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M. Havard saisit dans un tiroir un revolver qu’il chargea avec précaution.

— Vous êtes armé, Juve ? interrogea-t-il.

— Toujours, répliqua le policier qui, précédant son chef, quittait le cabinet de M. Havard, gagnait le couloir où étaient amassés les agents de la Sûreté.

À ce moment quelqu’un surgissait, se précipitait vers Juve.

C’était Fandor.

Le journaliste était tout pâle, haletant. Il prit le policier à l’écart et lui demanda :

— Est-ce exact, Juve, que tout ce déploiement de force policière est destiné à l’arrestation de Fantômas ?

— Oui, fit Juve.

— Est-il exact, continua Fandor en baissant la voix, que les opérations de la police vont s’effectuer cette nuit même à la maison mystérieuse de Ville-d’Avray ?

— Oui, fit encore Juve.

— Ah mon ami, s’écria alors douloureusement Fandor qui gémissait. Savez-vous ce que je viens d’apprendre ? Ce que je crois avoir deviné ? C’est que, dans cette maison de Ville-d’Avray nous allons nous trouver en présence d’une femme que dans la pègre on surnomme la Guêpe. Cette femme, vous le savez, c’est Hélène.

— Le sort en est jeté et nous ne pouvons pas reculer, car Fantômas sera cette nuit à Ville-d’Avray. Alors, ceux qui s’y trouveront…

— Juve, supplia Fandor, vous ne pouvez pas permettre cela. C’est impossible que vous ordonniez une perquisition sachant qu’Hélène peut y être compromise.

Le policier regarda Fandor sévèrement :

— Le devoir est le devoir, fit-il, et tu sais que je ne transigerai jamais avec ma conscience. Je souhaite vivement qu’Hélène ne soit pas à Ville-d’Avray, cette nuit, mais si elle y est, tant pis, je n’y puis rien. Il faut que justice s’accomplisse. Ferais-tu donc autrement à ma place ?

Fandor courba la tête :

— Je vous accompagnerai, Juve, je serai là moi aussi.

26 – LA GUÊPE ROUGE

Ah ! qu’elle effroyable nuit se préparait !

Lady Beltham était haletante. La malheureuse venait de sortir de la cachette aménagée dans les sous-sols de la mystérieuse maison de Ville-d’Avray.

Depuis quelques jours, la tragique maîtresse de Fantômas n’osait plus sortir de cette maison où elle avait essayé d’attirer son amant et d’assouvir sur lui toute sa haine jalouse.

En fait, lady Beltham avait vu Fantômas apparaître dans le jardin et, comme elle était armée, rien ne lui aurait été plus facile alors que de tirer, pour ainsi dire à bout portant sur lui.

Mais, au dernier moment, elle avait manqué de courage, son bras tendu était retombé vers le sol et c’était alors seulement qu’elle avait appuyé sur la gâchette.

Deux détonations avaient retenti et Fantômas, aussi stupéfait de les entendre que terrifié par la vision qui se dressait soudain devant lui, s’était enfui.

Puis, les événements s’étaient précipités. Lady Beltham avait appris, par le récit des journaux, l’extraordinaire aventure du palais de Justice. À deux ou trois reprises, elle avait voulu sortir. Fuir cette maison de Ville-d’Avray qu’elle sentait devenir de plus en plus suspecte. Mais elle n’avait pas osé. À chaque fois, en effet, qu’elle voulait partir, elle avait l’impression qu’on l’épiait, que, de tout côté autour d’elle, s’organisait une surveillance active et minutieuse.

Et lady Beltham avait peur de tout et de tous. Elle n’éprouvait désormais plus de sympathie que pour deux personnes au monde : ce gentil couple d’amoureux qui, pendant quelque temps, avaient considéré sa maison comme un asile sûr pour y abriter leurs caresses et qu’elle avait dû leur interdire pour leur éviter un malheur.

Depuis trois soirs, lady Beltham sortait de sa cachette vers dix heures. Dès lors, comme une âme en peine, comme un revenant, elle errait dans la maison et dans le jardin, écoutant sans cesse, tressaillant au moindre bruit.

Or, ce soir-là, comme si elle avait été mue par un pressentiment, lady Beltham se sentait plus nerveuse, plus inquiète encore qu’à l’ordinaire. Elle avait l’impression, la certitude presque, qu’il allait se passer quelque chose de définitif, et de terrible en même temps.

Lady Beltham, pourtant, ne pouvait soupçonner la vérité.

Trois groupes de personnages s’acheminaient, en effet, par des voies différentes, vers la mystérieuse maison de l’avenue des Peupliers.

Il y avait, d’une part, l’automobile de Fantômas dans laquelle se trouvait avec le bandit l’acteur Dick, la voiture tragique d’où s’était échappé, au départ de Paris, un cri d’angoisse, un hurlement de douleur, un râle.

D’autre part, il y avait le taxi-auto loué par Hélène et Sarah Gordon, qui venaient là comme à un rendez-vous dont seule Hélène connaissait le véritable but.

Il y avait enfin, toutes les voitures réquisitionnées par le chef de la Sûreté, voitures emmenant une vingtaine d’agents armés. Au nombre de ces voitures il y en avait une où Juve et Fandor se trouvaient.

Lady Beltham qui avait péniblement gravi les marches du sous-sol, accédant au rez-de-chaussée, arrivait dans le hall de la maison. Il y faisait une lumière discrète, et, drapée de blanc, cependant que ses longs cheveux blancs également étaient épars sur ses épaules, la grande dame écouta avec une secrète angoisse le silence de la nuit.

Oh, cette nuit sombre d’où se dégageait une chaleur moite, une torpeur d’orage ! On n’entendait rien, absolument rien. Pour un peu, lady Beltham aurait perçu les battements de son cœur.

Et, tandis qu’elle réfléchissait, instinctivement sa pensée se reportait à dix ans en arrière :

Dans une maison misérable, située aux environs de la prison de la Santé, elle avait vécu sensiblement à la même époque, une nuit d’angoisse, de terreur et d’émotion semblable à celle-ci, une nuit que rien au monde ne pouvait effacer.

C’était la nuit effroyable qui avait précédé immédiatement l’aube de l’exécution de Fantômas.

Et lady Beltham était alors haletante dans cette maison, attendant l’arrivée de l’acteur Valgrand, qu’elle avait décidé de substituer à son amant :

L’effroyable machination avait réussi, et lady Beltham en condamnant un innocent, avait sauvé la tête de Fantômas.

Cela s’était passé il y avait dix ans, mais lady Beltham en revivait les péripéties comme au premier jour ; alors, elle était jeune et belle, et Fantômas était follement épris d’elle.

Les choses avaient changé. L’amant de la grande dame était devenu plus cruel, plus sanguinaire, mais il était resté aimé. Lady Beltham s’était dégradée pour lui, et folle de cet être, avait décidé d’en faire sa victime.

Car lady Beltham était toujours convaincue que son assassin, c’était Fantômas.

Et dès lors, dans son cœur de femme éprise, était née une haine irréductible qui s’aggravait d’un sentiment effroyable de jalousie. Si Fantômas avait voulu la tuer, c’est parce qu’il en aimait une autre et, depuis ce moment, depuis qu’elle avait miraculeusement échappé à la mort, lady Beltham ne songeait plus qu’à une chose : se venger du traître, avant d’expirer.

Lady Beltham, soudain tressaillit. Un bruit se faisait entendre dans le jardin. Un bruit de pas. La grande dame prêta l’oreille.

— Mon Dieu, balbutia-t-elle, que votre volonté s’accomplisse.

Lady Beltham sentit, devina plutôt, que l’heure solennelle avait sonné. D’une main qui ne tremblait pas, elle arma son revolver et attendit.

Les bruits de pas s’étaient atténués, puis, sur le perron de la maison, lady Beltham vit paraître quelqu’un : une seule personne.

C’était une femme, Sarah Gordon.

Lady Beltham la reconnut et son cœur se serra, une violente douleur l’étreignait, pareille à une morsure.

N’avait-elle pas désormais, devant elle, la femme qu’elle croyait être la maîtresse de Fantômas ? Ne l’avait-elle pas vue s’enfuir, il y avait de cela une dizaine de jours, entraînée par l’homme à la cagoule, alors qu’elle se trouvait dans cette maison, alors que lady Beltham elle-même ne pouvait s’élancer sur leurs traces, obligée qu’elle était de se défier de Fandor et de fuir devant les recherches que le journaliste faisait dans sa maison ?