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L’ensemble était négligeable comparé aux têtes elles-mêmes. Quand un antineutron entre en collision avec un noyau de béryllium, il annihile un de ses neutrons et cette annihilation mutuelle dégage neuf fois plus d’énergie que la fission d’un atome d’uranium. En outre, il convertit ce noyau en deux particules alpha aussi proches l’une de l’autre qu’il est possible de l’être. Comme elles ont la même charge, elles se repoussent mutuellement et filent dans des directions opposées, augmentant d’environ un pour cent l’énergie dégagée. Ces particules alpha hautement chargées « transmettent » leur énergie à la matière qu’elles traversent, sous forme de chaleur, de radiation électromagnétique et de mouvement mécanique dû à cette chaleur et à cette radiation.

Toute énergie est destinée à finir sous forme de chaleur ; tel est le principe de l’entropie. L’énergie dégagée par les explosions a donc réchauffé le fond de l’océan Arctique, un milieu en majeure partie composé de glace à une température légèrement inférieure à celle du point de fusion de l’eau – en fait, c’est la pression régnant à cette profondeur qui est responsable de la solidité de l’eau.

Cette glace présente une particularité.

Quand on y réfléchit bien, il peut sembler étrange que la glace flotte sur l’eau. Du beurre solide coule quand on le plonge dans du beurre liquide, et il en va de même pour le fer et l’azote… mais l’eau solide flotte sur l’eau liquide.

Imaginez un microscope assez puissant pour vous permettre d’examiner ce phénomène. Les molécules d’eau se présentent sous un aspect plutôt biscornu et, en dépit de vos efforts, vous n’arriverez jamais à les ranger correctement. Gelez votre eau de façon que vos molécules s’ordonnent sous forme cristalline, et vous vous retrouverez avec pas mal d’espace vide – bien plus que lorsqu’elles se baladaient librement à l’état liquide.

Gelez votre eau d’une façon légèrement différente, et l’espace vide sera tel qu’on pourra glisser d’autres molécules entre les molécules d’eau. Ce composé s’appelle un clathrate – du mot latin clathrus signifiant « barreau » – et peut abriter toutes sortes de substances.

Par exemple, vingt-trois molécules d’eau peuvent former une cage contenant quatre molécules de méthane.

Il y a plein de méthane au fond de l’océan. Tout ce qui s’abîme là finit par pourrir, et l’oxygène est une denrée rare dans ce milieu. Nombre de processus de décomposition anaérobie dégagent du méthane. Ça fait un bon moment que des cadavres pourrissent au fond de l’océan et, depuis les dernières périodes glaciaires, la température y est assez basse pour piéger le méthane dans des clathrates. Dans l’océan Arctique, il existe des packs de clathrates épais de plusieurs dizaines de mètres et larges de plusieurs centaines de kilomètres.

L’énergie dégagée par les bombes CRAM se retrouve donc au fond de l’océan, réchauffe de la glace dont la température est proche du point de fusion et libère du méthane. En outre, les clathrates causent des glissements de terrain en se dissolvant.

Les clathrates sont des composés fragiles. En dépit de leur taille, leur cohésion est des plus minimes, et il ne faut pas grand-chose pour les briser ; après quoi les molécules d’eau se regroupent pour former de la banale glace… et celles de méthane s’échappent.

Ce jour-là, le fond de l’océan Arctique est agité d’avalanches, de petits séismes et de courants violents. Le méthane accumulé pendant plusieurs millénaires bouillonne de toutes parts, remontant à la surface et s’insinuant à travers les lézardes de la banquise. En moins de dix-huit heures, les packs de clathrates présents au large de l’Alaska, larges d’une centaine de kilomètres et parfois longs de plus de six cents, sont tous en voie de disparition.

Le méthane est un gaz qui favorise l’effet de serre, et en l’espace de quelques jours, l’atmosphère du globe en reçoit cent soixante-treize milliards de tonnes. Soit dix-neuf fois plus qu’elle n’en contient en 2028, ou encore trente-sept fois plus qu’elle n’en contenait en 1992.

Quand il reçoit l’appel de Jesse, Diogenes Callare est bien obligé de lui dire qu’il ne sait encore rien. Il est ravi de voir sur l’écran que le gamin roule dans le désert de l’Arizona au volant de sa Lectrajeep, accompagné par une mignonne petite brune.

Ils bavardent quelque temps et, fidèle à son habitude, Jesse dit bonsoir aux gosses ; c’est l’oncle préféré de Mark, qui a six ans, mais Nahum, qui n’en a que trois, n’a pas encore appris à le reconnaître.

Une fois que Di a confirmé à Jesse que personne n’a encore mesuré les conséquences de l’explosion des bombes CRAM dans l’océan Arctique, il fait une pause pour considérer son salon, où les gosses sont en train de jouer, et la porte du bureau de Lori, où elle achève sa journée de travail. La vie est raisonnablement belle. Les meubles sont corrects et bien assortis, il est toujours peu ou prou amoureux de Lori, les gosses semblent d’une intelligence normale et la maison – située sur la zipline de Caroline, à trois quarts d’heure de son bureau de Washington mais à trois cents bons kilomètres de la métropole – est spacieuse et ressemble à une authentique demeure victorienne alors qu’il ne s’agit que d’une copie.

Il se débrouille bien, il Gravit les Échelons, comme aurait dit son vieux. L’espace d’un instant, il se demande si le vieux parle encore à Jesse en majuscules. Probablement pas. Di et son frère cadet ont quasiment eu des pères différents, un tyran dogmatique pour le premier et un papy grincheux pour le second.

Di décide de jouer avec Mark avant de le coucher pour la nuit ; il lui semble toujours bizarre de voir des gosses éveillés à minuit, mais il est bien obligé d’admettre que cette nouvelle méthode, qui veut que les enfants fassent de nombreuses siestes avec l’un de leurs parents, favorise la joie de vivre au détriment de la frustration. Ils tentent de construire une maison avec des cubes, mais Mark s’amuse à renverser périodiquement l’édifice, ce qui ralentit leur entreprise. Comme Di aime bien jouer avec des cubes et regarder Mark les éparpiller, cela ne le fâche guère.

— Que voulait Jesse ? demande Lori en se dirigeant vers la cafetière.

Elle travaille en ce moment sur Massacre en jaune, le seizième volume de sa série consacrée au Massacreur, un tueur en série qui se débrouille toujours pour faire accuser de ses crimes le détective qui le traque. Ce n’est pas grâce à son succès qu’ils ont pu se payer cette maison – le salaire que la NOAA verse à Di y a amplement suffi –, mais ils lui doivent néanmoins leurs boiseries et leurs chambres à coucher surdimensionnées.

— Oh, lui et son petit chou du moment s’inquiètent de la décision de Rivera à propos des missiles sibériens. Ils n’ont pas tort de s’inquiéter, bien sûr, mais comme le petit chou en question est du genre militant, ils s’en inquiètent plus que la moyenne de leur tranche d’âge.

— Ce n’est pas le petit chou idéal, alors, dit Lori en souriant. Heureusement que tout ce que tu demandais à ton petit chou, c’était un corps de déesse et un esprit pervers.

— Ouais. J’espère au moins que, si le petit chou fait cette tronche de coincée, c’est parce que c’est une Profonde, pas parce qu’elle a l’ARTS.

— Esprit pervers, répète Nahum, qui ajoute : Elle a l’ARTS.

— Oups, fait Lori. Espérons qu’il aura oublié ces mots quand maman viendra nous voir.

Di lui lance une œillade, elle lui répond par un sourire, et il se dit soudain que les gosses ne tarderont pas à se pieuter, que Lori arrêtera de bosser vers une heure et demie, au moment où les poussins dormiront à poings fermés, et qu’il serait sympa de se glisser entre les draps avec un adulte, pour une fois.