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Le cercle des joueurs se complétait d’ailleurs par quelques autres personnages appartenant au sexe masculin. Et tandis que les deux jeunes filles achevaient avec un entrain endiablé une partie chaudement disputée, les hommes devisaient à l’ombre d’un grand palmier qui s’élevait à l’extrémité du court de tennis.

C’était le comte de Massepiau, un pauvre désœuvré provincial qui possédait, assurait-il, une exploitation agricole dans les environs de la Sologne, mais dont la santé rendait le Midi nécessaire pendant la mauvaise saison.

De fait, ce malheureux, âgé peut-être de trente-cinq ans à peine, portait près du double de son âge. Les rares cheveux qu’il avait conservés sur la nuque et les tempes étaient tout blancs, il avait les épaules courbées, la poitrine étroite et il toussotait perpétuellement.

Le comte de Massepiau avait pour partenaire habituel au tennis de la pension Héberlauf, un vieux beau d’une élégance raffinée, le conseiller Paraday-Paradou, qui avait été jadis dans la diplomatie, représentant des gouvernements amis de la France en des pays orientaux. Il assurait avoir été ensuite magistrat aux colonies. Il portait à la boutonnière une rosette multicolore, baragouinait plusieurs langues étrangères et ne manquait pas d’esprit.

Toutefois, celui qui s’intitulait, non sans une excessive vanité : « la coqueluche du tennis » c’était un jeune homme pâle et blond, aux cheveux collés sur le front, aux attitudes apprises, mais distinguées, un jeune homme, riche assurément et sur la clientèle duquel comptait beaucoup M meHéberlauf.

Il s’agissait, en effet, de M. Norbert du Rand, célibataire de vingt-deux ou vingt-trois ans, orphelin à la tête d’une immense fortune et qui fréquentait assidûment la pension de famille, moins pour le plaisir d’y jouer au tennis que dans l’intention évidente de faire la conquête de la jolie Denise.

Au moment où M lleDenise et Geneviève Albertard achevaient leur partie, alors qu’elles regagnaient tout essoufflées la table à thé servie sous une tonnelle et que le comte de Massepiau, ainsi que le vieux Paraday-Paradou, s’empressaient à leur tendre leurs manteaux pour éviter les refroidissements, le jeune Norbert du Rand fit son apparition.

Il avait l’œil animé, les pommettes rouges, un sourire énigmatique :

— Par Dieu, mon cher, s’écria le comte de Massepiau qui témoignait une grande sympathie au jeune homme, vous avez l’air bien joyeux. C’est assurément le fait de vous retrouver en présence de ces charmantes jeunes filles qui viennent de se livrer à une bataille acharnée ?

Norbert du Rand fit non de la tête, puis avec une galanterie affectée, il prit successivement les mains de chacune des jeunes filles et les porta à ses lèvres, faisant ainsi remarquer l’un de ses doigts qui portait, à la première phalange, une grosse bague d’or ornée d’une pierre amusante, une aigue-marine.

— Tiens, remarqua Geneviève Albertard, voilà un bijou que je ne vous connaissais pas, monsieur Norbert du Rand.

— En effet, mademoiselle, je le possède depuis ce matin seulement. C’est un cadeau que l’on m’a fait.

— » On » ? interrogea malicieusement Paraday-Paradou, voilà qui est bien vague.

Norbert du Rand, très heureux de retenir sur lui l’attention, regardait subrepticement M lleDenise pour savoir si elle écoutait, puis, il répliqua sur un ton mystérieux :

— La discrétion la plus élémentaire m’interdit de vous faire savoir d’où je tiens ce bijou.

Il s’approchait de Geneviève Albertard et lui proposa un match de tennis. La jeune fille accepta.

Norbert se croyait très fort ; il imaginait ainsi provoquer la jalousie de la jolie Denise, sur laquelle il avait – en principe – jeté son dévolu.

Mais de deux choses l’une.

Ou M lleDenise dissimulait à merveille ses sentiments, ou bien les attitudes de Norbert du Rand lui étaient parfaitement indifférentes, car la jeune fille ne parut point s’apercevoir de tout ce manège.

Le comte de Massepiau, qu’intriguaient ces petites aventures, voulut pousser les choses encore plus loin et, avec d’ailleurs une absence de tact absolu, il expliqua au vieux Paraday-Paradou, assez haut pour être entendu :

— La bague de notre ami Norbert du Rand est fort jolie, mon cher, vous en connaissez sûrement l’histoire ?

— Non, fit l’ex-diplomate, je l’ignore absolument.

— La voici donc, reprit le comte qui ajoutait aussitôt : Une de nos plus charmantes – comment dirai-je pour gazer ?… une de nos plus charmantes… quart de mondaines de la Côte d’Azur, qui est d’ailleurs accueillante pour tous venants – M lleIsabelle de Guerray – très connue chez Maxim’s, à Paris, très connue au Casino de Monte-Carlo, a pour spécialité d’offrir un bijou… une bague, aux hommes distingués et généreux qu’elle honore de ses faveurs. C’est comme qui dirait une marque de fabrique, une prime donnée au client.

Le vieux diplomate s’esclaffa :

— Les bagues d’Isabelle de Guerray, c’est vrai. J’ai déjà entendu parler de cela.

M lleDenise se prit à sourire.

Mais l’attention du petit groupe qui prenait le thé fut peu à peu détournée de Norbert du Rand par de nouveaux incidents.

La fenêtre de la villa d’en face venait de s’ouvrir et, au balcon de la véranda, apparaissait l’élégante et fine silhouette de la danseuse espagnole, Conchita Conchas.

D’un geste nonchalant et las, l’Espagnole approcha ses lèvres une cigarette dont elle tira de lentes bouffées.

De temps à autre elle jetait un long regard incendiaire vers la fenêtre du premier étage de la maison des Héberlauf, puis souriait ostensiblement d’un sourire qui découvrait ses dents blanches, régulières et nacrées comme un rang de perles.

Aucun doute, cette Conchita Conchas en voulait à la vertu de l’austère M. Héberlauf, ex-pasteur protestant, ancien directeur de la Sûreté générale du royaume de Hesse-Weimar et pour le moment propriétaire d’une pension de famille.

— Ce que femme veut, insinua finement le comte de Massepiau.

— Soit, dit Denise, c’est entendu. Mais elles sont deux. La danseuse espagnole d’une part et, de l’autre, M meHéberlauf qui compte pour quelque chose.

Norbert du Rand haussa les épaules :

— Entre une jolie femme, fit-il, et cette vieille bourgeoise, nul n’hésiterait.

— La bourgeoisie a du bon, répliqua le vieux Paraday-Paradou… Voyez plutôt, ajouta-t-il, cette accueillante personne qui a nom Isabelle de Guerray. Elle est courtisée par toute la jeunesse dorée de la Côte. On dit pourtant que ses amours secrètes vont à un brave homme sans doute, mais à un modeste employé du casino, un nommé Louis Meynan, attaché à la caisse du Cercle.

— Parbleu, interrompit le comte de Massepiau. Isabelle de Guerray veut faire une fin ; c’est un mari qu’elle cherche, un mari qui fermerait les yeux sur son passé. Voilà qui ne se trouve pas dans tous les mondes.

Ces propos, tenus devant Norbert du Rand dans le but de l’agacer, y réussissaient fort bien.

Encore qu’il voulût le dissimuler, le jeune homme éprouvait un vif dépit d’entendre parler de la sorte d’une femme qui, croyait-il, dans sa suffisance juvénile, lui faisait une cour assidue, ce dont il prétendait tout au moins tirer parti pour susciter la jalousie de la belle Denise dont il se croyait sincèrement amoureux.

Mais Denise, ce soir-là, était distraite.

Soudain, alors que Norbert lui posait une question, la jeune fille se leva sans répondre, laissant son interlocuteur complètement abasourdi.

La jeune fille avait distingué à travers les bosquets de verdure quelqu’un qui s’introduisait dans le parc.

— Comment allez-vous, mon cher Commandant ?

Le personnage qui se trouvait en face de la jeune fille n’était autre qu’Ivan Ivanovitch, l’officier russe commandant du superbe cuirassé Skobeleff, qui, depuis plusieurs jours déjà, stationnait en rade devant Monaco.

Ivan Ivanovitch répondit par une affectueuse poignée de main au salut cordial de la jeune fille. Il s’enquit aussitôt de la santé de cette dernière, avec cette galanterie et cette éducation parfaite qui sont le propre des officiers de marine de tous les pays.