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Pour simplifier les comptes, leurs menus se composèrent d’œufs durs mayonnaise, avec de la betterave rouge et quelques grains de maïs doux, de steaks frites uniformes, d’un bol de salade verte à l’eau vinaigrée, de yaourts et de millefeuilles. Contre un supplément, Schneider alla chercher deux bouteilles de Côtes du Rhône à la caisse.

Ils se trouvèrent une table à l’écart, non loin de la sortie.

Ils se comportaient un peu comme un pack de rugby.

— On a trois quarts d’heure, les mecs, rappela Perrier.

Il portait ostensiblement une somptueuse Patek Philippe en or, avec un bracelet extensible en or, que Lorraine lui avait rapporté de son dernier voyage d’études aux Bahamas.

— Trois quarts d’heure pour s’empiffrer, dit Charlie.

Au sein du groupe, il jouait le rôle d’échanson. Il saisit la première bouteille par le cou, comme s’il s’apprêtait à l’étrangler. Il balaya la salle d’un regard vindicatif, sortit son couteau de poche.

— La petite fille rousse est pas là, aujourd’hui…

— Non, Charlie Brown, la petite fille rousse est pas là.

— Pauvre petite fille rousse, dit Dumont.

— Jamais vu des doudounes pareilles, soupira Charles.

— Même Doudounes n’a pas des doudounes pareilles, opina Perrier.

Le bouchon fit « plop ». Les quatre policiers du staff avaient des visages mélancoliques, des mines vaguement attristées. Il y eut un silence contraint et Schneider dit :

— Elle a pas fait le « plop » habituel, hein ?

— Non, dit Charles.

— Envoyez le bouchon, Charles.

Schneider le flaira. Charlie versa un fond de vin dans son verre. Les trois autres l’observaient avec le même intérêt prudent que s’il était assis à califourchon sur une mine magnétique.

— Alors ? demanda Dumont.

— Mmmouais, fit Charles.

Il servit Viale.

— Merci, dit ce dernier.

— On a eu chaud, dit le Chat. Hein ?

— Courtot vous a expédié chez nous ? s’enquit Perrier.

Son ton n’était ni précisément chaleureux, ni exactement hostile. Perrier, c’était presque trait pour trait Félix Marten, avec le même sourire en coin, le même air un peu marie, et des yeux couleur de jade, très clairs. Il possédait tout un quartier de la ville, une alfa-romeo de l’année et c’était le numéro deux de l’équipe, après Schneider.

— Temporairement, dit Viale.

Il eut un sourire gêné.

— Première nouvelle, observa Schneider.

Il avait deux gélules dans la paume droite et il parut hésiter. Il saisit la carafe, avala les deux gélules et but un verre d’eau, puis ses yeux gris se portèrent sur les fines moustaches à la Tyrone Power et le visage très bronzé :

— Que ça soit clair entre nous, dit Schneider. Personne n’a demandé quoi que ce soit à Courtot, et surtout pas un renfort. De surcroît… (Il eut un sourire bref, sans joie.) De surcroît, le groupe « B” et son chef ne sont pas en odeur de sainteté, dans la haute. En d’autres termes, vous bordurez pas, prévint Schneider, c’est pas un cadeau que Courtot vous a fait.

— Tant pis, sourit Viale.

— Vous avez quand même du bol, observa Charlie en remplissant les verres. On est mal vus, mais on n’en a rien à branler, parce qu’on est les meilleurs. On est même carrément meilleurs que les dépendus d’andouille de la P.J. Et vous savez pourquoi ?

— Non, sourit Viale. (Il les observait et son sourire semblait inusable.) Pourquoi ?

Charlie secoua ses grelots.

— Parce qu’on est toujours dehors, dans la Rue, à droper le djebel, à draguer cette putain de ville pendant que les tauliers sont bien au chaud… (Ils sentirent tous qu’il aimait la ville.) Qu’il pleuve ou qu’il vente, qu’on se les gèle ou qu’il fasse une chaleur a crever. Tout le temps qu’on est pas le cul vissé sur une chaise à faire du papier pour de la merde, on le passe dehors à se rancarder, à fouiner à droite à gauche… Pas pour se gaufrer des shampouineuses, ou les grosses du Neptune, ni pour faire les beaux au rayon parfumerie des Nouvelles Galeries.

— Laissez tomber, Charles, le coupa Schneider.

Ils attaquèrent les entrées.

Viale toucha à peine à son plateau. On ne lui faisait pas la gueule, non, mais il était semblable à un corps étranger qu’on avait introduit dans l’organisme que formait le staff. Et il n’avait pas eu le temps d’appeler Sabine pour lui dire qu’il ne rentrerait pas manger, et il avait peur qu’elle se fasse du souci.

Schneider leva à peine la tête et sur son visage maigre, Viale surprit quelque chose qui ressemblait fort à une grimace de souffrance.

— Vous en êtes où vous deux, Dumont ?

Prof’ Dumont découpait soigneusement sa viande.

Il avait tombé la veste et rien ne dissimulait l’Unique 7,65 qui lui ornait la hanche gauche. Il ne sourit pas vraiment mais il se contenta de braquer les yeux vifs sur ses collègues pour capter leur attention.

— Dans cinq minutes, je ramasse les copies, dit Charles.

— Hum ! hum ! fit Dumont.

Il avança le menton et leur fit un rapport net, précis et suffisamment détaillé de leurs investigations. Schneider écoutait, le visage immobile. Lorsque Dumont se tut, il alluma une Camel.

— Tu finis pas ta viande ? demanda Perrier.

— Non, dit Schneider.

— Envoie…

Il passa l’assiette. La pluie giflait les vitres, et il faisait sombre.

— Retournez-y cet après-midi, et prenez les par procès-verbal. Vous pouvez embarquer ma portable. (Il versa de l’eau dans son verre.) Essayez de creuser l’affaire. Vendredi soir, Mayer avait rendez-vous avec trois personnes. Vraisemblablement jeunes, dans les vingt, vingt-cinq ans, et il y a une fille dans le coup…

— D’accord, dit Dumont.

— Charlie et moi, on va assister à l’autopsie, dit Schneider. (Il écrasa un mince sourire.) En ce qui concerne Josiane Frontera, alias Crazy Jo, on l’a entreprise à chaud ce matin. Elle chique tout, bien entendu, elle n’a rien vu, rien entendu, elle connaît personne, le grand cirque. Pour vendredi soir, à partir de dix-neuf heures, elle se tape un alibi classique, un peu défraîchi, mais en béton armé… (Il eut un rire sarcastique.) Ils ont commencé par aller bouffer tous ensemble chez Mahmoud, à l’Étoile du Sud. Tous ensemble, c’est-à-dire Edouard Rais, son pote Loulou et elle… Ils ont mangé dans la petite salle de devant, autant dire au vu et au su de tout le monde. Mahmoud a cassé la croûte avec eux. Fin du premier acte.

— Vache mais régulier, acquiesça Perrier.

Il tartinait de la moutarde à la petite cuillère sur le morceau de steak de Schneider. Il adressa un sourire de forban à la cantonade. Charles Catala observait son plateau embouteillé avec une moue boudeuse et remarqua :

— Un parking de supermarché le soir de la paye…

— Ferme ta gueule ou je saute dedans, Charles, dit Perrier.

— Deuxième acte, poursuivit Schneider. Aux environs de vingt et une heure douze, le fils Rivat est arrivé et ils sont tous passés derrière, histoire de se taper un petit poke, tranquille.

— Un jeu qui se pratique à l’aide de cinq cartes, précisa Charles avec une amabilité excessive. Ils ont flambé jusqu’à trois heures du matin, vu que le cousin de Mahmoud l’avait remplacé dans la salle.