et extérieures (l’Angleterre menace le Brésil de l’envoi de sa flotte de guerre).
On veut mettre fin au système de dé-
pendance qui fait du Brésil un vendeur de produits agricoles et un acheteur de produits industriels, un des plus beaux domaines de l’« Empire invisible » britannique ; c’est aller contre des intérêts puissants, alors que l’importance de la dette extérieure rend le pays vulnérable aux pressions étrangères.
Les conditions sont donc réunies pour permettre aux grands propriétaires terriens de s’entendre : ils reprennent le pouvoir avec le gouvernement (1898-1902) de Manuel Ferraz de Campos Sales. La vieille politique commerciale est restaurée, tandis que la situation économique des Noirs affranchis ne s’améliore pas plus que celle des agriculteurs pauvres qui se trouvent soumis à un régime d’exploitation inchangé.
Comme l’industrie est encore très faible, la richesse du pays demeure entre les mains des grands propriétaires et des grands commerçants dont les activités sont soutenues par un pouvoir central qu’ils contrôlent ; l’Angleterre conserve sa position de puissance dominatrice, même si elle perd le monopole absolu exercé au XIXe s. ; en effet, la France, l’Allemagne, les États-Unis apparaissent sur le marché brésilien à la fin du siècle.
Sur le plan intérieur, de menues concessions sont faites aux classes urbaines puisque le droit de vote est accordé à toutes les personnes alphabé-
tisées (ce qui met automatiquement les paysans à l’écart de la vie politique).
Au total, de 1889 à 1930, le Brésil des « coronels » reste le Brésil du café, c’est-à-dire un pays soumis aux fluctuations internationales des prix agricoles. Quant à la domination, elle apparaît dans le régime du parti unique, le parti républicain : les députés ne font pas campagne, il leur suffit d’avoir en leur faveur un certain nombre de « coronels » ; à la présidence de la République alternent un républicain de São Paulo, l’État du café, et un républicain de Minas.
Le Brésil de Vargas
La Première Guerre mondiale (le Bré-
sil déclare la guerre à l’Allemagne en 1917) produit une brève prospérité, mais celle-ci est vite détruite par la crise de 1920, et le système est ruiné par la grande crise de 1929. La coïncidence entre le krach et la fin de la république des « coronels » n’est pas fortuite ; la crise politique permanente, qui couve depuis 1920, éclate à l’occasion de la ruine économique ; les classes moyennes naissantes, représentées par l’armée au niveau des officiers, portent, en octobre 1930, Getúlio Vargas (1883-1954) au pouvoir.
Vargas effectue une révolution telle que sa personnalité n’a plus cessé de dominer la politique brésilienne ; le premier gouvernement Vargas (1930-1945) est l’instrument du changement.
Il s’appuie sur les classes moyennes, en formation, l’industrie naissante, les jeunes officiers réformistes (« les lieutenants »), les masses enfin, dont il ne perdra jamais l’appui grâce à une politique où la sincérité et la démagogie se mêlent de manière inextricable, faisant de lui un grand leader populiste, réformiste et nationaliste. Moderniser la nation et la rendre indépendante, donc détruire le pouvoir des « coronels »
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4
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et industrialiser le pays, tels sont les objectifs de Vargas.
Les transformations économiques
ne se font pas en un jour, car il est nécessaire de maintenir la production de café, seule source de devises, donc de ménager les grands propriétaires, et longtemps des intérêts en apparence incompatibles seront également pré-
servés. Le développement industriel s’accélère, l’ascension des classes moyennes, l’essor du prolétariat sont facilités, mais aucune réforme agraire n’est tentée, et la société rurale est abandonnée à son sort.
« O estado novo », l’État nouveau, proclamé par Vargas en 1937, n’a rien à voir avec le fascisme, comme l’ont affirmé ses ennemis. Détruire la « dé-
mocratie », c’est s’attaquer aux « coronels », réduire la pression des groupes régionaux dont l’influence aurait encore augmenté si le système électoral avait été maintenu. En 1945, Vargas est écarté du pouvoir, après un violent discours de l’ambassadeur américain Adolf Augustus Berle Jr., qui donne le signal de l’opération préparée contre lui. Vargas, bien qu’il ait fait entrer le Brésil dans la guerre aux côtés des Al-liés dès 1942 (les troupes brésiliennes participent au débarquement en Italie), ne jouit pas de la sympathie américaine à cause de ses tentatives pour assurer l’indépendance économique, ramener le pouvoir à l’intérieur du pays et procéder à son édification autonome.
Sous la présidence (1946-1951) de Eurico Dutra (1885-1974), le Brésil dissipe le bénéfice du commerce exté-
rieur (boom de la guerre) et renverse la politique suivie pendant quinze ans, en insistant sur « la vocation agricole du pays ».
1951-1954
Le retour de Vargas à la présidence (1951-1954) est une défaite pour les intérêts qui ont conquis le pouvoir et qui conservent, malgré leur défaite électorale, le contrôle des États et du Parlement fédéral. Manquant de ressources financières, à cause de la politique du gouvernement précédent, ne bénéficiant pas de l’appui des États-Unis, Vargas, pour reprendre sa politique de développement, doit radicaliser son nationalisme économique ; il s’attaque, par exemple, aux intérêts pétroliers étrangers, en établissant un monopole d’État, Petrobrás (Pétroles brésiliens). Contre cette politique, l’opposition, liée aux intérêts étrangers, déchaîne une campagne violente qui conduit Vargas au suicide le 24 août 1954. L’armée qui a fait le coup d’État pour le déposer aurait voulu que son départ se fasse discrètement comme en 1945, mais Vargas choisit de faire un acte politique en mourant.
Message de Vargas à la
nation (23 août 1954)
« Une fois de plus la force et l’intérêt oppo-
sés au peuple se sont ligués contre moi. On ne m’accuse pas, on m’insulte, on me mé-
connaît, on me calomnie. On ne me donne pas le droit de me défendre, on veut faire taire ma voix et empêcher que je défende comme je l’ai toujours fait le peuple et principalement les humbles... Après tant d’années de domination et de spoliation par les groupes économiques et financiers internationaux, je me suis fait le chef d’une révolution et j’ai pu triompher ; je commençai l’oeuvre de libération, j’ai dû renoncer ; puis je suis revenu au pouvoir porté par les bras du peuple. À la campagne souterraine des groupes internationaux s’est jointe celle des groupes nationaux révoltés contre un régime qui donnait des garanties aux travailleurs... J’ai lutté de mois en mois, de jour en jour, d’heure en heure, résistant à une pression constante, incessante, supportant tout en silence, oubliant tout, renonçant à moi-même pour défendre un peuple qui maintenant se trouve désemparé. Ils ne veulent pas que le travailleur soit libre, ils ne veulent pas que le peuple soit indépendant. Je ne peux rien vous donner sinon mon sang. Aujourd’hui je me libère pour la vie éternelle. Mais ce peuple dont j’étais l’esclave ne sera plus l’esclave de quiconque. Mon sacrifice restera toujours dans son âme et mon sang sera le prix de son rachat. J’ai lutté contre l’exploitation du Brésil, j’ai lutté pour mon peuple, je vous ai donné ma vie, maintenant je vous offre ma mort. Je ne crains rien, avec sérénité j’effectue le premier pas sur le chemin de l’éternité pour entrer dans l’histoire. »
La période 1954-1964
Sur le plan économique, la mort de Vargas signifie la fin du nationalisme économique et les concessions à
l’étranger, qui prend une participation majoritaire dans la vie du pays. L’invasion des grands groupes internationaux culmine avec le gouvernement (1956-1961) de Juscelino Kubitschek (1902-1976), le créateur de Brasília ; les Américains achètent diverses branches de l’industrie, montent des usines, obtiennent de colossales concessions minières. Cette industrialisation a pour conséquence de donner un poids politique plus grand aux centres urbains et aux masses grossies par l’exode rural.