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Si lady Beltham n’avait écouté que sa jalousie, elle aurait tiré lâchement sur la silhouette de l’Américaine, qui se précisait de l’autre côté de la porte, se rapprochait d’elle peu à peu.

Mais lady Beltham se dominait. Avant d’agir, elle voulait savoir la vérité tout entière, avant de se venger. Il lui fallait acquérir la certitude qu’elle était trahie de toutes les façons.

Et lady Beltham décida de parler à cette femme, de l’interroger, d’obtenir ses aveux.

Mais soudain, Sarah Gordon, qui s’avançait, recula dans l’ombre du jardin. On venait d’entendre ronfler dans l’avenue une automobile, dont trois hommes descendaient. La lueur des phares de la voiture permettait à lady Beltham de les voir dans la nuit. Elle poussa un cri de désespoir. Ces hommes marchaient se tenant par le bras, semblait-il, en réalité ils étaient deux, placés de part et d’autre d’un troisième personnage qu’ils soutenaient étroitement, la main sous les aisselles.

Or, ce troisième personnage était drapé dans un grand manteau noir, il avait une cagoule sur le visage.

Lady Beltham crut reconnaître Fantômas.

Elle ne douta pas un instant de ce qui était arrivé : on amenait Fantômas chez elle, mais Fantômas arrêté, ligoté. Et dès lors, il lui semblait qu’un vide immense se faisait dans son cœur, que tout s’écroulait autour d’elle. Fantômas arrêté, Fantômas réduit à l’impuissance, Fantômas prisonnier. Non, cela n’était pas possible. Et pourtant…

Ses yeux s’écarquillaient. Il n’était pas possible de douter de ce qu’elle voyait. Les trois hommes s’approchaient de la maison tragique, avec l’intention bien nette d’y pénétrer.

Tandis qu’ils gravissaient le perron, lady Beltham reculait et, lorsque la porte forcée par une fausse clé s’ouvrit, lady Beltham, par la sortie de derrière, gagna le jardin de la maison. Elle voulait voir sans être vue, elle cherchait à comprendre ce qui allait se passer, ce que signifiaient ces présences.

Alors qu’elle contournait sa tragique demeure, et s’avançait avec précaution, une autre personne, dissimulée derrière un massif auprès du perron, avait vu elle aussi l’arrivée des trois hommes, et cette femme qui les regardait anxieusement, c’était Sarah Gordon.

L’Américaine s’attendait à l’arrivée de Fantômas, ainsi qu’à celle de Dick. Hélène ne lui avait-elle pas annoncé la venue des deux adversaires à cette maison ? Sarah chercha des yeux Hélène qui, jusqu’alors, l’avait accompagnée. La jeune fille avait disparu.

Sarah Gordon, au bout d’un instant, ne songeait plus à sa compagne. Elle regardait les trois hommes et poussa un cri de surprise.

Certes, elle ne voyait pas les traits de Fantômas sous sa cagoule, mais elle voyait ses mains, sortant des plis de son grand manteau noir. Elles étaient toutes blanches, elles avaient une teinte de cire, ces mains sur lesquelles se fixait le regard de Sarah Gordon. L’Américaine poussa un cri. À l’un des doigts de l’homme à la cagoule qui paraissait blessé, brillait un diamant : le diamant d’une bague que Sarah Gordon avait donnée à Dick.

Une crainte affreuse s’emparait d’elle. Les trois hommes venaient d’entrer dans le vestibule. Ils avaient fait asseoir sur un fauteuil l’homme que lady Beltham avait cru être Fantômas. L’homme à la cagoule, lâché par ses deux compagnons, demeurait inerte. Sarah se précipita. Elle parvint jusqu’au mystérieux personnage, elle souleva le masque cachant le visage. Un cri d’épouvante s’échappa de ses lèvres. L’homme qu’elle avait pris pour Fantômas, c’était Dick, mais un Dick blafard, un Dick portant à la gorge une effroyable blessure : Dick l’acteur était mort.

Sarah Gordon chancela, tomba sur le corps de son amant. Elle était folle. Elle le serrait contre elle, voulant hurler sa douleur.

Ses lèvres, simplement, balbutiaient :

— Dick ! Dick !

Et elle s’écroula.

Du fond du jardin, lady Beltham avait vu cette scène, mais sans la comprendre. Elle ne s’était pas aperçue de l’extraordinaire substitution qui avait eu lieu et elle ne retenait qu’une chose, c’est que Fantômas était là dans cette maison, et qu’une femme s’était précipitée sur lui, qu’elle le couvrait de baisers, follement éprise.

Était-ce donc une infâme machination ? Une atroce comédie qu’on avait voulu lui donner ? Toute la haine qu’elle avait accumulée dans son cœur, toute la jalousie qui la faisait souffrir, lui montaient au cerveau.

Lady Beltham bondit comme une folle, l’arme au poing, elle se précipita dans le vestibule, et à bout portant, fracassa la tête de Sarah Gordon.

L’Américaine tomba sans pousser un cri, baignée dans son sang.

Mais, à peine avait-elle tiré, que lady Beltham chancelait, car, devant elle, se trouvait le visage découvert du mort, du mort qui n’était pas Fantômas.

— Malédiction, hurla la malheureuse, ce n’était pas lui, et j’ai tué, j’ai tué cette femme.

À ce moment précis, de sourdes rumeurs s’élevaient. Hélène qui allait accourir, car jusqu’alors, elle était restée aux écoutes à l’entrée du jardin, se sentit trembler.

L’un des hommes qui avait accompagné Dick, surgissait dans le vestibule. C’était cette fois, véritablement Fantômas.

Mais il arrivait trop tard.

Au même instant, une nouvelle détonation retentit : lady Beltham, désespérée du crime qu’elle venait de commettre, s’était tiré un coup de revolver dans la poitrine.

Elle tomba agonisante.

— Maud ! hurla Fantômas, qui vit enfin sa maîtresse.

L’infortunée grande dame avait reconnu la voix de son amant, et faisant un effort suprême, elle essayait de se redresser.

Fantômas s’était jeté à genoux auprès d’elle, il la serrait contre sa poitrine :

— Maud, Maud, balbutia le bandit, qu’avez-vous fait ? Pourquoi mourir ? puisque je suis là, que je vous retrouve ?

Les yeux de lady Beltham se couvraient déjà d’un brouillard rouge et trouble, elle reconnut, toutefois, son amant :

— Fantômas, gémit-elle, vous êtes mon assassin. Vous avez déjà voulu me faire périr, mais soyez heureux, je meurs.

— Ah, s’écria Fantômas, comment pouvez-vous dire une telle chose, Maud. Sur ce que j’ai de plus sacré au monde, sur mon inaltérable amour pour vous, je vous le jure, jamais, au grand jamais, je n’ai voulu votre mort. Si vous saviez ce que j’ai souffert. Lorsque j’ai cru que l’on vous avait assassinée, je n’ai eu de calme et de repos qu’une fois ma vengeance accomplie.

D’un geste tragique, Fantômas désignait le cadavre de Dick :

— C’est lui, c’est cet homme-là qui a voulu vous faire périr. C’est le fils de l’acteur Valgrand.

Lady Beltham avait beau ne l’entendre plus qu’à peine, le nom tragique, le nom de cauchemar et de remords que Fantômas venait de prononcer, lui rappela tout son passé. En l’espace d’une seconde, lady Beltham revit toute son existence, si tragiquement brisée par son amour fatal pour Fantômas.

Elle se sentait mourir. Elle étouffait. Le sang qui s’échappait de sa poitrine avait rougi sa robe toute blanche. Mais un sourire errait sur ses lèvres pâlies. Fantômas venait de lui parler, de la serrer contre son cœur, et elle mourait heureuse. Heureuse d’avoir su qu’elle n’était pas trahie, qu’elle était toujours aimée.

— Maud, Maud, balbutiait Fantômas, en proie à une émotion intense.

Il s’arrêta une seconde, relâcha son étreinte.

Une voix brève et dure venait de s’élever derrière lui :

— Mon père, la police arrive.

Il se retourna, vit Hélène.

La jeune fille avait un masque impénétrable. Elle avait dû, pour arriver jusqu’à Fantômas, écarter de son chemin, le cadavre de Sarah Gordon. Son corsage, ses mains étaient couverts de sang.

— Hélène, gémit Fantômas, lady Beltham se meurt !

La jeune fille ne répondit point. Elle recula de quelques pas, revint sur le perron.

Insensible à se qui se passait, indifférent, Fantômas cherchait sur les lèvres de Lady Beltham son dernier souffle, il épiait son dernier regard :

— Maud, Maud, répéta-t-il d’une voix infiniment douce, je vous aime, je vous aime…