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Mésange essaie d'intervenir en ma faveur. Mais ça ne prend pas. J'ai presque envie de leur dire qu'ils perdent leur temps, que leur rapport finira à la poubelle parce que je démissionne. Mais je n'ai pas envie d'envenimer les choses.

Il me lit l'acte d'accusation et je ne cherche pas à nier.

— Tes billets sont contrôlés, tu peux aller te coucher.

Je les quitte, tous les trois. Je ne sais pas ce que je vais trouver en rentrant chez moi. Richard s'est occupé de ma bagnole, comme on a l'habitude de faire si l'un de nous est complètement beurré, trois voitures plus loin. De toute façon il était obligé de s'installer dans ma cabine, avec ce con de Latour, menottes au poignet… Mon collègue doit se demander où j'ai bien pu me fourrer. Et les autres, sont-ils seulement dans le train ? Brandeburg a-t-il montré son nez à Lausanne ? Une chose est sûre, c'est qu'ils sont au moins allés jusqu'à Vallorbe, il n'y avait personne sur le quai de Lausanne. J'aurais bien aimé voir la gueule qu'ils ont fait quand ils ont vu le dormeur, enchaîné.

J'arrive chez moi, une jeune femme est en train de cogner à ma porte.

— Ah, vous êtes là… Je venais vous voir parce que je descends à Dijon.

— C'est tout ? Enfin, je veux dire… tout va bien ?

— Bah… oui. Il fait un peu frais dans mon compartiment mais sinon ça va.

Elle me sourit et retourne se coucher. La porte de ma cabine est entrouverte, tous les papiers y sont, presque rien n'a été touché. Dans le 10, impossible de voir quoi que ce soit, les stores sont toujours baissés et apparemment, la lumière est éteinte. Le plus silencieusement possible je fais coulisser la porte de deux centimètres. C'est le noir complet, et j'ouvre franchement en tâtonnant vers l'interrupteur. Le toubib est toujours là, prisonnier, et la lumière le fait ciller. Je n'éprouve pas le besoin de parler, de poser une question à laquelle il ne répondrait pas.

— Brandeburg est dans le train, il n'est pas seul. Je vous conseille de me libérer.

— Et Latour ?

— Je ne sais pas.

— Vous croyez que votre patron réussira à lui faire passer la frontière à nouveau ?

— Je ne pense pas. Mais ce n'est plus le problème. Si les Suisses ne l'ont pas, les Français ne l'auront pas non plus, croyez-moi.

Les lois du marché. Je donne un coup de clé carrée dans la porte.

Celle de Richard est fermée. Je toque. Il met un temps fou à répondre, peut-être qu'il est assoupi.

— Qui est-ce ?

— C'est moi.

Silence.

— Casse-toi, je dors.

C'est la première fois qu'on se parle à travers une porte.

— Je peux entrer ? Juste deux minutes !

— Non. Passe me prendre après Dijon pour aller au Grill Express. Bonne nuit.

Hein ?… Je ne l'ai jamais entendu dire « Grill Express », entre nous on dit ragoût. Et puis, sur le Galilée, au retour, il n'y en a jamais eu.

Il n'est pas seul dans sa cabine et il a essayé de me le faire comprendre. Ça voulait dire : fais quelque chose, trouve un truc. Et c'est à cause de moi qu'il se retrouve avec des dingues, c'est la seule chose dont je sois responsable sur ce train. S'il lui arrive quoi que ce soit, j'aurai l'air de quoi ?

Je reviens tout de suite, juste le temps de passer chez moi et j'arrive, mec. Le flingue est toujours là, et c'est logique, personne ne m'a vu le planquer, pas de quoi s'étonner. L'objet me paraît subitement plus léger, plus maniable. C'est pas si méchant que ce qu'on dit, c'est qu'un morceau de métal, avec une crosse qui épouse bien la paume de la main, c'est fait pour ça, et avec ce qu'il y a au bout, aucune crainte de réveiller la maisonnée, c'est un truc très étudié. Je décroche le téléphone, ça fait deux fois en deux nuits. Un record.

Le couchettiste de la voiture 95 est demandé en tête de train, merci. Le couchettiste de la voiture 95 est demandé en tête de train, merci.

Je prends à peine le temps de le planquer sous ma veste pour traverser le couloir. Les soufflets s'ouvrent devant moi, je presse la crosse dans ma main. Ils sont obligés de le laisser sortir, après l'annonce. Je ne sais pas qui est dans la cabine, je ne comprends pas pourquoi ils ne sont pas descendus. La porte met un temps fou à s'ouvrir. Richard apparaît, un mouchoir sur la tempe, les larmes aux yeux. Il ne me voit pas. Planqué dans un coin de la plate-forme, je glisse doucement vers lui, un doigt qui barre ma bouche.

Il a hésité, une seconde, m'a fait signe de partir. Je l'ai chopé par la manche pour le mettre à l'écart.

— Est-ce qu'il y a un grand type blond, là-dedans ?

Signe affirmatif de la tête.

— Où ça ?

— Sur ma banquette, vers la gauche. La fille a un cran d'arrêt sur la gorge.

Une seconde, je me suis demandé comment tous ces gens pouvaient se presser dans un espace aussi réduit. C'est l'endroit le plus étroit mais aussi le plus sûr quand les contrôleurs et les douaniers sont passés. Après la frontière française, plus personne ne vient cogner à la porte, hormis un voyageur angoissé à l'idée de ne pas se réveiller. Si je réfléchis trop c'est foutu. Richard, c'était l'urgence. Maintenant qu'il est dehors, je pourrais aussi bien me tirer. À la position du carré de la serrure je vois qu'ils ont fermé. De la main gauche je positionne la clé en dégageant le pétard à l'air libre. On va voir si je suis capable d'un geste simultané des deux mains, je n'ai pas l'habitude d'entrer comme un voleur chez un collègue, et encore moins comme un tueur.

Un loquet n'a jamais fait autant de bruit sous ma main, j'ai accéléré, je me suis lancé dans des corps sans reconnaître les visages, j'ai tout bousculé, tout l'amas s'est déporté d'un bloc vers la fenêtre, j'ai agrippé des bras pour dégager le côté gauche de la banquette, une tête a cherché à se coincer contre la paroi du bac, j'ai hurlé, le doigt sur la détente, le canon dans les cheveux blonds. Brandeburg a crié, et tout s'est figé.

J'ai enfin pu voir, du coin de l'œil. Le dormeur est toujours là, relié à la barre de la fenêtre. Son nez s'est remis à couler. La fille est écrasée à terre par le genou de l'Américain, le cran d'arrêt prêt à se planter dans sa gorge. Un revolver dépasse d'une des poches de son blouson. Et Brandeburg là, au bout du mien, n'osant pas relever la tête.

L'Américain ne bouge pas, son couteau garde toujours le même angle. Je donne un petit coup nerveux sur la tempe de Brandeburg.

— Dites-lui de la laisser se relever et de s'asseoir par terre, à sa place.

Ils permutent, elle récupère son flingue, et c'est comme si ça lui avait rendu la parole.

— Bon, je m'occupe de Brandeburg, trouvez quelque chose pour attacher l'autre et un mouchoir propre pour Latour.

— … ? Vous êtes pas une subalterne vous, hein ? Vous devriez terminer toutes vos phrases par « exécution ».

Elle la ferme, une seconde. Elle n'a pas du tout l'air atteinte par les dernières minutes qu'elle vient de passer ici. Jamais vu une nana pareille.

— Désolée.

— Dites-nous donc la suite des événements, vous avez tout ce que vous vouliez, non ? je demande.

— Et sur le territoire français, surtout. Il n'est plus dans son fief, vous ne vous rendez pas compte de cette chance…, dit-elle.

— Non, et je m'en fous. Tout ce que je veux savoir c'est si on arrête le train ou pas.

Jean-Charles refuse immédiatement, par des gestes et des jérémiades incompréhensibles.

— Je n'ai pas demandé votre avis, dis-je.

— Pas question ! On va s'arrêter où ? En pleine montagne, entre deux tunnels ? À Dole ? Les flics vont nous garder deux jours, et quand est-ce que je serai chez moi ? Antoine, vous m'aviez promis de me ramener chez moi… Chez moi !