d’affirmer à la suite de Scribe : « Un homme sans aucune valeur comme penseur, comme moraliste, comme philosophe, comme écrivain peut être de premier ordre comme auteur dramatique. »

On ne saurait prononcer plus fortement le divorce survenu entre le théâtre et la littérature, dont le théâtre a failli mourir. L’esprit boulevardier, avec son mépris de l’écriture, son goût du métier ramené à une série de recettes, son mépris de la morale et son souci des convenances, son dédain des idées et sa recherche du mot d’auteur, a dé-

tourné de l’art dramatique les poètes et les écrivains de génie.

Après le triomphe de la Dame aux

camélias (1852), Dumas fils succéda à Scribe au Gymnase, où il fut relayé par Émile Augier (le Gendre de Monsieur Poirier, 1854) et Victorien Sardou (Pattes de mouche, 1860). Leurs concurrents, Octave Feuillet, Édouard Pailleron et d’autres, faute d’être admis au temple du Boulevard, se rabattirent sur le Vaudeville ou les Variétés.

On est frappé par l’importance que prennent dans leurs pièces les personnages du notaire et de l’avoué. C’est que les affaires de famille, leur thème principal, tournent toujours autour de l’amour (adultère) et de l’argent. À travers le mélange des genres peu à peu se précise le type de pièce dont les personnages clefs sont le mari, la femme et le troisième partenaire, avec pour décor le salon Empire et la chambre à coucher. Au dénouement, les affaires et la morale sont sauves, du moins les apparences. Confondant intrigue et action, le Boulevard est un théâtre où l’on s’agite beaucoup, où l’on parle encore plus, mais où il ne se passe rien.

Entre le premier et le troisième acte, le monde n’a pas bougé.

Témoins lucides et amusés, critiques rusés et prudents, trois auteurs ont su faire rire le public des ridicules et des bassesses qui portent accusation contre lui et contre la société qu’il repré-

sente. Chacun a eu son théâtre pré-

féré. Au Palais-Royal, Eugène Labiche (1815-1888) a agité avec une naïveté impitoyable un monde de fantoches inoubliables. Aux Bouffes-Parisiens, puis aux Variétés, Jacques Offenbach (1819-1880) a, par sa musique, donné aux vaudevilles de Henri Meilhac (1831-1897) et Ludovic Halévy (1834-1908) une dimension qu’ils n’avaient pas. Aux Nouveautés, enfin, Georges Feydeau (1862-1921) a réglé avec une précision mathématique la mécanique démystificatrice de ses machines à faire rire. Grâce à la Cagnotte, à la Vie parisienne, au Dindon, les trois rois du Boulevard ont rejoint les classiques, auxquels la bourgeoisie de notre temps continue de les préférer.