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Non. Il contenait une feuille de papier, où il lut ces mots :

«  La fille de Fantômas vous épargne un crime et fait son devoir en sauvant son père. »

— Fandor, s’écria Juve, lis ça.

Le journaliste s’approcha :

— La fille de Fantômas, déclara-t-il, sauve son père, parbleu, Juve, l’officier qui désormais se rend à bord du Skobeleffn’est assurément personne d’autre que Fantômas.

M. de Vaugreland se rapprochait du petit groupe que formaient Juve et le journaliste.

Il venait de faire un large détour pour ne point approcher le cadavre de l’infortuné officier que, d’ailleurs, les hommes de service accouraient enlever, les uns portant une civière, les autres un râteau et du sable fin, afin que l’on pût, immédiatement, faire disparaître des allées du parc, les flaques de sang qui s’y coagulaient.

M. de Vaugreland, tout tremblant, se rapprocha de Juve :

— Nous sommes sauvés, dit-il, grâce à votre perspicacité, monsieur Juve, le malfaiteur n’est plus en état de nuire et je me félicite à l’idée que le scandale sera vite étouffé.

Juve, tout d’abord interdit, regarda le directeur.

Il y eut un silence, puis, brusquement, incapable de contenir sa fureur, le policier empoignait M. de Vaugreland par les épaules, et, brutalement, il lâcha :

— Mais, espèce d’imbécile, vous n’avez donc rien compris ? c’est-à-dire que nous sommes foutus, au contraire, si dans cinq minutes, une salve d’obus ne vient pas ravager votre boutique, c’est que je ne reconnais plus mon Fantômas. C’est un innocent que vos hommes ont tué et c’est le coupable qui, désormais, monte à bord du Skobeleff. Ah, nous sommes frais, et je dois reconnaître que nous avons fait là du joli travail.

— Monsieur, supplia M. de Vaugreland, absolument abasourdi et terrifié à l’idée que des groupes se formaient dans le jardin, que la foule attirée par les coups de revolver et dont la curiosité s’excitait du mouvement du Skobeleff, grossissait de plus en plus, allons-nous-en d’ici.

M. de Vaugreland, prêt à défaillir, eut à peine la force de solliciter de Juve qu’il vint avec lui dans son cabinet.

Quelques secondes plus tord, Juve, Fandor et M. de Vaugreland étaient installés dans le bureau directorial.

Par la fenêtre ouverte on voyait nettement le Skobeleffévoluer sur la rade sans que l’on puisse comprendre ce que signifiait sa manœuvre.

— Aucun doute, avait dit Juve, le Skobeleffcherche la meilleure position pour bombarder le Casino.

Le policier, d’ailleurs, depuis quelques instants, examinait minutieusement la lettre que lui avait confiée M. de Vaugreland :

— Parbleu, s’écria-t-il soudain, après avoir humecté l’écriture et constaté que celle-ci était étonnamment sèche, parbleu, cette lettre ne date pas d’hier. Elle a été écrite il y a dix jours, quinze, peut-être. C’est curieux. Comment se peut-il…

Soudain, M. de Vaugreland l’interrompit :

— Juve, fit-il, je me souviens d’une scène étrange. Tenez, au moment de l’assassinat du malheureux Norbert du Rand. Ivan Ivanovitch est venu me proposer de me rendre les trois cent mille francs que le Casino lui avait, disait-il, prêtés le matin même :

« Qui lui avait prêté cet argent ?

« Nous ne pouvions pas croire qu’un semblable prêt avait été effectué. Personne d’entre nous n’avait en effet reçu la visite d’Ivan Ivanovitch.

— Pourquoi me rappelez-vous tout cela ? interrogea Juve.

— Je ne sais pas, fit M. de Vaugreland, c’est simplement la coïncidence des deux sommes qui attire mon attention.

— Monsieur le Directeur, déclara Juve, vous m’ouvrez des horizons.

Il semblait réfléchir profondément, un silence angoissant régna dans la pièce, que nul n’osait troubler.

— Fandor, s’écria Juve, écoute : La lettre que voici remonte à trois semaines… Elle a été écrite sûrement par Ivan Ivanovitch, car il y a trois semaines le malheureux avait dilapidé au jeu des sommes formidables. Affolé, perdant la tête, il est venu au Casino, il a sollicité, demandé de l’argent, menacé de bombarder la ville si on ne le remboursait pas. Et il a été reçu par un directeur – ou tout au moins par quelqu’un qui s’est donné pour tel. Quelqu’un qui avait trois cent mille francs sur lui et qui a pu les lui remettre. Ce quelqu’un – n’en doute pas, Fandor – c’était Fantômas. Fantômas a gardé la lettre, cette lettre que naïvement Ivan Ivanovitch espérait rattraper le fameux soir où, ayant fait gagner Norbert du Rand et ayant partagé avec lui un gain important, il se proposait de restituer au Casino, en échange du document compromettant, la somme que lui avait prêtée, le matin même, qui tu sais.

« Dès lors, poursuivit Juve, Ivanovitch était dans les mains du bandit. Obligé de lui obéir, contraint à exécuter ses ordres, agissant comme une machine, toujours sous la crainte de voir cette lettre remise aux autorités et d’être châtié de son inconséquence. Certes, Fantômas a récompensé Ivan Ivanovitch en lui faisant gagner de l’argent. Rappelle-toi le truquage du numéro sept de la roulette, mais rappelle-toi aussi, Fandor, que chaque fois qu’un crime se produisait, la responsabilité semblait devoir en retomber sur le malheureux officier.

— Souvenez-vous, Juve, s’écria Fandor qui comprenait à merveille l’explication du policier, souvenez-vous de l’émotion du vrai Ivan Ivanovitch, le fameux soir où je l’ai empêché de regagner son bord. Il prétendait avoir « des ordres » dont il ne pouvait citer l’origine, pour rentrer immédiatement sur son navire.

— C’étaient des ordres de Fantômas, déclara Juve qui ajouta :

« Souviens-toi, Fandor, que perpétuellement l’un et l’autre nous étions en présence, soit du vrai Ivan Ivanovitch, soit de Fantômas qui avait pris sa silhouette, son visage et son apparence pour perpétrer les plus atroces forfaits.

— Souvenez-vous, Juve, poursuivit Fandor, que Fantômas a failli nous brouiller, pour nous avoir trop bien persuadés qu’Ivan Ivanovitch était le coupable.

Juve et Fandor, sans souci du directeur, se prenaient les mains, se les serraient à les broyer.

M. de Vaugreland, abasourdi, considérait, stupéfait, les deux hommes, qui subjugués par l’intérêt réciproque de leurs explications ne se préoccupaient plus de lui en aucune façon.

Soudain la sonnerie du téléphone retentit. M. de Vaugreland, machinalement, bondit à l’appareil :

— Allô ? allô ? Qu’est-ce que vous dites ? Je ne comprends pas. Tenez, je suis trop fatigué, trop ému.

Le malheureux passa le récepteur à Juve qui, se contentant de répondre par brefs monosyllabes, transcrivit, sur une feuille de papier, l’information qu’on lui adressait.

Et Fandor qui regardait par-dessus son épaule lut cette simple nouvelle transmise par le sémaphore :

«  LeSkobeleff quitte la rade avec des ordres réguliers de son gouvernement. »

Fandor bondit à la fenêtre.

Assurément l’information était exacte.

Pendant les quelques secondes que le journaliste et le policier s’étaient entretenus, le majestueux cuirassé avait fait volte-face et désormais, en effet, toutes lumières éteintes, sauf les feux réglementaires, il pointait vers la haute mer…

— Dieu soit loué, non seulement nous voici débarrassés d’Ivan Ivanovitch, mais encore cette menaçante forteresse flottante sera hors de vue lorsque se lèvera le jour. Je suis fort heureux d’apprendre que le Skobeleffs’en va. Espérons que nous allons être tranquilles, dit M. de Vaugreland.

— Hum, fit Juve, avec un sourire d’amertume, tranquilles ? c’est peu probable. Sans doute Ivan Ivanovitch est mort mais c’est un innocent que l’on a tué. Sans doute le Skobeleffgagne la haute mer… mais le cuirassé russe a pour chef suprême, à son bord, le plus redoutable capitaine qui soit au monde. Car le Skobeleffest désormais commandé par qui ? par Fantômas.

FIN