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Cette fois, le juge hésita, avant de reprendre la parole :

— Maître, déclara-t-il enfin sur un ton légèrement agacé, il faudrait être pourtant raisonnable, vous me demandez de nommer un séquestre, je ne vous le refuse pas en principe, mais je ne peux pas trouver, vous en êtes témoin vous-même, quelqu’un qui veuille accepter cette mission ; dès lors, que dois-je faire ?

— Monsieur le président, ripostait l’avocat, qui a les honneurs, doit avoir les charges. Je n’ai point l’avantage envié d’être à votre place, mon rôle n’est point de décider, mais de plaider.

— Évidemment.

— Monsieur le président me permettrait-il de lui suggérer un nom ? demanda M e Faramont. Il y a, ce me semble, une personnalité toute désignée pour remplir ce rôle de séquestre, personnalité en qui j’ai toute confiance, en qui la société L’Épargnea certainement aussi toute confiance, personnalité qui a déjà rendu de si grands services en l’espèce que…

— De qui parlez-vous ? demanda le juge.

— Du policier Juve. Juve a déjà retrouvé le tableau, c’est lui qui l’a rapporté ici, je pense qu’il accepterait ?

— Monsieur Juve, demandait le président, voulez-vous accepter d’être séquestre ?

— Assurément, répondit le policier, si cela peut rendre service, je ne vois pas pourquoi je refuserais.

— La mission est dangereuse, répéta le juge.

— Raison de plus pour qu’elle me plaise.

Juve venait de répondre à voix basse. Des bravos n’en crépitèrent pas moins.

— Silence, glapit l’huissier, pas de manifestations ici ou l’on fait évacuer la salle.

Tant bien que mal, l’ordre se rétablit.

— Monsieur Juve, déclarait alors le juge des référés, je vais donc, dans quelques instants, vous commettre en qualité de séquestre. Mais dans le placet que j’ai sous les yeux, je vois que vous avez fait citer un témoin, le nommé Bouzille ; pour quel motif désirez-vous que j’entende cet homme ?

— Parce que, monsieur le juge, Bouzille peut donner toute la clé du mystère ; d’après ce qu’il m’a dit, il sait dans quelles conditions ce tableau a été truqué.

— Vraiment ? Je vais l’entendre.

Derrière le magistrat, l’huissier se leva :

— Bouzille, appela-t-il, avancez, Bouzille.

— Dame, je voudrais bien, mais je ne peux pas.

La voix venait du fond de l’auditoire ; il y eut un brouhaha. Bouzille enfin apparut :

— Mon Président, dit-il avec un sourire aimable, faut pas m’en vouloir d’être en retard, c’est rapport à ce que j’avais enlevé mes souliers pour les faire sécher sur le calorifère. Alors, comme j’ai beaucoup marché, mes pieds avaient gonflé, et dame…

Derrière le chemineau, naturellement, la salle éclatait de rire.

— Taisez-vous, Bouzille !

— Je me tais, mon Président, je me tais.

— Votre nom ?

— Je me tais, mon Président, je me tais.

— Dites-moi votre nom.

Mais Bouzille, à ce moment, souriait aux anges et posait un doigt sur sa bouche.

— Chut, fit-il d’un air malin.

Et il apparaissait alors, ou qu’il était complètement abruti, ou qu’il se moquait du juge avec une aimable ironie.

La scène se fût peut-être prolongée, si l’huissier, au même moment, n’avait eu une fâcheuse inspiration.

Ce fonctionnaire venait de remarquer, en effet, que Bouzille avait jusqu’alors conservé son chapeau haut de forme sur la tête. Il glapit, terrible :

— Témoin, découvrez-vous.

Bouzille ne broncha pas.

— Découvrez-vous, Bouzille, répéta l’huissier. Ôtez votre chapeau.

Bouzille eut un geste navré :

— Ça va faire un malheur, dit-il.

— Comment, ça va faire un malheur ? demanda l’huissier.

— Évidemment, mais je vous ai prévenu.

Bouzille, à ces mots, empoignait son chapeau qu’il enlevait. Mais le bord ne tenait pas à la calotte, car il avait été artistement collé. Bouzille, ayant donc retiré son chapeau, apparaissait coiffé d’un tuyau de poêle invraisemblable. Son aspect était si comique, que M. Charles lui-même en eut le sourire.

— Voyons, mon ami, disait-il paternellement, ne donnez pas à rire ainsi. Enlevez votre chapeau, comme tout le monde.

— Très bien, répondit Bouzille, j’enlève mon chapeau.

Il enleva en effet la coiffe et immédiatement, sur le sol, tombait autour de lui une infinité de bouts de cigarettes ; car Bouzille avait, en effet, l’habitude d’enfermer sous son couvre-chef les mégots qu’il ramassait dans la rue.

— Silence, glapit l’huissier. Silence !

M. Charles recommença à questionner Bouzille :

— Qu’est-ce que vous savez au sujet de ce tableau ?

— Ah, bien des choses, mon Président, ripostait-il. Bougrement bien des choses. Seulement, il faudrait que je m’assoie pour vous dire tout ça. Y en a long et long. C’est un truc qui a amené un tas de manigances, c’est pas un tableau comme tous les tableaux, voyez-vous.

— Mais je ne vous demande pas cela. Je vous demande ceci : savez-vous, oui ou non, si on a truqué ce tableau ? Savez-vous si un nommé Sunds a été chargé par quelqu’un, par Fantômas, peut-être, de peindre un autre tableau par-dessus ?

— Oui, ripostait Bouzille, je sais cela, j’ai été à Bagatelle le jour où Sunds a fait le coup, il est resté le dernier et j’ai vu qu’il commençait à barbouiller dessus. Moi, n’est-ce pas, je me suis en allé parce que je me suis dit que ça allait faire des histoires. Mon Président, je ne regrette pas d’être parti, seulement, foi d’honnête homme, Sunds, voyez-vous…

— Allez vous asseoir, ordonna le magistrat excédé.

Mais Bouzille protestait :

— Déjà ? disait-il, j’ai déjà fini d’être témoin ? C’était pas la peine de m’habiller, alors.

Il restait debout devant la barre. Il fallut que l’huissier le prît par les épaules :

— Partez, ordonnait le fonctionnaire. Vous comprenez, on vous dit de partir. Ou on va vous arrêter.

— Ça serait contradictoire, murmura Bouzille.

Le chemineau allait cependant s’éloigner, lorsque le président le rappela.

Juve, en effet, venait de lui dire quelques mots à voix basse.

— Bouzille ? questionna le juge, encore un mot. Sunds vous a-t-il dit, par hasard, qu’il connaissait Fantômas ?

— Oui, affirma Bouzille, il me l’a dit, mais après, il m’a dit le contraire. Alors, n’est-ce pas, je ne sais pas. Foi d’honnête homme, voyez-vous, mon président, ce pauvre Sunds…

On renvoya Bouzille.

— Vous avez la parole, Juve.

— Monsieur le Juge, dit le policier, je n’en abuserai pas. Toutefois, puisque je vais avoir la charge et l’honneur d’être séquestre de ce tableau, je vous demanderai de bien vouloir inscrire à votre ordonnance une description exacte de cette toile. J’imagine que M e Faramont ne se refusera pas à dicter en personne une description et, par conséquent…

Or, à ce moment, du fond de la salle, une voix s’élevait, une voix d’homme, une voix impérative, railleuse aussi, qui criait :

— J’en demande bien pardon au tribunal, mais au nom du public, je proteste : la toile qui figure là n’est pas la véritable toile, il s’agit d’une copie du tableau, ce n’est pas le tableau authentique.

Cette déclaration naturellement fit stupeur.

Tous les regards se tournaient vers l’homme qui avait parlé, un homme jeune, aux moustaches fines, à la longue barbe noire, à la stature imposante : un artiste, semblait-il, si l’on s’en rapportait aux boucles de sa chevelure fine et soyeuse.

— Monsieur, commanda le juge, imposant du geste silence à son huissier, veuillez vous approcher de la barre ; vous prétendez que ce tableau est faux. Veuillez nous le prouver. Je vous préviens que si vous avez inutilement interrompu l’audience et fait scandale, je prononcerai contre vous une condamnation.

— À votre aise, monsieur le président.

L’inconnu s’avança lentement vers la barre.

Or, au moment même où l’artiste s’approchait du bureau derrière lequel siégeait le président des référés, au moment où il s’avançait au milieu d’un silence impressionnant parmi les rangs serrés du public, un double cri, une double exclamation retentissait.