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Un bon quart des invités, estima Bors, s’étaient contentés du masque en matière de déguisement. Leurs vêtements en disaient bien plus long qu’ils croyaient. Campée devant une tenture or et pourpre, une femme parlait à une silhouette – impossible de dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme – vêtue d’une cape à capuche grise. À l’évidence, la femme avait choisi cet endroit parce que les couleurs de la tenture s’harmonisaient avec celles de sa tenue. Attirer ainsi l’attention sur elle était doublement révélateur ! Dans sa robe pourpre au décolleté bien trop généreux, l’ourlet étant assez haut pour laisser voir de délicats escarpins dorés, l’imbécile proclamait qu’elle venait de l’Illian et qu’elle appartenait à la haute société – voire à la noblesse, tout simplement.

Pas très loin de l’Illianienne, une autre femme, solitaire, celle-ci, se murait dans un admirable silence. Sa superbe crinière brune cascadant sur son long cou de cygne, puis sur ses épaules jusqu’à atteindre sa taille, elle se tenait dos au mur et ne ratait rien de ce qui se passait autour d’elle. Pas de nervosité, ici, mais bien au contraire une maîtrise de soi de tous les instants. Encore une caractéristique admirable, pas vrai ? Sauf que la peau cuivrée de la gente dame, alliée à sa robe crème à ras du cou – un vêtement qui ne dévoilait que ses mains, mais assez serré pour tout suggérer de ses formes sans rien en révéler, comme s’il était transparent sans l’être vraiment –, claironnait son appartenance au tout premier sang d’Arad Doman. Et, sauf si l’homme qui se nommait lui-même Bors se trompait du tout au tout, le large bracelet d’or qu’elle arborait au poignet gauche devait être gravé du véritable emblème de sa maison. Bouffi d’orgueil, aucun Domani, homme ou femme, n’aurait eu l’humilité de porter l’emblème d’une autre maison afin de préserver son identité. Quelle incroyable stupidité !

Sanglé dans un manteau bleu ciel à haut col du Shienar, un homme passa à côté de Bors et l’étudia de la tête aux pieds à travers les fentes de son masque. La posture de ce type proclamait qu’il s’agissait d’un soldat. La façon de tenir ses épaules, son regard qui ne restait jamais longtemps fixé au même endroit, sa main droite prête à se refermer sur la poignée d’une épée qu’il ne portait pas pour l’instant… Tout le trahissait, il suffisait de le regarder pour s’en apercevoir. Comme de juste, il n’accorda qu’une attention distraite à l’homme qui se nommait lui-même Bors. Pour un idiot de ce genre, des épaules et un dos voûtés n’étaient pas menaçants…

Bors ricana tandis que le militaire s’éloignait, sa main refermée sur une arme imaginaire et ses yeux déjà en quête d’une autre source éventuelle de danger.

Qu’il était facile de percer à jour ces gens, de quelque pays qu’ils viennent et à quelque caste qu’ils appartiennent ! Marchands, guerriers, roturiers, hobereaux… Originaires du Kandor, du Cairhien, du Saldaea et du Ghealdan… Tous les royaumes du monde et presque toutes ses ethnies…

Bors plissa soudain le nez de dégoût. Il y avait même un Zingaro repérable à dix lieues de distance avec son pantalon vert et son manteau jaune vif.

Lorsque viendra le Jour, nous nous passerons volontiers de ces gens-là…

Les invités déguisés, pour la plupart, n’étaient guère plus mystérieux que les autres. Sous une longue tunique noire censée ne rien révéler, Bors aperçut le bout revêtu d’argent des bottes d’un haut seigneur de Tear. Sous un autre ourlet, il identifia des éperons d’argent à tête de lion – un équipement exclusivement réservé aux officiers supérieurs des Gardes de la Reine du royaume d’Andor.

Ne parvenant pas à dissimuler sa minceur sous une longue tunique noire et une cape grise parfaitement passe-partout tenue par une broche d’argent des plus banales, un homme épiait l’assistance depuis les ombres insondables de sa capuche. Un camouflage très réussi, n’était l’étoile à six branches tatouée à la base du pouce de sa main droite. Un membre du Peuple de la Mer, donc… Un coup d’œil sur sa main gauche aurait suffi pour identifier l’emblème de son clan et de sa lignée. Blasé, l’homme qui se nommait lui-même Bors ne consentit même pas à cet effort.

Il fronça soudain les sourcils, le regard rivé sur une femme enveloppée de noir au point qu’on ne distinguait rien d’autre que ses doigts. À la main droite, elle portait un anneau représentant un serpent qui se mord la queue. Une Aes Sedai ! Ou, au minimum, une femme formée à Tar Valon par des Aes Sedai. Personne d’autre au monde n’aurait osé arborer une telle bague… Alors, une authentique Aes Sedai, ou une renégate ? La réponse laissant Bors de marbre, il détourna le regard de la femme en noir… et en repéra presque aussitôt une autre, vêtue à l’identique et exhibant le même genre d’anneau. Les deux sorcières ne semblaient pas se connaître, du moins à première vue… Dans la Tour Blanche, à Tar Valon, leurs sœurs, assises en cercle au milieu de leur toile comme des araignées, tiraient les ficelles reliées aux membres des rois et des reines qu’elles faisaient danser à leur guise.

Qu’elles soient à jamais condamnées à croupir dans la mort !

Bors s’avisa qu’il grinçait des dents. Si les rangs devaient s’éclaircir – et il le fallait, avant l’avènement du Grand Jour –, les Aes Sedai seraient encore moins regrettées que les Zingari…

La note unique d’un carillon retentit soudain dans la salle, venant de partout à la fois et dominant sans aucune peine le brouhaha des conversations.

Les lourdes portes, au fond de la pièce, s’ouvrirent pour laisser passer deux Trollocs vêtus d’une longue cotte de mailles hérissée de pointes. D’instinct, tous les invités reculèrent et l’homme qui se nommait lui-même Bors ne fit pas exception à la règle.

Plus grands de deux bonnes têtes que n’importe quel invité présent, les Trollocs, un répugnant mélange d’humanité et de bestialité, arboraient une gueule-visage atrocement distordue. À la place du nez et de la bouche, le premier était affublé d’un énorme bec et des plumes remplaçaient les cheveux sur sa tête. Le second monstre avait des sabots en guise de pieds et des cornes de chèvre dominaient le museau poilu qui lui tenait lieu de visage.

Ignorant les invités, les monstres se tournèrent vers la porte et s’inclinèrent avec une répugnante servilité, les plumes de l’hybride aviaire formant une sorte de crête.

Quand un Myrddraal entra, les deux créatures se jetèrent à genoux. Les vêtements du Blafard, plus noirs que la nuit, donnaient par contraste l’impression que les masques des humains et les cottes de mailles des monstres brillaient de mille feux. Et, tandis que le Demi-Humain avançait avec une grâce de reptile, pas un pli de sa tenue ne bougeait, comme toujours…

L’homme qui se nommait lui-même Bors sentit ses lèvres dessiner un rictus à moitié méprisant – et à demi terrorisé, il devait bien l’admettre, même si ça l’emplissait de honte.

Le visage découvert, le Myrddraal affichait sa proche parenté avec l’humanité – n’étaient une incroyable pâleur et l’absence d’yeux au-dessus de son nez qui le faisaient ressembler à un ver rampant dans une tombe.

Le Blafard tourna lentement la tête, comme s’il sondait l’assistance – et c’était exactement ça, car il était malgré tout doté d’une vue d’aigle. Sous ce regard aveugle, les hommes et les femmes ne purent s’empêcher de frémir. Ravi de l’effet qu’il faisait aux invités, le Myrddraal eut un petit sourire – en tout cas, une sorte de rictus qui étira ses lèvres anormalement fines et exsangues.

Obéissant aux yeux invisibles du Blafard, les humains formèrent un demi-cercle face à la porte.