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ANDROMAQUE. – Parce que vous ne le jugez digne que de mépris.

HÉLÈNE. – C’est à savoir. Cela peut venir aussi de ce que, tous les malheureux, je les sens mes égaux, de ce que je les admets, de ce que ma santé, ma beauté et ma gloire je ne les juge pas très supérieures à leur misère. Cela peut être de la fraternité.

ANDROMAQUE. – Vous blasphémez, Hélène.

HÉLÈNE. – Les gens ont pitié des autres dans la mesure où ils auraient pitié d’eux-mêmes. Le malheur ou la laideur sont des miroirs qu’ils ne supportent pas. Je n’ai aucune pitié pour moi. Vous verrez, si la guerre éclate. Je supporte la faim, le mal sans souffrir, mieux que vous. Et l’injure. Si vous croyez que je n’entends pas les Troyennes sur mon passage! Et elles me traitent de garce! Et elles disent que le matin j’ai l’œil jaune. C’est faux ou c’est vrai. Mais cela m’est égal, si égal!

ANDROMAQUE. – Arrêtez-vous, Hélène!

HÉLÈNE. – Et si vous croyez que mon œil, dans ma collection de chromos en couleurs, comme dit votre mari, ne me montre pas parfois une Hélène vieillie, avachie, édentée, suçotant accroupie quelque confiture dans sa cuisine! Et ce que le plâtre de mon grimage peut éclater de blancheur! Et ce que la groseille peut être rouge! Et ce que c’est coloré et sûr et certain!… Cela m’est complètement indifférent.

ANDROMAQUE. – Je suis perdue…

HÉLÈNE. – Pourquoi? S’il suffit d’un couple parfait pour vous faire admettre la guerre, il y a toujours le vôtre, Andromaque.

SCÈNE NEUVIÈME

HÉLÈNE, ANDROMAQUE, OIAX, puis HECTOR

OIAX. – Où est-il? Où se cache-t-il? Un lâche! un Troyen!

HECTOR. – Qui cherchez-vous?

OIAX. – Je cherche Pâris…

HECTOR. – Je suis son frère.

OIAX. – Belle famille! Je suis Oiax! Qui es-tu?

HECTOR. – On m’appelle Hector.

OIAX. – Moi je t’appelle beau-frère de pute!

HECTOR. – Je vois que la Grèce nous a envoyé des négociateurs. Que voulez-vous?

OIAX. – La guerre!

HECTOR. – Rien à espérer. Vous la voulez pourquoi?

OIAX. – Ton frère a enlevé Hélène.

HECTOR. – Elle était consentante, à ce que l’on m’a dit.

OIAX. – Une Grecque fait ce qu’elle veut. Elle n’a pas à te demander la permission. C’est un cas de guerre.

HECTOR. – Nous pouvons vous offrir des excuses.

OIAX. – Les Troyens n’offrent pas d’excuses. Nous ne partirons d’ici qu’avec votre déclaration de guerre.

HECTOR. – Déclarez-la vous-mêmes.

OIAX. – Parfaitement, nous la déclarerons, et dès ce soir.

HECTOR. – Vous mentez. Vous ne la déclarerez pas. Aucune île de l’archipel ne vous suivra si nous ne sommes pas les responsables… Nous ne le serons pas.

OIAX. – Tu ne la déclareras pas, toi, personnellement, si je te déclare que tu es un lâche?

HECTOR. – C’est un genre de déclaration que j’accepte.

OIAX. – Je n’ai jamais vu manquer à ce point de réflexe militaire!… Si je te dis ce que la Grèce entière pense de Troie, que Troie est le vice, la bêtise?…

HECTOR. – Troie est l’entêtement. Vous n’aurez pas la guerre.

OIAX. – Si je crache sur elle?

HECTOR. – Crachez.

OIAX. – Si je te frappe, toi son prince?

HECTOR. – Essayez.

OIAX. – Si je te frappe en plein visage le symbole de sa vanité et de son faux honneur?

HECTOR. – Frappez…

OIAX, le giflant. – Voilà… Si Madame est ta femme, Madame peut être fière.

HECTOR. – Je la connais… Elle est fière.

SCÈNE DIXIÈME

HÉLÈNE, ANDROMAQUE, OIAX, HECTOR, DEMOKOS

DEMOKOS. – Quel est ce vacarme! Que veut cet ivrogne, Hector?

HECTOR. – Il ne veut rien. Il a ce qu’il veut.

DEMOKOS. – Que se passe-t-il, Andromaque?

ANDROMAQUE. – Rien.

OIAX. – Deux fois rien. Un Grec gifle Hector, et Hector encaisse.

DEMOKOS. – C’est vrai, Hector?

HECTOR. – Complètement faux, n’est-ce pas Hélène?

HÉLÈNE. – Les Grecs sont très menteurs. Les hommes grecs.

OIAX. – C’est de nature qu’il a une joue plus rouge que l’autre?

HECTOR. – Oui. Je me porte bien de ce côté-là.

DEMOKOS. – Dis la vérité, Hector. Il a osé porter la main sur toi?

HECTOR. – C’est mon affaire.

DEMOKOS. – C’est affaire de guerre. Tu es la stature même de Troie.

HECTOR. – Justement. On ne gifle pas les statues.

DEMOKOS. – Qui es-tu, brute? Moi, je suis Demokos, second fils d’Achichaos!

OIAX. – Second fils d’Achichaos? Enchanté. Dis-moi, cela est-il aussi grave de gifler un second fils d’Achichaos que de gifler Hector?

DEMOKOS. – Tout aussi grave, ivrogne. Je suis le chef du Sénat. Si tu veux la guerre, la guerre jusqu’à la mort, tu n’as qu’à essayer.

OIAX. – Voilà… J’essaie.

Il gifle Demokos.

DEMOKOS. – Troyens! Soldats! Au secours!

HECTOR. – Tais-toi, Demokos.

DEMOKOS. – Aux armes! On insulte Troie! Vengeance!

HECTOR. – Je te dis de te taire.

DEMOKOS. – Je crierai! J’ameuterai la ville!

HECTOR. – Tais-toi!… Ou je te gifle!

DEMOKOS. – Priam! Anchise! Venez voir la honte de Troie. Elle a Hector pour visage.

HECTOR. – Tiens!

Hector a giflé Demokos. Oiax s’esclaffe.

SCÈNE ONZIÈME

LES MÊMES, PRIAM ET LES NOTABLES

Pendant la scène, Priam et les notables viennent se grouper en face du passage par où doit entrer Ulysse.

PRIAM. – Pourquoi ces cris, Demokos?

DEMOKOS. – On m’a giflé.

OIAX. – Va te plaindre à Achichaos!

PRIAM. – Qui t’a giflé?

DEMOKOS. – Hector! Oiax! Hector! Oiax!

PÂRIS. – Qu’est-ce qu’il raconte? Il est fou!

HECTOR. – On ne l’a pas giflé du tout, n’est-ce pas, Hélène?

HÉLÈNE. – Je regardais pourtant bien, je n’ai rien vu.