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Que signifiait cette rencontre, et pourquoi Sarah Gordon se trouvait-elle dans ces parages, épiant, semblait-il, ce qui se passait dans l’habitation du bandit ?

Hélène ne tarda pas à être renseignée. L’Américaine, d’une voix suppliante et douce, qu’Hélène ne lui connaissait pas, articulait faiblement :

— Mademoiselle, nous sommes deux malheureuses.

— Je suis malheureuse, répliqua Hélène, mais pas vous.

Et elle ajouta en soupirant :

— Vous êtes aimée comme moi, sans doute, mais il vous est permis d’aimer. Et je ne vois qu’une chose à faire, pour vous, c’est de fuir au plus tôt avec celui qui vous aime.

— Je ne demanderais pas mieux, répondit Sarah Gordon, si cela se pouvait, mais Dick…

— Dick acceptera de s’en aller si vous le décidez, et vous pouvez le faire désormais. Oui, poursuivit la fille de Fantômas, il y a quelques semaines, à Enghien, j’ai vu Dick pour la première fois de mon existence et j’ai consenti, avec lui, une entente. Je m’engageais même, au prix d’un mensonge, à vous retenir coûte que coûte à Paris, à vous empêcher de partir en Amérique, comme vous en aviez l’intention. C’est pour cela que je vous ai raconté que j’étais sa maîtresse. Or, je vous jure sur l’honneur que ce n’était pas vrai.

— Je sais, fit Sarah Gordon, mais que serait-il arrivé si vous n’aviez pas joué cette comédie à mon égard et si je n’étais pas restée ?

— Si vous étiez partie, Dick serait parti avec vous et, au préalable, il aurait tué mon père. C’est ce que je ne voulais pas. Hélas, la situation a changé désormais et nos promesses respectives n’ont plus de valeur. Dick et mon père se poursuivent de leur haine, et ils se tueront si nous n’intervenons pas.

— Que faut-il faire ? Je sens que je deviens folle, protégez-moi !

— Il faut les séparer l’un de l’autre, obtenir qu’ils s’épargnent mutuellement, qu’ils s’oublient. Vous évitez Fantômas, en habitant l’Amérique. Partez, partez, Sarah Gordon, au plus vite, et emmenez Dick avec vous !

— Ah, dit l’Américaine, Dieu veuille que je puisse faire ce que vous dites. Il faudrait pour cela que nous puissions les joindre, leur parler.

De plus en plus émue, elle confiait à Hélène :

— Un remords effroyable torture le cœur de Dick et ne lui laisse pas un instant de repos. C’est lui qui a tué lady Beltham et sa conscience d’honnête homme lui reproche le crime qu’en tant que justicier il a commis pour venger ses parents. En admettant qu’il renonce à la lutte, votre père consentira-t-il à l’épargner, à renoncer à sa vengeance ?

— Je crois, fit Hélène, que nous parviendrons à réaliser nos vœux. Dick est en ce moment avec mon père, il est certain que tous deux vont se rendre à Ville-d’Avray d’ici peu. Il faut, Sarah Gordon, que nous y allions aussi.

— À Ville-d’Avray ? Pour quoi faire ?

— Pour y retrouver quelque chose, ou pour mieux dire quelqu’un, dont la présence atténuera la haine de mon père pour vous et aussi les remords de celui que vous aimez.

— Est-ce possible ?

— Je vous le jure, dit Hélène, qui pensait à lady Beltham dont l’existence, une fois découverte, constituerait en effet la meilleure solution de nature à atténuer la colère de Fantômas et à écarter de l’esprit de l’acteur les remords qui bourrelaient sa conscience.

Les deux jeunes femmes venaient d’aviser une voiture :

— Ne perdons pas un instant, dit Hélène en y montant. Chauffeur, à Ville-d’Avray !

***

Dick était descendu avec Fantômas, et ils arrivèrent dans l’avenue du Bois de Boulogne quelques instants après le départ des deux femmes. Ils marchaient l’un à côté de l’autre, silencieux, dans l’avenue déserte où ne passaient que quelques promeneurs attardés.

— Eh bien ? interrogea Fantômas railleusement, où est Sarah Gordon ?

Dick regardait de tous côtés, paraissant fort surpris, fort ému de ne point voir l’Américaine, qui devait l’attendre dans le voisinage. Il ne voulut pas confier ses appréhensions à Fantômas, car Dick se demandait si Sarah, impatiente, inquiète de ne point le voir revenir n’était pas allée prévenir la police.

Il déclara simplement :

— Nous sommes peut-être descendus trop tôt.

— Ou trop tard.

Dick feignit de ne pas l’entendre ; il continuait à regarder autour de lui. Cependant Fantômas sentait la colère gronder en son cœur.

« Il ne me sert à rien d’être bon, pensait-il, et ce misérable que je viens d’épargner jusqu’ici me trahit encore. Mais il ne perd rien pour attendre. Sa vie ne vaut pas cher en ce moment. »

Il dissimula sa pensée. Il venait d’apercevoir, rangée le long du trottoir, une superbe limousine automobile qui attendait.

C’était sa voiture.

Fantômas suggéra d’une voix douce, aimable, pour ne point inquiéter son compagnon :

— Partons, voulez-vous ? Allons ensemble à Ville-d’Avray sans nous occuper de Sarah ?

Dick était si troublé qu’il accepta la proposition. Il hésita cependant en voyant Fantômas le conduire vers l’automobile. L’acteur connaissait le bandit pour n’avoir pas de pitié. Un instant, il eut peur de monter avec lui.

— J’ai votre parole, demanda-t-il, vous épargnerez mon existence jusqu’à ce que nous ayons vu si lady Beltham existe ou non ?

Fantômas ne répondait rien. Il ouvrit la portière du véhicule, fit un signe à l’homme qui était sur le siège, qui aussitôt descendit pour mettre la voiture en route.

Dick résigné, résolu aussi à en finir, monta dans la limousine.

Fantômas s’installa à côté de lui. Le véhicule démarra.

Le bandit, cependant, avait un air sinistre, et, désormais seul à seul avec Dick, dans la voiture, il le regardait d’une si terrible façon que le malheureux acteur eut l’impression qu’il était perdu.

Il répéta en balbutiant :

— Vous m’avez promis, n’est-ce pas, de m’épargner ?

Alors, Fantômas, lentement, s’expliqua :

— Je vous ai promis, Dick, de vous épargner si Sarah, comme vous me l’aviez annoncé, avait été là auprès de ma demeure à vous attendre, mais elle n’y était pas.

La voix de Fantômas devenait frémissante :

— Elle n’y était pas, et j’en conclus qu’impatiente de vous revoir, elle m’a trahi, elle a couru me dénoncer à la police. Ah, voyez-vous, Dick, on ne se joue pas impunément de Fantômas.

Un râle effroyable lui répondit, un cri d’angoisse et de douleur indicible retentissait.

Ce cri se perdit dans la nuit silencieuse, il fut couvert par le ronflement du moteur et l’appel de la sirène qui troubla la nuit.

Seul, peut-être, avec Fantômas, un autre homme avait entendu ce cri d’agonisant : c’était le conducteur du véhicule. Mais cet homme avait bien trop l’habitude des drames et des crimes. Il connaissait bien trop son maître pour s’en émouvoir un seul instant. L’automobile, à ce moment, lancée dans une avenue droite du Bois de Boulogne, accélérait son allure.

***

Cependant à cette même heure, la plus grande animation régnait dans les bureaux de la Sûreté Générale.

Une vingtaine d’agents de la Sûreté attendaient dans un couloir sur lequel s’ouvrait le cabinet de M. Havard. On allait et venait, les ordres se succédaient les uns aux autres. Tantôt un homme ou deux se détachaient du groupe des inspecteurs qui attendaient, tantôt il en revenait d’autres essoufflés, haletants, que l’on introduisait d’urgence dans le cabinet du chef de la Sûreté.

Juve, arrivé enfin, aperçut Léon et Michel, ses deux collègues et amis, mais il leur serra la main en hâte et pénétra dans le bureau de M. Havard.

Dès que le chef suprême vit le policier, il déclara :

— Vous aviez raison, Juve, le domicile actuel de Fantômas est bien cet hôtel de l’avenue Malakoff, mais on me téléphone à l’instant que notre filature a dû être éventée, et qu’il vient d’en partir.

Juve, nerveux, préoccupé, sans s’attarder à d’inutiles récriminations, déclarait :

— Peu importe, monsieur Havard, il nous reste Ville-d’Avray.

Le chef de la Sûreté prit le téléphone :

— Faites retenir, dit-il, une dizaine de taxi-automobiles, c’est pour aller en banlieue. Au besoin, réquisitionnez-les. Nous partons tout de suite.